Un réseau Tanéo allégé

Les usagers ont découvert lundi 10 février les nouvelles lignes du réseau Tanéo. (© F.D)

Les bus publics ont repris du service le lundi 10 février avec huit lignes, de nouveaux tarifs et un seul prestataire, Carsud. Une nouvelle formule en rodage jusqu’à la rentrée scolaire.

Gare routière de Moselle, 8 h 30, des usagers attendent patiemment leur transport en commun à l’abri de la pluie. Des agents s’approchent : « Il n’y a plus de bus. Ils ne circulent plus qu’aux heures de pointe ». Étonnement sur les bancs. Un dialogue s’engage, les agents expliquent les nouvelles dispositions. Plusieurs dégainent leur téléphone, pour appeler un proche ou un chauffeur privé.

Depuis le 10 février, les Calédoniens doivent réapprendre à utiliser les transports en commun. Les contrats de délégation de service public se sont terminés le jeudi 6 février au soir, six mois après leur résiliation en raison des émeutes. « Le réseau Tanéo est mort le 13 mai avec les exactions. En impact direct, c’est 800 millions de dégâts sur nos infrastructures : distributeurs, voiries, locaux… », résume Naïa Wateou, la présidente du Syndicat mixte des transports urbains (SMTU) « Ce qu’on a tenté de faire, c’est de le réanimer. Il n’est pas encore tout à fait opérationnel, il est en rééducation. »

ADAPTATION

Cette remise en marche est réalisée par Carsud, qui a remporté le marché d’exploitation. « Nous avons commencé le 10 février à 5 heures. La première semaine, on n’est pas sur les fréquences de la rentrée, où plus de bus tourneront », tempère Clément Simutoga, directeur transport de Carsud.

De nombreux changements ont été opérés : huit lignes contre 30 avant le 13 mai, le retour des plafonds tarifaires, l’arrêt de la vente de tickets à bord et une offre concentrée sur les heures de pointe. « Les bus vont tourner le matin et le soir aux heures d’embauche et de débauche, souligne Clément Simutoga. La journée, on n’aura plus de bus qui circuleront. Il faut que les gens s’adaptent sur ces créneaux. » Lors du lancement, les bus circulaient jusqu’à 8 h 30 le matin, puis de 15 heures à 18 heures. Ensuite les horaires ont été étendus jusqu’à 9 heures et 19 heures, avant d’éventuels ajustements.

Kazim l’a appris à ses dépens. Cet agent de sécurité a terminé sa vacation à 8 heures. Il apprend à 8 h 30 qu’il n’aura pas de trans- port. « Je n’ai pas de télé ou de radio chez moi, je ne savais pas », regrette-t-il, tout en restant résilient. « Ce n’est que la première semaine, on fait avec. Mais on aimerait que les bus reviennent comme avant. »

PRIORITÉ AUX SCOLAIRES

Ce retour paraît aujourd’hui difficile, voire impossible aux yeux de la présidente du SMTU, en raison des difficultés financières des institutions. « Avant, nous avions deux délégations de service public à 4 milliards par an avec un réseau de 30 lignes. Nous passons aujourd’hui à un marché de gré à gré de l’ordre de 900 millions par an avec un réseau sur un format huit lignes. » Le réseau de transport public s’est allégé et rétracté sur quelques zones. « Ma priorité, c’est de faire en sorte que tous les établissements scolaires soient desservis et aujourd’hui, j’en ai trois un petit peu de côté : Dumbéa-sur-mer, le collège d’Auteuil et Katiramona, reconnaît Naïa Wateou. Nous sommes en train de travailler sur des lignes complémentaires. »

Christiane est justement venue se renseigner à l’agence de Moselle pour son fils, scolarisé à Petro-Attiti et résidant au sud du Mont- Dore. Renseignements pris, l’élève devra faire au moins un changement de ligne. « Il devra se lever à 3 heures et la route depuis le Mont-Dore Sud n’est pas très sûre », constate la mère de famille, qui réfléchit à d’autres solutions, notamment de faire héberger son garçon à Nouméa.

