Une Calédonie plus fragile que prévu

L’AFD, l’IEOM et l’Isee ont présenté le résultat de l’étude Cérom pour l’année 2019. Une étude qui laisse apparaître des fragilités dans le système économique calédonien confirmées aujourd’hui avec une crise dont les effets commencent à peine à se faire sentir.

L’AFD, l’IEOM et l’Isee ont présenté, le 26 février, les Comptes économiques rapides pour l’outre- mer pour l’année 2019. Si les résultats n’éclairent pas vraiment la situation actuelle, profondément marquée par la crise sanitaire, ils montrent que l’économie calédonienne n’était pas au mieux avant d’aborder la périlleuse année 2020. De manière générale, il ressort que les experts des trois structures ayant participé à l’étude avaient vu l’économie calédonienne un peu plus solide qu’elle ne l’est en réalité.

La croissance réelle (corrigée de l’effet prix) est négative sur 2019, de l’ordre de – 1,2 %, alors qu’elle avait été de + 1,2 % en moyenne entre 2012 et 2017. Plus positif, après trois années difficiles, le nombre de salariés enregistrait une très légère reprise, de 0,4 %. La consommation a également été préservée puisqu’elle progresse de 0,5 % en volume. Un élément qui n’est pas gagné d’avance puisque 2019 était la première année de pleine application de la TGC. L’inflation est restée globalement maîtrisée à 0,3 %. L’investissement a connu un niveau plutôt important. Reste qu’il ne relève pas tellement d’investissements productifs d’entreprises, mais essentiellement d’acquisition de matériel de transport (avions Aircalin et bus Tanéo).

Des entreprises très endettées

Au-delà de ces fondamentaux, les experts s’inquiètent de voir se dégrader le niveau d’endettement, en particulier celui des entreprises, entraînant une dégradation de leur cotation. Si longtemps près de 60 % des entreprises avaient un cote favorable contre 40 % une cote défavorable, le rapport s’est aujourd’hui inversé et près de 60 % des entreprises ont une cote défavorable. Pour les experts, cette dégradation montre une fragilisation du tissu économique calédonien.

Un point qui ne s’est pas arrangé avec la crise sanitaire. Elle a poussé les entreprises à recourir massivement à l’endettement pour passer les périodes de confinement et les baisses d’activité. L’endettement concerne également les collectivités, qui cherchent à maintenir un niveau d’investissement élevé pour soutenir les entreprises. Sans même parler du gouvernement, qui a dû contracter un prêt auprès de l’AFD pour assurer le financement des mesures sanitaires. Le niveau d’endettement du privé pourrait considérablement réduire le montant des investissements privés, alors même que le public peine de plus en plus à maintenir son volume d’investissement.

Pas de perspectives

Le secteur du BTP est la première victime de cette situation. Comme l’a souligné la Fédération calédonienne du BTP, le 2 mars, le secteur dispose, au mieux, de six mois de visibilité. Les entreprises ont enregistré une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 30 % en 2020 liée à la crise sanitaire, soit 4 à 5 milliards de francs, une baisse du niveau de l’emploi d’environ 30 % sur les dix dernières années. Mais c’est bien l’absence de perspectives qui inquiète le plus le plus les professionnels. Ils listent ainsi les projets annulés ou en stand- by comme le Carré Rolland, le barrage de Pouembout, la marina de Nouré…

Risque d’entrer dans une spirale récessive

Ces professionnels, au même titre que les partenaires sociaux du Conseil du dialogue social en fin de semaine dernière, en appellent à une réaction forte et rapide des pouvoirs publics. Force est pourtant de constater une certaine surdité parmi les responsables politiques, en particulier les indépendantistes. Ces derniers se sont embourbés dans des discussions autour de l’élection à la présidence du gouvernement. Des membres de l’Union calédonienne du 17 gouvernement ont par ailleurs modifié leurs éléments de langage, préparant visiblement l’opinion à une mise sous tutelle de la Nouvelle-Calédonie par l’État. Une possibilité qui pourrait finir par tuer l’investissement privé sur le territoire.

La situation économique pourrait se dégrader de manière générale et rapide avec la mise au chômage de nombreux salariés dans les deux à trois prochains mois*. Les conséquences sociales seraient potentiellement catastrophiques et la Nouvelle-Calédonie pourrait entrer dans une spirale récessive, d’autant que le calendrier politique et la tenue d’un troisième référendum risquent de susciter de l’attentisme. C’est ce que redoute Myriam Margaron, la présidente du collège des chefs d’entreprise du Conseil du dialogue social, qui en appelle à la responsabilité des élus. Le CDS en aura été pour ses frais, au moins cette semaine, les membres du nouveau gouvernement n’ayant pas réussi à se mettre d’accord une nouvelle fois. Au-delà des curriculum vitae des candidats à la présidence, ces atermoiements font, d’une certaine manière, ressurgir les oppositions de fond des indépendantistes sur les sujets économiques et sociaux.

*En l’absence de démarche du gouvernement pour abonder la Cafat et permettre le remboursement du chômage partiel versé par les entreprises à leurs salariés, ces dernières vont rapidement se retrouver à court de trésorerie et dans l’obligation de licencier purement et simplement. Certaines structures fragiles financièrement risquent également la liquidation. Un scénario catastrophe qui se traduirait par une baisse des recettes pour la Cafat et une hausse des prestations à servir, précipitant d’autant plus rapidement la chute du système de protection sociale.

M.D.