Un référendum particulier au 12 décembre

L’État a finalement maintenu la date du troisième référendum au regard de la situation sanitaire jugée satisfaisante. Ni la promesse de non-participation formulée par le LNKS, ni le deuil kanak d’un an décrété par le Sénat coutumier n’ont fait bouger les lignes. Entre deux solutions, le maintien a été jugé la moins mauvaise.

Cette nuit, l’information m’est arrivée que ce troisième référendum qui (…) est en cours de finalisation ou achevé «dans sa préparation ne sera pas fragilisé par des conditions sanitaires parce que la crise est maîtrisée et donc les Calédoniennes et les Calédoniens qui le souhaitent peuvent se rendre aux urnes le 12 décembre, et ils pourront le faire dans la paix, dans le calme. »

C’est au haut-commissaire Patrice Faure qu’est finalement revenue la mission d’annoncer la décision de l’État pour ce troisième référendum, un mois pile avant le jour J. Une annonce formulée à Ponérihouen, dans la mairie de Pierre Chanel Tutugoro, secrétaire général de l’Union calédonienne. L’État a visiblement souhaité ne pas faire tout un cérémonial de cette affaire, et surtout, ne pas la « localiser » à Paris.

L’État « assume ses responsabilités »

Les Voix du Non qui rassemblent la majorité des non-indépendantistes se sont logiquement félicités de cette décision. « Nous remercions l’État d’assumer ses responsabilités et ainsi d’offrir des perspectives d’avenir aux Calédoniens en nous donnant la possibilité de clôturer la période de l’Accord de Nouméa. » Pour Sonia Backes, présidente des Républicains calédoniens, « rien n’aurait justifié un report » et l’État « pour la première fois depuis 20 ans », a résisté aux « pressions des indépendantistes. » « L’État n’a pas tremblé, a commenté Nicolas Metzdorf, président de Générations NC. Ce n’est pas une victoire des loyalistes. C’est simplement la réaffirmation du principe démocratique en Nouvelle-Calédonie. »

Calédonie ensemble, qui a « toujours considéré que seul le critère sanitaire devait déterminer ce choix », a estimé que nous devions – comme partout dans le monde – effectivement nous adapter et assumer les rendez-vous du suffrage universel. « Il n’y a aucune raison qu’on congèle la démocratie », a défendu Philippe Michel sur les ondes.

Tous regrettent la politique de la chaise vide menée par les indépendantistes, mais indiquent qu’ils seront là au lendemain du vote pour discuter d’un avenir partagé.

L’Éveil océanien, autre parti habilité à faire campagne, expliquera son positionnement pour la troisième consultation vendredi, lors d’une conférence de presse.

Le scrutin sera contesté

Côté indépendantiste, la charge la plus forte est venue du Palika. « Cette décision inique relève de la provocation politique (…) Elle s’apparente à une véritable déclaration de guerre contre le peuple kanak », a écrit Charles Washetine dans un communiqué. « L’État a choisi de prendre fait et cause pour la droite coloniale. » Ce « coup de force anéantit plus de trente ans d’efforts (…) met à mal toute possibilité de dialogue sur l’avenir du pays (…) et pourrait engendrer une situation de tension dangereuse pour la paix civile. » Depuis, Charles Washetine a reconnu avoir tenu des « propos excessifs », mais ils ont eu l’impact escompté puisqu’ils ont largement retenti dans la presse nationale.

Du côté de l’UC, Daniel Goa, Roch Wamytan ou encore Gilbert Tyuienon ont été d’emblée un peu plus nuancés sur la forme, tout en maintenant leur position sur la non-participation. Daniel Goa a demandé aux personnes de ne pas faire de provocation et appelé les maires indépendantistes à ouvrir les bureaux de vote. Mais il a maintenu une certaine ambiguïté en disant que les troubles n’étaient pas non plus à exclure, sachant que les consignes sont moins suivies que par le passé.

Pour la suite, les indépendantistes promettent de saisir l’ONU sur la sincérité du résultat de cette « consultation d’autodétermination sans le peuple colonisé ». Une gageure, sachant que personne n’est empêché de voter par l’organisateur (lire par ailleurs).

