Un tourisme durable pour les Outre-mer

Une récente étude sur le tourisme dans les Outre-mer du Conseil économique, social et environnemental national (Cese) intéresse le ministère ainsi que les collectivités. Constatant les limites du tourisme ultramarin français, basé essentiellement sur les offres balnéaires et la « mono clientèle », il prône un nouveau modèle conçu sur le développement durable et la diversification qui s’inspire du système costaricain. Une délégation était cette semaine sur le territoire pour en présenter les contours.

Deuxième étape en Nouvelle- Calédonie, après les Antilles, pour la délégation qui entend sillonner tous les territoires ultramarins pour présenter son rapport. Un travail d’ampleur chapeauté par Inès Bouchaut-Choisy, présidente du groupe Outre-mer du Cese, elle- même professionnelle du tourisme, et élaboré sur la base des études et analyses existantes et d’une longue série d’entretiens avec les professionnels territoriaux et les pouvoirs publics.

Inès Bouchaut-Choisy, présidente du groupe Outre-mer au Cese et rapporteur de ce projet, était accompagnée des conseillers calédoniens, Didier Guénant-Jeanson et Octave Togna, ainsi que de David Lachtimy, attaché, et d’un représentant du Cese de Wallis-et-Futuna, Christian Vaamaï. Avec les conseillers du Cese local et son président, Daniel Cornaille, ils ont rencontré les représentants du gouvernement, du Congrès, de l’État, de la Ville de Nouméa, la CCI, les autorités provinciales à Nouméa, Lifou et Koné ainsi que les représentants du secteur touristique.

Un système en bout de course

Sans surprise, le Cese fait le constat d’un déclin progressif du secteur touristique sur l’ensemble des territoires ultramarins.
Après avoir fait l’objet d’un manque d’intérêt, à partir des années 60, le tourisme s’était imposé comme un axe important de la politique d’aménagement dans les Outre-mer. Puis il était venu en soutien à d’autres activités en difficulté comme les plantations sucrières pour s’imposer finalement comme la meilleure voie de développement dans nos territoires souvent confrontés aux tensions sociales et au manque d’emploi.

Jusqu’à la fin des années 90, le développement a été porté par les pouvoirs publics, la défiscalisation. Le transport aérien s’est considérablement ouvert. L’offre consistait en un tourisme uniforme, balnéaire, classique, centré sur la plage, un système qui fonctionnait plutôt bien dans un contexte où la concurrence était relativement limitée.

Et puis dès la fin des années 90, « le modèle a vieilli », analyse le Cese. Le vrai « coup d’arrêt » est intervenu au début des années 2000, suite à une succession de crises internationales (2001, 2008), locales (mouvements sociaux, épidémie de chikungunya, attaques de requin…) et le développement de destinations concurrentes dans chaque bassin régional.

Dans le même temps, le tourisme a également évolué. De plus en plus de personnes ont eu la possibilité de voyager, d’aller plus loin, de faire des choses différentes. Leurs envies ont changé et le tourisme de niche a connu un bel essor. Les territoires ultramarins n’ont pas vraiment profité de cette évolution. Ils ont pâti notamment d’un réel problème de lisibilité au niveau international. Le repli dans la fréquentation a été observé de manière générale avec pour conséquences une diminution croissante du nombre de chambres, la fermeture de certaines infrastructures, des pertes d’emploi…

Face à ces défis, le Cese constate que les choix politiques réalisés au cours des dernières années n’ont pas permis de réorienter le développement du tourisme dans la bonne direction : les nombreux dispositifs d’aide à l’investissement par la défiscalisation ont surtout engendré des « effets d’aubaine » qui se sont soldés, dans certains cas, par des hôtels construits, puis laissés à l’abandon.

Au Cese, comme ailleurs, tout le monde en donc a conscience : le modèle touristique uniforme, centré sur la plage et ciblant une clientèle hexagonale, qui faisait autrefois le succès des destinations ultramarines, est arrivé en bout de course.

Et malgré le manque de données spécifiques sur la part du tourisme dans les PIB régionaux, il n’est pas difficile de cerner le dramatique impact social et économique de ce déclin, les pertes d’emploi sont là pour en témoigner.

