Une étude anthropologique sur les feux

Marie Toussaint a présenté les résultats d’une étude de sept ans sur les feux de forêt en province Nord. Ses travaux mettent au jour l’importance de l’histoire dans les pratiques actuelles et plaide pour une réflexion plus globale à l’échelle du territoire.

L’étude aura nécessité sept ans de travail. Sept années pour avoir une meilleure connaissance des feux en province Nord et en particulier des pratiques de la population kanak. Cette demande de l’institution est partie du constat qu’après 30 ans de prévention au travers de campagnes de communication axée sur l’idée « que le feu, c’est mal », les résultats ne sont pas au rendez-vous. Chaque année, la Nouvelle-Calédonie continue de brûler, en particulier en province Nord, avec des départs d’incendie bien souvent volontaires. C’était la tâche confiée à Marie Toussaint, anthropologue, sous la direction de Pierre-Yves Le Meur, chercheur à l’IRD, de comprendre les raisons de cet échec. Un travail de remise en question des politiques publiques assez rares sur le territoire.

Marie Toussaint a cherché à mieux connaître les différents usages du feu avec l’idée de pouvoir contribuer à la redéfinition de la politique environnementale. Le travail d’enquête sur le terrain a duré quatre ans et nécessité plus de 140 entretiens, notamment sur les tribus de Bobope, Gohapin et Tiouaé, qui ont toutes des problématiques particulières comme le Pinus ou les espèces envahissantes.

La chercheuse a au préalable réalisé un important travail d’histoire de la gestion des forêts pendant la période coloniale afin de mieux connaître les usages passés. Elle met en lumière l’importance de cet outil pour le front pionnier ainsi que pastoral, afin de défricher les parcelles, les mines et la construction des routes. Il était aussi utilisé pour réprimer les révoltes kanak à mesure de l’avancement du front pionnier. Le feu a été un outil important d’assise de la domination politique et économique. En 1887, les Kanak se voient interdire l’usage du feu. Cette sixième interdiction ne disparaît qu’avec la fin du Code de l’indigénat en 1946.

Mieux comprendre les contextes locaux

La fin de cette interdiction correspond avec la création d’un service des eaux et forêts en 1947. Les débuts de la mobilisation des associations environnementales sera plus tardive, dans le courant des années 70. À cette époque, des incendies de plantations d’arbres sont attribués à la mouvance indépendantiste. À chaque grande période correspond une manière de communiquer autour du feu et de ses conséquences. Le besoin de lutter contre les feux passe de la perte économique à la nécessité de lutter contre l’érosion jusqu’à aboutir à la prise de conscience environnementale et l’importance de la biodiversité. Les campagnes de communication diabolisant le feu découlent de cette volonté de moralisation de son usage.

Marie Toussaint relève que rapidement, l’idée reçue, que les feux étaient la conséquence des écobuages mal maîtrisés et, par association, que les Kanak en étaient responsables, s’est facilement répandue. D’où une certaine crispation autour du sujet, au point que bon nombre de personnes rencontrées pratiquent le feu clandestinement. L’étude montre pourtant les nombreux savoirs traditionnels sur la maîtrise des différents types de feu et leurs usages. Elle montre également les interactions entre l’agriculture traditionnelle et le feu ainsi que l’intérêt à revaloriser ces savoirs.

Le travail d’enquête dans les trois tribus a permis de comprendre que les feux de brousse observés répondaient à des pressions comme le Pinus, les cochons sauvages et plus généralement la chasse. Pour l’anthropologue, avoir un message de sensibilisation constructif passe par la prise en compte des problématiques de chaque zone considérée. Plus généralement, Marie Toussaint estime qu’il pourrait être utile d’ouvrir des espaces de dialogue autour des usages du feu et pas seulement en tribu. Si un nombre d’hectares important part en fumée en province Nord, c’est toute la Nouvelle- Calédonie qui se consume chaque un peu plus.

M.D.