Un vaccin au bout d’un an, un exploit

La Nouvelle-Calédonie a lancé sa campagne vaccinale. Plus de 600 personnes ont bénéficié des premières doses du vaccin Pfizer-BioNTech. Comment fonctionne-t-il ? Quelles sont les dernières données scientifiques en la matière ? Éléments de réponse avec Marc Jouan et Myrielle Dupont-Rouzeyrol, respectivement directeur et virologue de l’Institut Pasteur en Nouvelle-Calédonie.

DNC : Le vaccin Pfizer-BioNTech a la particularité de fonctionner avec une technique différente de ce que l’on connaissait : la technique de l’ARN messager. De quoi s’agit-il ?

Myrielle Dupont-Rouzeyrol : C’est une technologie que l’on dit récente, mais cela fait vingt ans que les scientifiques travaillent sur les vaccins à ARN messager. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on l’utilise chez l’homme puisqu’il y a des essais en phase clinique 1, 2 ou 3 sur d’autres virus, par exemple le Zika. Le principe consiste à injecter une portion d’ARN messager qui va pénétrer dans la cellule. Une protéine va alors être produite dans l’organisme et activer la réponse immunitaire : la production d’anticorps et de lymphocytes. C’est très différent des vaccins que l’on connaît qui consistent à injecter « un morceau » de virus ou d’un pathogène inactivé ou atténué. L’avantage est que l’on peut construire ce vaccin à ARN messager plus facilement et rapidement, c’est pour cela qu’ils sont arrivés les premiers sur le marché.

Marc Jouan : On peut ajouter que le concept est tout à fait original. Aujourd’hui, ce vaccin est utilisé sur les infections, et en particulier les virus, mais il est aussi pensé pour être utilisé dans le cadre de traitement de cancers. Donc c’est vraiment une innovation majeure, qui constitue un nouvel outil dans l’arsenal de la vaccination.

Contre quoi protège-t-il précisément ? Des formes graves de la maladie ? Peut-on quand même être malade et transmettre le virus ?

Marc Jouan : Il y a des vaccins qu’on dit stérilisants, c’est-à-dire qui permettent de tout maîtriser : la maladie, la transmission. C’est le Graal, le vaccin parfait. Dans les études publiées sur les vaccins ARN, on observe, là où il y a eu des vaccinations, moins de formes symptomatiques de façon très significative (NDLR : On parle d’une efficacité à 95 %). Ce que l’on est en train de confirmer, c’est l’effet sur le portage asymptomatique, c’est- à-dire que les gens soient encore porteurs du virus mais pendant une brève période. À ce niveau, les premiers résultats sont aussi très encourageants. On a l’impression que les gens sont très peu porteurs, très peu de temps et très peu contaminants, un élément très en faveur de la réduction de la transmission. Mais c’est en cours d’analyse et il n’y a pour l’instant aucune certitude. Je pense que nous aurons des informations plus précises d’ici quelques mois sur la question du portage. Et plus on aura un nombre important de personnes vaccinées suivies, plus on aura de certitudes.

Que sait-on à ce stade sur les effets secondaires ?

Marc Jouan : Sur les personnes vaccinées à ce jour en France, il y en a 130 qui ont eu des effets secondaires déclarés par l’ANSM (NDLR : l’Agence nationale de sécurité du médicament). C’est transparent et public. Tout citoyen peut avoir accès à l’information. Pour l’instant, pour la plupart, ce sont des effets secondaires classiques, il n’y a pas de causalité confirmée sur des effets secondaires sévères. Sur la base de ce qu’on a commencé à recueillir en situation réelle de vaccination, tout cela est très rassurant.

Sait-on combien de temps ce vaccin nous protège ?

Myrielle Dupont-Rouzeyrol : Moderna et Pfizer ont produit des données sur leur phase 3 (sur environ 10 000 personnes) au bout de deux semaines et un mois après la deuxième dose et là, on parlait de plus 95 % qui avaient des anticorps, une protection neutralisante. On s’attend à ce qu’il y ait des études sur trois mois, six mois. Il faut juste laisser le temps au temps.

Marc Jouan : Il faut aussi préciser que ces données, que l’on commente souvent par voie de presse, sont des données sérologiques, c’est-à-dire sur les anticorps qui constituent une partie seulement de la réponse immunitaire, la partie la plus mesurable. On sait qu’il y a d’autres réponses immunitaires qui sont déclenchées durant la vaccination. Tout cela va nécessiter un certain recul par rapport à la persistance de cette immunité avec les anticorps ou cellulaire. Mais le vaccin protégera sur plusieurs mois. Car quand vous êtes infecté, vous avez généralement des anticorps durant au moins six à huit mois, selon les études. Le vaccin fera donc cela, voire mieux. Le suivi des effets de la vaccination permettra d’en savoir plus.

Campagne de vaccination au Médipôle. @C.M. 

On dit qu’il faut vacciner deux tiers de la population pour atteindre une immunité collective. Comment cela fonctionne ?

Marc Jouan : Quand une population est protégée pour plus de 60 à 70%, à ce moment- là, la transmission du virus de personne à personne devient plus difficile. On est plus armé pour éviter une dissémination du virus au sein d’une population qui a ce niveau d’immunité. Le virus ne trouve plus assez de possibilités pour se reproduire, il essaye, mais ne trouve pas. C’est cela, le principe de l’immunité collective. Et cet objectif, de 60-70 % de la population, c’est effectivement ce qui permet de rompre la chaîne de transmission d’un virus et donc d’une épidémie. Ça peut être par une immunité naturelle ou par la vaccination. Et ici, ce sera par la vaccination puisque nous n’avons pas d’immunité naturelle. Nous ne sommes « pas immunisés » par rapport au virus en Nouvelle-Calédonie. D’où la vulnérabilité en cas d’introduction du virus, il faut donc d’autant plus se protéger avant qu’il ne rentre. L’idée de la vaccination est justement de ne pas attendre. D’où le choix du gouvernement.