À l’échelle des territoires, des professionnels n’ont pas attendu pour innover, imaginer de nouvelles offres, cibler de nouvelles clientèles, mais les initiatives sont encore relativement isolées, juge le Cese, et le besoin d’établir une politique globale de développement touristique se ressent.

« Double responsabilité »

Dans cette logique de « sursaut » ou de « mutation », le Conseil insiste, si besoin était, sur les atouts naturels exceptionnels des Outre-mer : 55 000 km2 de récifs coralliens représentants 10 % de la superficie mondiale ; plus de 98 % de la faune vertébrée française et 96 % des plantes endémiques.

Dans son raisonnement, il ajoute que nos territoires sont souvent situés aux avant- postes des effets du réchauffement climatique tant dans l’Atlantique que dans l’océan Indien ou Pacifique. L’exemple de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, ravagés par Irma, parle de lui-même…

En d’autres termes, le développement du tourisme ne peut donc plus uniquement se penser au niveau financier. « Désormais, nous avons une double responsabilité : redynamiser le tourisme, secteur d’avenir pour nos économies, et protéger ces patrimoines uniques », commente Inès Bouchaut-Choisy.

Ainsi, le moment est venu, selon le Cese, de repenser la croissance touristique en intégrant les principes de durabilité selon la définition de l’Organisation mondiale du tourisme : « Un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques sociaux et environnementaux, actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ».

Inès Bouchaut-Choisy de préciser qu’« il ne s’agit pas d’opposer tourisme balnéaire et tourisme durable, mais bien d’imaginer des pistes permettant la mutation du secteur vers des modèles plus durables ». Cela tombe bien, ces modèles durables, à l’instar de ce qui a été mis en place au Costa Rica, cité pour son exemplarité, fonctionnent et sont désormais également prisés des touristes (lire plus bas).

Les identités et l’environnement au cœur des stratégies

Dans son rapport, le Cese propose en premier lieu de mettre l’identité culturelle des territoires et la richesse de la biodiversité au cœur des stratégies touristiques. « Il s’agit tout simplement de trouver ce qui est attachant, ce qui fait qu’un territoire se démarque des autres », nous dit Inès Bouchaut-Choisy.

Selon le Cese, il faut logiquement que ce développement se construise à la faveur des autres économies insulaires telles que l’agriculture, la construction, les énergies renouvelables, l’artisanat.

Les conseillers prônent par ailleurs un important travail sur la formation. Une mission de préfiguration devrait analyser les offres de formation et d’apprentissage existantes et étudier l’opportunité de créer, dans chaque territoire, un centre de formation aux métiers du tourisme qui favorise la cohérence entre l’offre et la demande. L’accent serait mis sur la gestion, le management, les langues, le développement durable. Il faut revaloriser globalement les métiers du tourisme.

Un tourisme durable ne pourra se développer que s’il emporte l’adhésion des populations. « Trop souvent, observe Inès Bouchaut-Choisy, les populations semblent subir les choix touristiques qui sont effectués. Ne reproduisons pas ces erreurs. » L’idée est donc de faire en sorte que les populations s’approprient les stratégies. Il faut qu’elles comprennent les enjeux de « tourisme durable » et pour ce faire, le Cese propose de mobiliser le secteur associatif. Il appelle également à l’implication de l’Ifrécor, Initiative française pour les récifs coralliens, et du Muséum d’histoire naturelle pour organiser des sessions d’information pédagogiques sur la biodiversité pour les populations, les élus, les professionnels, en partenariat avec l’Agence française de la biodiversité et les collectivités territoriales.

Une fois impliquées, elles seront ensuite plus enclines à améliorer l’hospitalité, la qualité de l’accueil et les relations avec les touristes pourront s’enrichir.

©Tahiti Nui travel 

Revoir les outils

Pour fonctionner, ce changement de modèle doit surtout être soutenu par une « volonté politique forte » au plus haut niveau et obtenir une large participation des acteurs.

