Une côte pas si oubliée

La zone située entre Thio et Yaté est peut-être l’un des endroits les plus mal connus du territoire et certainement le plus enclavé. L’Œil vient de finaliser une étude de synthèse des connaissances environnementales de cette région qui présente de grandes richesses sur le plan écologique.

S’il est une zone enclavée et coupée de tout, c’est bien la Côte oubliée. Cette région entre Thio et Yaté, occupée un temps par un ermite, reste relativement mal connue du grand public. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. En 1969, Georges Montagnat père s’est implanté en baie de Ouinné pour y exploiter le nickel, notamment à la mine Crabe. Le no man’s land est plutôt hostile et l’arrivée du mineur sur une barge en pleine nuit sous la pluie n’est pas de tout repos, même si d’autres mineurs occupaient les lieux occasionnellement depuis le XIXe siècle.
À force de travail, un véritable village voit le jour et permet d’accueillir une soixantaine d’employés ainsi que leurs familles. Les liaisons entre le village et Nouméa se font par avion. École, économat, logement en dur… L’aventure connaît un coup d’arrêt en 1982 lorsque le client japonais met un terme à leurs relations commerciales. Trop attaché à son village, Georges Montagnat père parvient à réaffecter ses équipes sur le projet de barrage sur la Ouinné, envisagé par Enercal. Un projet de barrage ressorti des cartons en 2014.

Une superficie de 7 % de la Grande Terre

À ce titre, l’étude de l’Œil prend tout son sens. Avant d’envisager la construction d’un barrage dans la région, il était indispensable de faire un état des lieux des ressources mais surtout de la biodiversité. La Côte oubliée, Woen Vùù, uniquement accessible par la mer entre les tribus de Borindy et d’Unia a, de fait, été préservée de tout développement même si en plus du village de Ouinné, sept tribus vivent tout au long des 80 kilomètres de littoral, soit un peu moins de 1 000 personnes au total.

La synthèse de l’Œil répond à la volonté des coutumiers de mettre en place un moratoire, en 2015, afin de ne plus attribuer de titres miniers pendant deux ans, le temps de voir quelles pourraient être les solutions de développement durable pour la région. Et l’on ne parle pas de quelques kilomètres carrés mais bien de près de 17 % de la superficie de la province Sud et de 7 % de celle de la Grande Terre. Une centaine de personnes ont été interviewées et près de 200 documents ont été consultés pour caractériser l’environnement et définir les enjeux écologiques de la zone qui comporte déjà cinq aires protégées.

La hauteur des sommets dont cinq de plus de 1 000 mètres, l’abondance des précipitations et les conditions marines délicates ont largement contribué à l’enclavement de la zone et la faible pression humaine sur la biodiversité. Cette pression n’est toutefois pas inexistante. En 15 ans, plus de 6 000 hectares sont partis en fumée, surtout autour des zones habitées. La mine est une autre menace importante. En 100 ans, près de trois millions de tonnes ont été extraites des massifs. La zone est aujourd’hui couverte à 40 % par des titres miniers. L’exploitation minière ne concerne toutefois qu’un pourcent de la zone, principalement au niveau de la mine Crabe, près du village de Ouinné.

Inventaire avant projet

Les feux et l’exploitation minière ont un impact sur les risques d’érosion. Selon l’inventaire de l’Œil, 28 000 hectares sont sensibles à ce phénomène, soit un quart de la zone. Cette érosion contribue à engraver les trois grandes rivières que sont la Ni, la Kouakoué et la Ouinné. Les enjeux écologiques de cette zone sont plutôt importants. Le taux d’endémisme y atteint les 82 %, soit un peu plus encore que la moyenne de 75 % pour l’ensemble du territoire calédonien. Si le maquis minier est présent, on trouve également d’importantes forêts denses humides, véritables réservoirs de biodiversité abritant des oiseaux rares, des geckos géants et autres poissons d’eau douce endémiques. La richesse de la biodiversité ne s’exprime pas uniquement sur terre. La mer présente également des formations coralliennes riches et des zones atypiques, en particulier du côté de Port-Bouquet qui est presque fermé. Les baleines sont également très présentes lors de leur migration.

Avant de développer des projets d’aménagement, des inventaires plus complets seront nécessaires. Cela a été le cas en 2015 pour le projet de ferme éolienne envisagée sur Unia. Pour le projet de barrage estimé à près de 24 milliards de francs, les inventaires écologiques sont toujours en cours.

 


Reptiles

Sur les 102 espèces recensées en Nouvelle- Calédonie, 30 sont présentes sur la Côte oubliée et notamment le gecko cilié et le gecko géant, le plus grand au monde, et uniquement présent dans le sud de la Grande Terre.

Forêts humides

La moitié des forêts denses humides du territoire sur sol minier sont situées sur la Côte oubliée (46 %).

Des végétaux exceptionnels

Plus de 35 % des plantes endémiques calédoniennes se trouvent dans la région. Près de 80 espèces végétales sont même micro-endémiques et 26 d’entre-elles ne se trouvent que sur la Côte oubliée.

Des coraux diversifiés

Plus de la moitié des espèces de coraux durs inventoriés en Nouvelle-Calédonie se retrouve dans les eaux de la Côte oubliée.

Des eaux douces

La moitié des poissons d’eau douce sont présents sur la zone. On retrouve même deux espèces classées en danger d’extinction, le gobie sans écaille et le gobie grimpeur.

M.D.