L’arrêt du transport en commun et la difficulté, voire l’impossibilité de se déplacer depuis le 13 mai ont provoqué de nombreuses conséquences sur la vie des habitants du Grand Nouméa, comme le révèle en partie une enquête.
♦ CHANGEMENTS
Dans le cadre de son sondage mené en juin pour son stage sur la mobilité en temps de crise, Élise Kaemo, étudiante en licence professionnelle animation du développement économique local à Foix, a obtenu 1 387 réponses, principalement de résidents du Mont-Dore et de Nouméa, puis Païta et Dumbéa.
Les résultats, s’ils représentent un échantillon limité de la population, donnent une idée intéressante de l’évolution des comportements. La voiture est désormais davantage partagée avec d’autres passagers (la part passe de 18 à 29 %), le nombre de marcheurs a plus que doublé (de 7 à 15,8 %), et l’utilisation du bateau, quasi inexistante, a presque remplacé (11,3 %) celle des trans- ports en commun (13 % pour Tanéo). Enfin, la catégorie autres, c’est-à-dire le covoiturage, les navettes privées et les non-déplacements, a augmenté de 0,6 à 4,8 %.
♦ RÉPERCUSSIONS
En raison de l’impossibilité de pouvoir circuler, 12 % des sondés auraient perdu leur travail, rencontré des difficultés pour se rendre sur leur lieu professionnel (50,7 %) et pour s’alimenter (46,2 %). Ils ont également connu une baisse de leurs revenus (32,5 %), un manque d’accès aux soins de santé (30,6 %), à l’éducation (34,8 %), aux commerces (64,2 %), et subi un impact sur leur vie sociale et familiale (64 %). Enfin, cela a contraint certaines personnes à changer de lieu de résidence, que ce soit pour quelques jours (13,7 %) ou de manière plus pérenne (5 %).
♦ « INDISPENSABLE »
La mobilité est tout simplement « indispensable », considère Catherine Glanois, gérante de Tilt. « Sans cela, il est difficile de mettre en œuvre des politiques publiques, qu’elles relèvent de la scolarisation ou du retour à l’emploi. » Or, un tel service induit des dépenses inéluctables. « Le transport coûte cher, il n’y a pas de réseau rentable », affirme la spécialiste.
Pourtant, en Nouvelle-Calédonie, cela pèse moins sur les collectivités que sur les voyageurs. « Dans l’Hexagone, les tarifs sont devenus tellement intéressants que les recettes issues des tickets constituent environ 20 %, le reste étant de la subvention. Ici, si les dépenses sur le réseau sont semblables à des villes de même taille, ces recettes représentent 60 % contre 40 % d’argent public. »
♦ ALTERNATIVES
D’après le questionnaire, 58 % se sont dits favorables à la pratique du télétravail, 32,7 % à la mise en place de navettes maritimes et 37,6 % à celle de bus, 36 % à une application de covoiturage (il en existe une qui démarre, Wigo), mais aussi au développement de la marche et du vélo (30,2 %) et à une offre plus fournie de taxis. « Ils ont été nombreux à parler du manque d’infrastructures pour les deux-roues et à vouloir le retour de Tanéo », commente Élise Kaemo. Parmi les options, également, les espaces de travail partagés, le prêt de locaux entre entreprises, la mise à disposition de services dans les quartiers, ou encore la diminution des déplacements.
♦ FONCTIONNEMENT
La crise pourrait incarner une occasion de rendre le système plus efficient. Le plus important ? « Mutualiser, créer de la synergie et mettre l’argent public et les moyens humains au bon endroit. » Et, surtout, revoir le millefeuille de compétences et le nombre d’acteurs : communes, SMTU, provinces, gouvernement, Agence calédonienne de l’énergie, affaires maritimes et aviation civile. « Nous le savons depuis des années, mais c’est d’autant plus important de travailler tous ensemble aujourd’hui », souligne Catherine Glanois. L’experte en mobilité en est persuadée. « Avoir une vraie politique en la matière ne peut se faire que sous l’égide du gouvernement avec, au niveau local, les communes. »
LA DÉBROUILLE DANS LES QUARTIERS
À défaut de Tanéo, plusieurs initiatives, certaines déclarées d’autres non, ont émergé, comme les taxis 1000 et 500, les navettes associatives, le dépannage en échange de troc… Un soutien aux habitants, mais aussi un moyen de se faire quelques pièces.
C’est avec sa voiture personnelle que Jean-David Poarairoua a commencé à véhiculer des voisins après le 13 mai. Deux résidents de la cité de Tindu en attente de dialyse. « L’ambulance ne passait pas, il a fallu improviser pour se rendre au CHT et à la clinique, raconte le président de l’association des locataires, le comité sérénité Sic Tindu. On a même failli faire un accouchement ! » Un mois plus tard, deux navettes de neuf places sont mises en circulation. Premier départ à 5 heures. Dernier retour à 18 heures. Quatre chauffeurs ‒ des habitants du quartier « qui perçoivent une petite rétribution » ‒ assurent, chaque jour, plusieurs rotations entre le quartier de Ducos et port Moselle, le terminal.
L’association paye la location des minibus, les passagers leur trajet. Cinq cents francs l’aller-retour pour les étudiants, mille pour les travailleurs. Des courses individuelles sont également proposées. L’organisation n’est pas de tout repos, mais le service rencontre du succès. « J’ai dit que j’allais rendre la navette à la fin du mois et tout le monde a dit non. »
UNE PÉTITION
Ce système n’est pas destiné à perdurer. Du moins, pas sous cette forme. « C’est transitoire. L’idée, c’est que des petits transporteurs relient les quartiers à l’ancienne gare routière de Montravel et que le Néobus prenne le relais afin de desservir Nouméa, explique Jean-David Poarairoua. On veut montrer que c’est possible de faire nous-mêmes et revenir à quelque chose de plus simple et de plus humain. »
Ce projet est en réflexion au sein du comité sérénité Sic Tindu. Et le président de l’association est déterminé à plaider sa cause auprès des communes et de la province Sud. Il envisage une réunion d’information au public puis une pétition et, si le message n’est pas entendu, « d’occuper les ronds-points ».
Anne-Claire Pophillat