Une campagne de vaccination permet aussi de réduire les hospitalisations…

Myrielle Dupont-Rouzeyrol : C’est effectivement un point primordial. On va protéger les populations les plus à risque parce que ce qui est problématique, c’est justement le nombre d’hospitalisations de cas sévères. On va donc réduire leur nombre et on n’aura pas un engorgement des établissements de santé ou un impact sur la prise en charge des autres maladies.

En sait-on plus sur l’efficacité des vaccins sur les mutations ?

Marc Jouan : On en sait un peu plus. Pour l’instant, ce que l’on sait c’est que le vaccin Pfizer obtient une bonne réponse vis-à- vis des variants. Sur le vaccin Moderna, les données ont évolué, mais nous attendons la publication.

Est-on sûr d’être immunisé une fois que l’on a eu le Covid ?

Myrielle Dupont-Rouzeyrol : Il y a des réinfections qui ont été décrites. Mais si on prend les 90 millions de cas diagnostiqués dans le monde, il doit y avoir moins d’une centaine de réinfections décrites. C’est extrêmement rare. Ce que l’on ne sait pas très bien, c’est quel était le seuil d’immunité au moment de la réinfection. On sait que ça existe, mais on ne connaît pas bien les mécanismes permettant ces réinfections.

Doit-on vacciner les personnes qui ont eu le Covid ?

Marc Jouan : La Haute Autorité de santé a estimé, en décembre dernier, qu’il n’y avait pas lieu de vacciner les personnes qui ont eu une infection par le SARS-Co-V2.

Une réflexion est en cours pour procéder, à l’arrivée sur le territoire, à un double test PCR et sérologique pour permettre aux personnes vaccinées de partir plus tôt de quatorzaine. En quoi peut-on être certain qu’il n’y a pas de danger ?

Marc Jouan : C’est un peu tôt pour commenter cette stratégie qui est encore en réflexion. La PCR recherche la présence de matériel génétique du virus dans un échantillon nasopharyngé au moment du prélèvement. C’est ce qui est aujourd’hui pratiqué, en fin de quatorzaine, à l’entrée sur le territoire. Le test sérologique permettrait, lui, de confirmer l’acquisition d’une immunité lorsque le taux d’anticorps est à un niveau suffisant.

Allez-vous mener des recherches sur notre campagne de vaccination ?

Marc Jouan : Nous préparons des projets avec les différents partenaires : le CHT, les médecins, la Dass NC pour suivre et évaluer l’efficacité de la vaccination.

Certains s’étonnent de la rapidité extraordinaire avec laquelle les vaccins ont été élaborés. Comment l’expliquer ?

Marc Jouan : Cette rapidité est liée aux nouvelles technologies, on ne fabrique plus les vaccins de la même façon. C’est aussi parce que des moyens humains et financiers très importants sont mobilisés. Quand il faut se battre pendant un an pour trouver de l’argent, on perd du temps ! La réglementation s’adapte aussi rapidement en évaluant ces candidats vaccins en priorité. Quand l’ensemble des facteurs sont réunis, ça va beaucoup plus vite. Mais pour autant, il faut que le candidat soit bon et efficace.

Justement quel regard portez-vous sur le retard enregistré par Sanofi et l’abandon du projet de vaccin de l’Institut Pasteur Paris ?

Marc Jouan : Développer un vaccin ou un traitement antiviral est quelque chose de très difficile. On peut avoir des premiers résultats intéressants en laboratoire. Ce fut le cas notamment avec certains traitements. Et puis quand on passe aux premiers essais cliniques la réponse aux antiviraux ou aux vaccins peut se révéler insuffisante. Il y a plus de 200 candidats vaccins et tous, malheureusement, n’arriveront pas à terme. C’est pour cela qu’il s’agit déjà d’une avancée extraordinaire de pouvoir bénéficier de deux voire trois vaccins en Europe au bout d’un an. Il faut poursuivre la recherche sans relâche sur différents concepts : c’est ce que font les équipes à l’Institut Pasteur à Paris avec un nouveau concept de vaccin qui pourrait être administré par voie nasale et des recherches sur de nouvelles cibles pour des antiviraux.


Comment l’Institut Pasteur est-il mobilisé sur la pandémie ?

Les chercheurs des 32 agences de l’Institut Pasteur réparties dans 25 pays sont mobilisés depuis le début de la pandémie, selon les besoins des autorités de santé des pays dans lesquels ils se trouvent. Virologues, épidémiologistes, équipes de directions sont impliqués à plusieurs niveaux.

Les scientifiques se sont penchés très tôt sur le développement des techniques de diagnostic pour identifier le virus (PCR, sérologique…).
Ils travaillent sur le virus, sa structure, son fonctionnement, les cibles thérapeutiques (développement des antiviraux), la nature de la réponse immunitaire, l’épidémiologie. Ils agissent, par ailleurs, sur le développement de candidats vaccins (l’Institut Pasteur ne produit plus de vaccin). Un modèle par introduction d’un vaccin par voie nasale est ainsi actuellement en cours d’évaluation (phase pré-clinique).

L’Institut Pasteur compte également des épidémiologistes et des modélisateurs dans le Conseil scientifique auprès de la présidence de la République – les professeurs Arnaud Fontanet et Simon Cauchemez – et d’autres experts sont mobilisés auprès des autorités de santé dans de nombreux pays. Certains instituts participent également à la vaccination (Paris).

C.M.