Le loyaliste Nicolas Metzdorf et l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou sont les nouveaux députés de la Nouvelle-Calédonie. Au-delà de l’association historique des sensibilités politiques, les chiffres témoignent d’une évolution majeure dans les équilibres.
PLUS DE 10 000 VOIX DE DIFFÉRENCE
Si Nicolas Metzdorf, de l’union Loyalistes et Rassemblement-LR, est réélu par 52,41 % des voix face à Omayra Naisseline cette fois dans la première circonscription, Emmanuel Tjibaou, des Indépendantistes et Nationalistes, l’a emporté avec 57,44 % des suffrages devant Alcide Ponga dans la seconde. Ce choc des traditionnels blocs politiques aux élections législatives anticipées dans les deux zones apporte une conclusion nouvelle, et de taille, par rapport au scrutin de 2022 qui offrait une confrontation des sensibilités similaire.
Après une addition simple des bulletins à ce deuxième tour, les indépendantistes obtiennent 83 123 voix, et les loyalistes 72 897. Soit une différence notable d’un peu plus de 10 000 suffrages. Alors qu’au précédent vote, en 2022, les candidats partisans de la Nouvelle-Calédonie française avaient réuni 57 050 électeurs, contre 39 479 pour les engagés en faveur de la pleine souveraineté.
Le rapport de force s’est donc inversé dimanche 7 juillet. « C’est la première fois, dans l’histoire des élections en Nouvelle-Calédonie, que le vote indépendantiste est majoritaire », observe Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique. « Il y aura un avant et un après. » Ce poids électoral des sympathisants du FLNKS et des nationalistes va jouer lors des discussions sur l’avenir institutionnel du territoire.
D’autant que les indépendantistes gèrent six institutions calédoniennes sur sept et disposent désormais d’un député ‒ le dernier était Rock Pidjot en 1981 ‒, en plus d’un sénateur. Conforté par les résultats des consultations d’autodétermination favorables au maintien de l’archipel dans le giron français, le camp loyaliste ressort de ces élections fragilisé.
LISTE À RÉVISER
Le phénomène des récents départs d’habitants de la Nouvelle-Calédonie a-t-il pu avoir une influence sur les résultats de ces élections législatives ? Des responsables loyalistes mettent en avant cet argument pour expliquer un score aussi serré dans la première circonscription ‒ moins de 3 200 voix entre Nicolas Metzdorf et Omayra Naisseline.
Comme l’indiquait effectivement un rapport d’information du Sénat publié il y a un an avec des données de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee), « le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, ce qui représente 2 000 départs nets par an ». La part de la population kanak, plus sensible à la cause indépendantiste, a ainsi augmenté mécaniquement.
Nicolas Metzdorf, s’appuyant sur les chiffres de la CCI, estime à 20 000 le nombre de départs en dix ans. Toutefois, ce paramètre des vols sans retour en est un parmi d’autres ayant agi sur les résultats électoraux.
D’après les services du haut-commissariat, 222 101 électeurs figurent sur la liste électorale générale. Ce qui peut paraître un chiffre important au regard de la population évaluée à 270 000 personnes.
Un nombre conséquent d’habitants a été inscrit ces dernières années « sans forcément en effacer d’autres », remarque Pierre-Christophe Pantz.« Un toilettage des listes doit être opéré. »
UNE CALÉDONIE FRACTURÉE
Même si les deux scrutins sont bien différents, parce que les objectifs ainsi que les corps électoraux ne sont pas les mêmes, ces élections législatives anticipées du dimanche 7 juillet constituaient une forme de consultation d’autodétermination dans l’esprit de beaucoup d’électeurs.
L’évidente raison : de très fortes revendications indépendantistes se sont mêlées à l’opposition à la loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial, une contestation qui a provoqué bon nombre d’exactions depuis le lundi 13 mai. La Nouvelle-Calédonie sort encore plus fracturée qu’en 2022.
Emmanuel Tjibaou réalise par exemple 92,31 % des voix à Thio, Alcide Ponga en rassemble 63,12 % à Dumbéa. Tandis que Nicolas Metzdorf s’octroie moins de 2 % des suffrages en moyenne dans les îles Loyauté. Un score de défiance, voire de rejet, pour le député sortant candidat qui était le rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial.
Un soutien aussi faible dans cette province, « c’est un record », explique le chercheur Pierre-Christophe Pantz. Si des passerelles existaient auparavant entre les sensibilités loyalistes et indépendantistes, des Kanak votant pour le Rassemblement notamment, cette fois « le vote est plus encore ethnicisé, sur des lignes politiques encore plus radicales », souligne le docteur en géopolitique. Les nouveaux députés ont tout deux appelé au dialogue durant la campagne.
Yann Mainguet