Avec la disparition, durant les émeutes, de 20 % des grandes surfaces commerciales du Grand Nouméa, la possibilité pour les agriculteurs d’écouler leurs produits diminue fortement. Une situation qui les oblige à repenser leur circuit de distribution habituelle.
Derrière « la plus grosse » table du marché de Ducos, ce samedi matin, Evelyne a le sourire. Il y a encore un mois, en raison des difficultés de circulation, cette colporteuse de fruits et légumes du nord n’avait rien à proposer à sa clientèle de Nouméa. Depuis des années pourtant, c’était devenu une habitude : « avec ma fille [gérante de l’entreprise, ndlr], on revend des produits à Ducos et au marché de Moselle du jeudi au dimanche », explique-t-elle. Au total, une quinzaine d’agriculteurs de Kaala-Gomen, Voh et Pouembout leur font confiance. « On est resté trois mois sans faire la route, on avait peur. […] Aujourd’hui, ça va, c’est correct. On reprend doucement », glisse Evelyne.
Comme elle, de nombreux petits agriculteurs réinvestissent les marchés de proximité. Certains y étaient déjà avant les évènements, d’autres y vendent leurs produits depuis peu de temps. « Depuis la crise, nous venons vendre des fruits et légumes au marché de Ducos pour éviter qu’il y ait trop de monde au chalet du Jardin calédonien, à Dumbéa. C’est devenu compliqué avec la mise en place des barrages, etc. », indiquent Julie et Evan, jobs étudiants au sein de la structure.
Outre l’option des marchés de proximité ‒ soutenus et organisés par la Chambre d’agriculture et de la pêche depuis le début des soulèvements afin de contrer les difficultés de transport ‒, de nombreux agriculteurs se sont également rassemblés en réseau ou se sont aidés. « On a vraiment vu une forme de solidarité. Certains se sont organisés pour faire le transport des fruits et légumes sous forme de relais d’une commune à l’autre. Ce n’était pas organisé de cette façon, mais par esprit d’entraide, ils l’ont fait », évoque Chloé Fillinger, direc- trice de l’Interprofession fruits et légumes (Ifel-NC).
« ÇA VA CONTINUER D’ÉVOLUER »
Aujourd’hui, certaines mesures mises en place durant cette période sont toujours en vigueur. Les équipes de la Coop1, basée à Normandie et rassemblant plusieurs agriculteurs du territoire, ont, durant les « temps forts » de la crise, mis en place et livré sur la commune de Dumbéa des paniers de fruits et légumes provenant de différents endroits du territoire et « tant bien que mal envoyés par les agriculteurs via des barges maritimes ou par la route, lorsque celle-ci était libérée ». Aujourd’hui encore, ce système de paniers perdure. « Même si nous sommes revenus à une organisation plus classique, il permet tout de même d’apporter un soutien aux agriculteurs pour écouler leurs produits », développe Franck Soury-Lavergne, membre de cette coopérative.
À l’heure actuelle, s’il est encore « trop tôt », selon Chloé Fillinger, pour constater une réelle évolution des modes de distribution classiques, « la crise a sans doute révélé, chez certains, la nécessité de diversifier leurs canaux de vente ». « Ce qui est sûr, c’est que ça a évolué et que ça va continuer d’évoluer. Des choses vont être gardées, d’autres non. »
Nikita Hoffmann
L’isolement des agriculteurs du Mont-Dore Sud
Si le transport des produits agricoles est globalement revenu à la normale sur la Grande Terre, pour les agriculteurs du Mont- Dore Sud, la situation est encore très complexe. La circulation étant impossible au niveau
de la tribu de Saint-Louis, Sylvie Birot Di Falco, éleveuse de porcs à Mouirange, est contrainte d’envoyer ses porcs à l’Ocef par barge. « Les équipes de l’Ocef placent leurs camions sur la barge, partent de Nouméa et viennent chercher mes porcs jusqu’ici », décrit l’éleveuse.
Un système qui, depuis qu’il a été mis en place, « soulage » l’agricultrice, même s’il induit « beaucoup de contraintes » et un coût certain. D’autant que ce trajet est effectué uniquement deux fois par mois pour le déplacement de 70 porcs, contre 43 par semaine en temps normal. « À partir de ce mois, ils viendront m’en chercher 70, trois fois dans le mois. Ce sera déjà mieux car, actuellement, c’est compliqué économiquement parlant », glisse la cheffe d’entreprise, qui bénéficie de l’aide de trois employés. « Lorsque la route de Saint-Louis sera totalement accessible,
ce sera un grand ‘’ouf’’.»