Un pas de plus vers la réconciliation

Revenus au pays en 2014, les reliques du grand chef Ataï et de son dao ont été inhumés mercredi dans le caveau du mausolée qui leur est dédié à Wéréha, en présence de l’État, du gouvernement, du Congrès, des représentants des trois provinces et des différentes aires du pays. Les cérémonies coutumières et les discours ont marqué une volonté de reconnaissance de l’histoire et de construction d’un avenir commun. Mais, un long chemin reste à parcourir.

« Les vieux vont pouvoir se reposer en paix dans la terre qui les a vus naître. » Après 143 ans d’errance, les reliques d’Ataï et de son dao ont été inhumés mercredi dans le mausolée qui leur est dédié sur les terres de l’ancien grand chef à Wéréha, sur le site de Fonwhary, entre La Foa et Sarraméa. Le jour anniversaire de la date de leur mort, le 1er septembre. Les restes des deux hommes ont achevé leur périple, après la France et la tribu de Petit Couli. Les cercueils d’Ataï et de Méche ont trouvé leur place dans le caveau au centre des huit poteaux sculptés représentant les aires du pays. « Ils vont dormir sur la terre qu’ils ont tant aimée », poursuit Yvon Kona, nouveau président du Sénat coutumier de l’aire Xârâcùù.

« Un symbole d’insurrection devenu symbole de paix »

Le combat de toute une vie pour Bergé Kawa, descendant d’Ataï. « Je ressens de la joie, je suis très heureux d’en arriver là, car j’ai tout fait pour ça, c’est une grande fierté pour moi. » Le fruit d’un travail commun, la participation de chacun ayant permis la réussite de ce projet. « C’est un exemple de la volonté des uns et des autres de construire un pays où chacun trouve sa place, pose Cyprien Kawa. Le symbole d’insurrection est devenu un symbole de paix. » Un moment historique, car Ataï représente également tous les chefs et combattants qui n’ont jamais été retrouvés. « Il symbolise ceux qui ont perdu leur tête et qui n’ont pas eu de sépulture », déclare Roch Wamytan, président du Congrès. Une étape nécessaire. « C’est l’histoire de tous. Un peuple qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre. » Une façon, aussi, de guérir les blessures. « Cela concerne l’ensemble des citoyens du pays et permet de rééquilibrer par rapport à la mémoire kanak, longtemps oubliée », déclare Raphaël Mapou. Une journée de réconciliation pour Sonia Backes, présidente de la province Sud, et de recueillement pour Louis Mapou, président du gouvernement. « C’est un jour d’introspection collective. L’histoire est douloureuse parce qu’elle transporte des non- dits. Ce moment nous grandit tous. »

Nicolas Metzdorf et Sonia Backes ont accroché la plaque des 32 noms de colons tombés le jour de la révolte sur une grosse pierre à l’entrée du site.

Une plaque pour les 32

Mais en ce jour de « réconciliation », deux moments de tension ont marqué les esprits. Lorsque Nicolas Metzdorf, maire de La Foa, et Sonia Backes, ont apporté une plaque sur laquelle est gravée le nom de 32 colons de Fonwhary tués lors de la révolte. « Pour réunir tous les Calédoniens, il faut que personne ne se sente mis de côté, explique Nicolas Metzdorf. Les victimes ont des noms. C’est notre légitimité à être là. » Un manque de cohérence, estime Raphaël Mapou, le timing n’est pas le bon. « Le geste que vous apportez, normalement, c’est la séquence d’après. C’est la réconciliation avec le monde kanak, avec vous et avec la France. » La plaque des 32 noms trouvera finalement sa place à la fin de la cérémonie sur une grosse pierre à l’entrée du site. Et puis, il y a eu le discours de Bergé Kawa, qui a évoqué le combat des « militants anticoloniaux qui poursuivent la lutte entreprise en 1878 pour la libération du peuple kanak », « l’accession à la pleine souveraineté » et les conséquences de la colonisation, « éradication physique et culturelle du monde kanak pour y installer une colonie ». Des mots qui ont fait réagir Nicolas Metzdorf, qui a changé son discours à la dernière minute. « Nous ne pouvons tolérer ce qui parle de guerre alors que nous devons bâtir un peuple rassemblé. Nous reconnaissons et soutenons le processus avec Ataï, mais cela doit se faire dans un esprit de partage. »