DES VOIES EN MOINS

D’autant que la circulation des cars ne sera plus aussi fluide qu’avant. Le Néobus est bel et bien de retour, mais pas sa voie réservée. À plusieurs endroits, les capteurs et les feux dédiés ont été dégradés. À Nouméa, la mairie a décidé d’ouvrir temporairement à la circulation automobile certaines portions de la rue d’Austerlitz à partir du 26 novembre. « Cet aménagement servira de test jusqu’à la mi-mars, date de reprise des travaux d’assainissement de la rue Jean-Jaurès », indique le site de la ville.

Résultat : « on va passer sur la voie générale, donc ça va être un peu plus compliqué et on va être vraiment coincé dans les bouchons s’il y a des accidents », indique Clément Simutoga. Sur les réseaux sociaux, le community manager du SMTU ne chôme pas. Des questions reviennent régulièrement sur les trajets et les tarifs, particulière- ment sur le ticket à 500 francs. Ce dernier ne baisse pas, mais le SMTU propose des pass avec un plafond mensuel. « Le ticket à 500 francs a beaucoup marqué. C’est une décision que j’assume complètement. Avant le 13 mai, l’usager payait 30 % du prix du ticket moyen. Si on devait avoir un prix juste du transport, il faudrait qu’il paie 900 francs », explique Naïa Wateou.

Un effort budgétaire que les collectivités ne peuvent plus porter, alors qu’un autre élément est aujourd’hui à prendre en compte : le remboursement de la dette de 27 milliards auprès de l’Agence française de développement pour la voie du Néobus. « Depuis janvier, nous sommes tenus de régler nos échéances avec intérêts. Il nous reste encore 22 milliards de francs à payer », prévient la présidente du SMTU.

Fabien Dubedout

Karuïa à l’arrêt

Jusqu’au 10 février, les bus Karuïa assuraient le transport des passagers à Nouméa (© F.D)

Avant les émeutes, l’agglomération comptait trois grands réseaux distincts : Karuïa bus pour Nouméa, Carsud pour Dumbéa, Mont-Dore et Païta, et la SCT pour le transport scolaire du secondaire. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’un : Carsud.

Après le 13 mai, le SMTU a décidé de suspendre l’exécution de la délégation de service public par Karuïa et Carsud et a résilié son contrat avec la Société calédonienne de transport. L’exploitation du réseau s’est terminée le 6 février et un nouvel appel d’offres a été lancé. Surprise, une seule compagnie s’est portée candidate.

« Karuïa a fait le choix de ne pas répondre à l’appel d’offres, c’est sa décision, c’est sa responsabilité », estime Naïa Wateou, la présidente du Syndicat mixte des transports urbains. « Cela ne veut pas dire que les relations sont rompues. Nous allons entrer dans les discussions sur les indemnités de fin de délégation de service public. »

Le groupement d’intérêt économique Karuïa bus TCN (transport en commun de Nouméa) ne souhaite pas communiquer pour le moment. Constitué d’environ une quarantaine d’employés, 80 chauffeurs et 80 entreprises, ce qui « représente près de 250 familles », selon le site internet du GIE, il est aujourd’hui à l’arrêt.

Ces derniers mois, les relations entre le SMTUet Karuïa se sont tendues. Le 14 septembre, le GIE a repris ses rotations, sans l’accord du Syndicat mixte. Par courrier du 5 novembre, la chambre territoriale des comptes a « été saisie par une entreprise délégataire [Karuïa bus] du Syndicat mixte au motif de l’absence de paiement par celui-ci de plusieurs factures », a dévoilé l’institution dans un avis publié le 5 février.

La CTC a conclu qu’« il n’y a pas lieu de mettre en demeure le Syndicat mixte de les inscrire à son budget ». Par ailleurs, la chambre territoriale doit communiquer prochainement un rapport d’activité sur le SMTU, sur une période antérieure au 13 mai 2024.

Dans ce contexte, les négociations entre le SMTU et Karuïa ont commencé, avec pour point de crispation les véhicules. « L’objectif est de pouvoir travailler des indemnités qui correspondent à la capacité des collectivités à les financer », assure Naïa Wateou. Les discussions pourraient être âpres. En attendant, des dizaines de bus restent immobilisés à Ducos, jusqu’à nouvel ordre.