Sur la méthode, le Cese préconise l’organisation d’une réunion interministérielle pour fixer les priorités d’élaboration des plans de tourisme durable qui déboucherait sur la signature de contrats d’objectifs entre l’État et les collectivités ultramarines. Au niveau territorial, il évoque la mise en place de forums stratégiques qui associent les professionnels, les chambres consulaires.

Il est proposé qu’Atout France, l’Agence de développement touristique française, se dote d’un pôle Outre-mer pour appuyer les collectivités en termes d’ingénierie, de conseil et de positionnement sur les marchés.

Il faut également mettre en place des outils d’analyse, d’anticipation et de promotion des flux touristiques (un observatoire du tourisme dans chaque collectivité) et des comptes satellites pour mesurer le poids du secteur dans les économies locales. « Les collectivités manquent cruellement d’outils d’information ! » souligne Inès Bouchaut-Choisy.

Enfin, en termes de financement, il est clair que Bercy va « repenser le système » puisqu’il n’a « pas été vraiment concluant dans la durée ».
Le Cese propose de son côté que France tourisme ingénierie (la nouvelle configuration d’Atout France), la Caisse des dépôts et consignation et la future Agence nationale des territoires accompagnent les collectivités ultramarines dans l’élaboration de leurs projets en faveur du tourisme durable.

Il préconise des politiques d’incitation sous la forme de taux bonifiés d’aide à l’investissement sur la base de critères de développement durable. Des dispositifs d’aides qui doivent s’accompagner d’un volet social soutenant l’embauche, le maintien de l’emploi, la formation professionnelle…
Enfin, le Cese estime que les politiques de labellisation (Clé verte, Passeport vert…) doivent s’intensifier.

Le rapport, issu d’une autosaisine, a déjà reçu une oreille « très attentive » au ministère des Outre-mer, qui s’est interrogé sur la question du tourisme lors des récentes Assises des Outre- mer.

Le rapport complet du Cese est disponible sur www.cese.nc


« Une chance en Nouvelle-Calédonie »

Inès Bouchaut-Choisy est représentante des activités économiques et sociales des Outre-mer et présidente du groupe Outre-mer au Cese. Elle est directrice du comité du tourisme de Saint-Barthélemy.

« L’avantage, en Nouvelle-Calédonie, c’est que vous avez tout à faire au niveau du tourisme ! Vous pouvez observer ce qui a été fait ailleurs, profiter des expériences pour faire les choix les plus judicieux pour maintenir les équilibres. C’est pratiquement un site pilote pour expérimenter les meilleures solutions. On sent qu’il y a une volonté de s’ouvrir au tourisme, pour proposer une alternative au nickel. Et tous les atouts sont là : une grande richesse du patrimoine culturel, naturel, un pays vaste, pas surchargé. Vous avez la possibilité de faire le choix de votre clientèle, de la capacité de charge que vous êtes en mesure de supporter et ça, c’est formidable. Ailleurs, il va falloir parfois limiter pour créer un meilleur équilibre. »


L’exemple du Costa Rica

Dans le cadre de ses recherches, le Cese a consulté les représentants du Costa Rica. Le pays est parvenu, au terme d’une entreprise de longue haleine, à allier une offre touristique classique à une offre durable basée sur une multitude de structures locales, souvent familiales, réparties sur tout le territoire, en lien avec des parcs naturels et valorisant l’extraordinaire biodiversité du pays, orientée tantôt vers l’écotourisme, l’agritourisme, la gastronomie, le spiritourisme, la culture… Désormais, le Costa Rica gère ses arrivées en fonction d’une capacité d’accueil, répartit mieux ses touristes sur l’année et sur le territoire, allonge la durée des séjours… La clé de son succès ? Une gestion participative, consensuelle et décentralisée avec un conseil de développement touristique durable incluant les professionnels et les populations. Un plan national du tourisme sert à coordonner les initiatives des différents acteurs. L’État soutient économiquement les entreprises responsables et accorde des avantages fiscaux importants sur la base de certificats environnementaux. Les démarches prennent en compte le progrès social généré, le bien-être des populations et la répartition des richesses.

C.M.