Un nouveau départ

Tous n’ont eu de cesse d’évoquer l’avenir et leur capacité à œuvrer ensemble. Ce n’est que le début d’un long processus pour Sonia Backes. « Il nous reste encore beaucoup à faire pour rééquilibrer les choses, mais ce jour doit signer celui d’un nouveau départ, celui de se considérer au même niveau afin de ne plus nous opposés. » D’autant que le 13 décembre, quel que soit le résultat du référendum, tout le monde sera là pour construire autre chose. « Nous le ferons ensemble et sans haine », insiste Patrice Faure, le haut-commissaire. Une page qui se tourne, glisse Roch Wamytan, alors que l’Accord de Nouméa arrive à son terme. La situation n’est plus la même. « Il y a 143 ans, on était l’un en face de l’autre, maintenant on est l’un à côté de l’autre, affirme Yvon Kona. Je nous demande à tous de s’asseoir et de régler les conflits, il va falloir apprendre à partager pour plus d’équilibre. » La marque d’une identité commune naissante ? « Notre pays, c’est la Calédonie de demain », indique Roch Wamytan. Un pas pour poursuivre le travail de mémoire et de réconciliation. À la fin de la cérémonie, Cyprien Kawa a donné le drapeau du FLNKS et de Tiri à Nicolas Metzdorf pour qu’ils soient mis à la mairie de La Foa. Et si cela pouvait être un deuxième pas ? Sur le site, les travaux ne sont pas finis. L’inauguration est prévue en septembre 2022, dans un an, à la levée de deuil.

 

La phrase : Miguel Harbulot, président de la Fondation des pionniers

« Cela fait partie de notre histoire commune. Le 25 juin, des colons ont été massacrés. Une stèle a été posée à la mémoire de toutes les victimes de l’insurrection, c’est important cette reconnaissance des deux côtés. Les plaies du passé sont maintenant pansées, il nous appartient à tous de continuer notre histoire commune. Il faut regarder l’avenir. C’est notre héritage, mais Ataï va retrouver la paix et cela va nous permettre d’avancer. »

 


 

Interview de Seloua Luste Boulbina, philosophe franco-algérienne

« Ataï a retrouvé toute son humanité »

Seloua Luste Boulbina est spécialiste en études post-coloniales.

La question de la restitution est moins récente qu’il n’y paraît. Déjà évoquée dans les années 1960, la problématique est finalement apparue dans le débat public et politique plus récemment. Explications.

DNC : Qu’est-ce qu’une restitution ?

Seloua Luste Boulbina : Lorsque le Festival panafricain a lieu à Alger en 1969, un « manifeste culturel panafricain » est élaboré. Il en ressort que seule la culture a permis aux Africains de résister au colonialisme et de rester eux-mêmes. La conséquence est que ce qui a été « déplacé » doit être rapatrié. En 1973, l’ONU se prononce sur la restitution. Les Français ont souhaité distinguer « restitution », quand l’acquisition est illicite, et « retour », quand elle est licite. On parle ainsi du « retour » d’Ataï.

Il faut distinguer les œuvres d’art des restes humains…

Pour les œuvres d’art, Emmanuel Macron a commandé un rapport en 2017. Pour les restes humains, le cas de Sawtche Baartman (Vénus hottente, NDLR) est emblématique. Cette problématique du XXIe siècle est double. D’abord d’État à État et ensuite, à partir de 2007, d’État à populations autochtones. La déclaration de l’ONU sur leurs droits inclut la restitution des biens culturels et des restes humains. Bergé Kawa, descendant d’Ataï, a participé à ces discussions en 2006.

Quelle symbolique représentait la tête ?

Ceux que les uns voient comme des personnes, des ancêtres, les autres les voient comme des objets de collection. Ainsi, les restes humains, notamment les crânes, n’ont pas été traités, en Europe, comme ceux de personnes mortes mais comme des biens culturels appartenant au patrimoine national.

Pourquoi ces restes humains et ces crânes étaient conservés, qu’est-ce que cela signifiait pour les puissances coloniales ?