Le référendum se tiendra donc comme prévu, le 12 décembre. Et on peut regretter un tel contexte. Plusieurs questions se posent : comment va se dérouler le scrutin ? Les électeurs indépendantistes vont-ils suivre les consignes ? Quel sera le poids du résultat du troisième référendum par rapport aux deux autres ? L’UC a indiqué qu’elle serait à la table des discussions et le Palika affirme rester dans le dialogue. Les élus vont-ils réussir à élaborer dans ce contexte un dispositif consensuel, alors que les uns brandissent le « droit inaliénable à l’autodétermination » tandis que les autres défendent le droit de rester dans la République avec notamment le problème du corps électoral ? En attendant, le 13 décembre, il n’y aura sans doute pas de véritables vaincus dans la perception générale et on peut imaginer que cela arrange au moins les indépendantistes.


Sébastien Lecornu : « Trouver un chemin commun »

Invité d’Europe 1 dimanche, le ministre des Outre-mer est revenu sur la décision de l’État. « Ce n’est pas le choix d’un camp contre un autre. Si les loyalistes avaient également demandé le report, il y aurait eu vote quand même », a dit Sébastien Lecornu au micro de Jean-Pierre Elkabbach.

Sur la question de la légitimité, le ministre, tout en disant ne pas se réjouir de cette situation, a redit qu’il n’y aurait pas d’impact sur la sincérité juridique du vote, celui-ci n’étant pas obligatoire. On peut ajouter que c’est également l’aboutissement d’une série de trois référendums et que ce dernier est organisé comme les deux premiers qui ont été incontestables. Mais il a concédé qu’il y aurait des implications politiques en raison des deux premiers référendums, qui ont montré des résultats particulièrement serrés.

« Vous avez un corps électoral qui est pratiquement à 50/50, a résumé le ministre. Le 13 au matin, vous aurez d’un côté 50 % de la population, un peu plus un peu moins, qui dira ‘l’affaire n’est pas terminée, l’autodétermination doit prospérer’, et vous aurez une autre partie de la population, loyaliste, militant pour la République, qui dira ‘trois fois de suite on a eu notre Non, désormais nous avons acquis notre droit à rester dans la République’. Pour l’État et le gouvernement, l’enjeu va être de trouver un chemin commun. »

Ce chemin commun, a-t-il expliqué, passera par les urnes d’ici juin 2023. Il faudra soit se doter d’une Constitution (en cas de Oui), soit examiner la situation ainsi créée (en cas de Non), sachant que les dispositions spécifiques et transitoires des textes français sur la Nouvelle-Calédonie n’ont pas vocation à perdurer.


Charles Washetine, porte-parole du Palika : « Une décision prise en dépit du bon sens »

DNC : Comment analysez-vous le positionnement de l’État sur le maintien de cette consultation ?

Charles Washetine : L’État a décidé de maintenir coûte que coûte cette consultation et je trouve que c’est totalement absurde d’organiser un scrutin d’autodétermination, qui plus est la troisième consultation, sans le peuple colonisé. On est dans une période électorale, il y a les élections en France, le Président a dit clairement que la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie et le Premier ministre a dit que pour le gouvernement actuel, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie serait dans la France. Et puis localement, il y a eu une poussée de la droite pour que le scrutin se tienne. Donc d’une certaine manière, l’État a cédé. On a sacrifié la question de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie sur l’autel des élections. Quel sens donne- t-on à un scrutin auquel le peuple colonisé ne participe pas ? Encore une fois, on va nier les demandes des Kanak d’ordre culturel et identitaire et je trouve que c’est une insulte, d’une certaine manière.
Le drame, c’est que depuis les accords, on a travaillé ensemble avec ceux qui ne sont pas titulaires du droit à l’autodétermination à voir comment ce droit, qu’on a partagé avec les autres, peut s’exercer dans des conditions qui permettent de voir l’avenir dans un pays serein et apaisé. La décision de l’État divise le peuple calédonien. Avec derrière, le seul critère de vouloir continuer à être dans la République.

Comment envisagez-vous la suite ?