Ce sont des trophées quand il s’agit de conflit armé. Ce sont des tributs à la science, à l’anthropologie physique – devenue anthropologie biologique, même si l’anthropologie culturelle prévaut désormais. Nous héritons de certaines représentations et de certaines habitudes sans le savoir. C’est à nous de retenir ce qu’il faut et d’écarter ce qui ne doit pas être repris ou reproduit.

Quel est le sens de la restitution d’Ataï et de son dao dans ce contexte ?

La disparition de certains fantômes, c’est-à- dire de ce qui vient troubler le présent, et fait souffrir, est une nécessité. Celle-ci implique non seulement les populations kanak et européennes, mais aussi, étant données les circonstances de la disparition d’Ataï, les populations kanak entre elles. Cette histoire concerne la Nouvelle-Calédonie dans son ensemble. L’inhumation d’Ataï est mémorielle et témoigne du lien entre les vivants et les morts. En outre, Ataï a quitté le monde des choses pour revenir au monde des hommes. Il a retrouvé toute son humanité.

 


Qui était Ataï ?

Ataï s’est opposé aux spoliations foncières. Alors qu’une grande sécheresse sévit, le grand chef se révolte contre l’accaparement des terres par les colons et leur bétail, qui détruisent les cultures, en 1878. Il est arrêté avec son sorcier, Méche, à Amboa. Tous deux sont décapités le 1er septembre par un membre des clans rivaux de Canala, soutien de l’armée française qui réprime durement la rébellion. C’est plus tard qu’Ataï devient l’incarnation et le symbole de la révolte kanak, notamment avec un ouvrage d’Apollinaire Anova Ataba, D’Ataï à l’indépendance. La figure du grand chef s’inscrit dans l’essor du mouvement nationaliste de la fin des années 1960, c’est un emblème de la libération du peuple kanak – une des premières formations indépendantistes se baptise d’ailleurs Groupe 1878. Dans son ouvrage Ataï, un chef kanak au musée. Histoires d’un héritage colonial, Christelle Patin souligne qu’à l’époque, la révolte a été médiatiquement amplifiée par le pouvoir afin de justifier la férocité de son écrasement. Le statut de grand chef de guerre donné à Ataï légitime aussi son exécution.

136 ans en Métropole

Les têtes d’Ataï et de son dao partent pour la France en 1879. D’après le travail mené par Christelle Patin, ces restes et leurs moulages sont exposés à Toulouse en 1884 ainsi qu’à l’Exposition universelle de Paris en 1889, avant d’être oubliés. Ils sont intégrés aux collections du musée de l’Homme en 1951. Pendant longtemps, des rumeurs circulent sur le fait qu’ils ont été perdus. Le crâne d’Ataï fait sa réapparition en 2011. Il était en fait conservé dans les réserves du musée de l’Homme, qui possède aujourd’hui 18 000 crânes.

La restitution

Cela fait plus de 40 ans que Bergé Kawa, descendant d’Ataï, se bat pour sa restitution. La France s’y engage dans les accords de Matignon, puis dans ceux de Nouméa. Le Sénat coutumier relance l’État en 2003. Une nouvelle demande est adressée par Bergé Kawa en 2012 et des manifestations sont organisées en Nouvelle-Calédonie pour demander son retour. La restitution des restes humains aux familles a finalement lieu le 28 août 2014 à Paris au Muséum national d’histoire naturelle avant leur arrivée à La Tontouta le 2 septembre. Depuis, Ataï et son dao patientaient à la tribu de Petit Couli, à Sarraméa.

Un mausolée à venir

Le site funéraire repose sur le seul lot qui appartenait au gouvernement dans la zone. Le mausolée se trouve dans l’espace géographique de la tribu d’Ataï, nommée Winrinha. Entouré de huit poteaux sculptés, il comprend une case en béton qui couvrira le caveau ainsi qu’une petite salle muséale. La première pierre a été posée le 25 juin dernier, en référence au 25 juin 1878, où quatre gendarmes sont tués à La Foa, lors de l’assaut du chef de guerre des Daweri. Une stèle a été dévoilée par Bergé Kawa à la mémoire de toutes les victimes de l’insurrection. Le budget est d’environ 80 millions de francs, financés par l’État, le gouvernement, les communes, la province Sud et le clan Daweri.

 


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