On va contester les résultats. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure on peut saisir les instances internationales. On alertera l’opinion internationale. Ce sera notre priorité. Et il ne faudra pas que sur la base de ces résultats, l’État s’engage pour la promotion du projet du Non qu’il a inscrit dans son document. Ce qui transparaît dans le document du Non, c’est vraiment un retour en arrière avec, notamment, une reconsidération du corps électoral, on ne pourra pas non plus arrêter là les transferts de compétences. On reviendra aussi à la charge pour rappeler qu’on plaide pour une indépendance en partenariat. Le projet tel qu’il est esquissé est une indépendance de rupture, comme par exemple en Algérie. Nous, la décolonisation, on l’a pensée dans le cadre d’un dialogue et on aurait aimé que ce dialogue aille jusqu’au bout et qu’on sorte du processus de décolonisation par le haut.


Sonia Backes, présidente des Républicains calédoniens : « Un positionnement inédit depuis 20 ans »

DNC : Comment analysez-vous le positionnement de l’État sur le maintien de cette consultation ?

Sonia Backes : Les loyalistes considèrent cela comme une victoire alors qu’en réalité, c’est simplement normal parce qu’il n’y avait aucune raison valable de reporter la date qui avait été fixée. Mais comme l’État, depuis 20 ans, a toujours donné raison aux indépendantistes dès qu’ils menaçaient ou dès qu’ils tapaient un peu du poing sur la table, eh bien, on est plus habitués à ce que l’État prenne simplement ses responsabilités et des décisions normales. Je rappelle que depuis 20 ans, ils ont gelé le corps électoral, accepté l’inscription automatique des natifs au détriment des autres, traité la question de la prolongation des inscriptions dans les bureaux de vote délocalisés alors que l’étape était finie… Enfin, à chaque fois qu’il y a une décision à prendre avec une pression des indépendantistes, ils ont toujours été dans le camp des indépendantistes, donc la réalité, c’est que cette décision n’est pas partisane pour le camp loyaliste, c’est simplement une décision de l’État de maintenir sa position et de ne pas céder aux menaces des indépendantistes. On a été mal habitués ou bien habitués, je ne sais pas, mais en tout cas, on n’a pas l’habitude que ça se passe comme ça.

Comment envisagez-vous la suite ?

Il n’y a pas d’ambiguïtés sur le fait qu’on ne puisse pas être dans ou en dehors de la République. Donc là, très clairement, après le troisième Non, on sera d’une part à la sortie de l’Accord de Nouméa et, deuxièmement, à l’intérieur de la République. Ça, c’est une certitude. Ensuite, une fois que l’on a posé cela, les discussions sont ouvertes. Nous, on défend un certain nombre de choses en matière d’organisation institutionnelle parce que le gouvernement collégial ne fonctionne plus, le système de répartition des richesses ne fonctionne plus, notre administration est d’une lourdeur incroyable, etc. On est arrivés au bout du bout et on défendra notre vision de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. On mettra cela sur la table, mais ça n’empêchera pas de discuter avec les autres.


Une lettre au ministre

Les raisons de la non-participation ont été rappelées dans une lettre adressée au ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, par les groupes indépendantistes au Congrès : une situation sanitaire qui n’est pas stabilisée, le risque d’une seconde vague, le bouleversement des cérémonies coutumières de deuil. Les groupes jugent, par ailleurs, que le document du Oui et du Non de l’État, « réclamé depuis plus de cinq ans », est à charge contre le Oui et qu’il doit être expliqué.


Une lettre aux Calédoniens

Dans une lettre aux Calédoniens, le président du Rassemblement, Thierry Santa, a indiqué qu’il importait que la mobilisation du camp indépendantiste reste totale « afin de démontrer qu’il reste bien majoritaire et uni pour souhaiter le maintien au sein de la République française ». Il ajoute qu’il faut toutefois être conscient que cette étape, si elle nécessaire pour avancer, n’est pas une fin, mais « le début de la construction de notre chemin commun ». En préparant cette ultime consultation, dit-il, « ce n’est pas la victoire d’un camp que nous recherchons, mais celle de toutes les populations ». « C’est toujours par le dialogue et la confrontation des idées que la Nouvelle-Calédonie a avancé. »

C.M.

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