Un non un peu moins ferme

Avec 85,69 %, la participation des Calédoniens à la deuxième consultation sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie est historique. Le scrutin a une nouvelle fois vu la victoire sans appel du non à 53,26 %. Un résultat qui est toutefois à nuancer puisque le oui progresse de près de 3,3 % et que les indépendantistes interprètent comme une victoire dans l’optique d’une troisième consultation à l’horizon 2022.

La participation à ce deuxième scrutin est historique. Les Calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation (LESC) et appelés à se prononcer sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle- Calédonie se sont massivement rendus dans les 304 bureaux de vote. Au total, 154 918 électeurs ont glissé leur bulletin dans l’urne, soit un taux de participation de 85,69 %. Une nouvelle fois, le non est sorti largement majoritaire à 53,26 %, contre 46,74 % pour le oui.

Comme l’ont souligné les Loyalistes, la victoire est claire, mais appelle toutefois à davantage de nuance tant l’évolution entre les scrutins de 2018 et 2020 est notable. Pour mémoire, en 2018, les inscrits sur la LESC avaient donné le non majoritaire à 56,67 % contre 43,33 % pour le oui. Ce dernier progresse donc de 3,4 %. Le nombre d’électeurs en faveur du maintien dans la France représente 2 769 voix supplémentaires par rapport à 2018 pour 11 334 en plus pour les partisans de l’indépendance, soit quatre fois plus. Un constat qui montre que les partis indépendantistes ont réussi à mobiliser les électeurs et en particulier les abstentionnistes.

La campagne qui était plus radicale, d’un côté comme de l’autre, confirme la bipolarisation de la Nouvelle-Calédonie sur la question institutionnelle, mais la nette progression des indépendantistes est accueillie comme une victoire pour leur camp. Un signe d’encouragement pour la troisième et dernière consultation, prévue par l’Accord de Nouméa. Selon la loi organique, elle pourrait être demandée par au moins 18 élus du Congrès dans les six mois suivant le dernier scrutin, soit au début du mois d’avril 2021 pour une organisation en 2022.

Une progression générale du oui

Au niveau communal, y compris dans les communes les plus acquises à une Calédonie française comme Farino (le non passe de 90,82 % à 88,54 %) ou encore Bourail (de 69,09 % à 67,28 %). Seul Poya Sud parvient à quasiment maintenir le score de 2018 (97,95 % contre 97,69 %) ainsi que Boulouparis (69,74 % contre 69,19 %).

À Lifou, Maré et Ouvéa, les électeurs se sont bien mobilisés par rapport au scrutin de 2018 où un appel au boycott avait été lancé par le Parti travailliste. Ce qui n’a pas été le cas, cette fois-ci, même s’il reste encore un réservoir de voix important. Sans surprise, les trois îles ont voté massivement en faveur de l’indépendance : 86,49 % à Lifou, 79,29 % à Maré et 86,18 % à Ouvéa. Le choix des Si Nengone était particulièrement attendu puisque la consigne d’un vote pour le non avait été donnée par la Dynamique autochtone LKS, parti créé par l’ancien grand chef de Maré, Nidoïsh Naisseline. Et de fait, la consigne est plutôt bien passée puisque certains bureaux ont vu le non friser les 40 %.

Les résultats du Grand Nouméa étaient très attendus. À elles seules, les quatre communes de l’agglomération représentent un peu plus de 55 % des inscrits de la LESC. L’évolution des votes a donc un poids prépondérant pour le résultat final. Comme ailleurs, le oui y progresse. C’est tout particulièrement le cas à Dumbéa où les Loyalistes perdent près de 5 %, passant de 78,24 % à 73,71 %, confirmant la poussée indépendantiste des élections municipales et le retour ou l’arrivée de représentants des différentes mouvances au sein des conseils municipaux. Au Mont-Dore, la progression du oui est de 2,6 %.

Parmi les communes du Grand Nouméa, les résultats de Païta ont été particulièrement scrutés en raison du non-positionnement de l’Éveil océanien, largement implanté dans la commune. De manière générale, la baisse du non est de 2,87 %, mais certains quartiers populaires, comme les Scheffleras qui compte une part notable d’électeurs originaires de Wallis-et-Futuna, ont vu le oui progresser de manière notable. Sur les quatre bureaux du quartier, le pourcentage de oui a gagné 3 à 4 %. Un seul bureau a vu le non progresser de 2 %.

La capitale, Nouméa, n’échappe à la tendance globale puisque le pourcentage en faveur de la France passe de 80,51 % à 76,69 % (un recul de 3,82 %). Les Loyalistes ont dénoncé à plusieurs reprises le rôle des pressions exercées par les militants indépendantistes, notamment devant les bureaux de vote. Francis Lamy, le président de la mission de contrôle de la consultation a, pour sa part, estimé que ces agissements, et en particulier la présence de nombreux drapeaux sont regrettables, mais n’étaient pas de nature à influencer les résultats. Les quartiers Sud ont voté massivement pour le non alors que les quartiers Nord se sont davantage tournés vers le oui. À noter que la mobilisation des quartiers Sud est globalement assez importante. Celle dans les quartiers Nord a, en revanche, sensiblement progressé. Il demeure toutefois encore des abstentionnistes, laissant entrevoir une potentielle réserve de voix pour les indépendantistes, plus que pour les partisans du non.

Les observateurs comme Louis-José Barbançon estiment que le caractère plus radical de la campagne a certainement joué en faveur du oui. Si les Loyalistes ont expliqué faire campagne pour défendre leur projet, force est de constater que les discours ont largement porté, comme en 2018, sur la critique du projet indépendantiste. L’alliance avec le Rassemblement national, parti d’extrême droite, qualifié de « droite plus ferme », a peut- être également dissuadé certains électeurs de se rallier aux Loyalistes.

Le paradoxe d’une victoire

Il existe, enfin, dans certaines familles d’origine européenne implantées en Nouvelle-Calédonie depuis de nombreuses générations, le sentiment que leurs voix ne sont aujourd’hui plus portées par les Loyalistes. Ces électeurs voient dans la nouvelle génération de responsables de ces formations, de jeunes élus essentiellement urbains, très tournés vers la Métropole, qui connaissent mal la « Calédonie broussarde ». Les résultats dans les communes comme Pouembout, où le oui obtient 48,17 % (en progression de 1,64 %) et où la communauté kanak représentait 36 % au recensement de 2014, en est une illustration (un chiffre à prendre avec précaution dans le sens où le total de la population de Pouembout comprend des personnes non inscrites sur la LESC).

Comme l’a également souligné Louis-José Barbaçon, lors de son passage au journal télévisé de nos confrères de Nouvelle-Calédonie La 1ère au lendemain du scrutin, le non apparaît comme une position sur le déclin, alors que le oui est porteur d’espoirs, en particulier chez les jeunes. Une jeunesse qui s’est tout particulièrement mobilisée, expliquant au moins en partie cette progression.


Encore quelques réservoirs de voix

Si la participation a été particulièrement importante, il n’en demeure pas moins qu’il subsiste des réservoirs de voix. C’est le cas de la province des Îles, où la participation a atteint 76,47 % à Lifou, 71,90 % à Maré et 74,81 %. Tout comme dans les quartiers Nord de Nouméa. À elle seule, la capitale concentre 7 956 abstentionnistes sur les 25 881 qui n’ont pas participé au scrutin. Pour mémoire, la différence de voix entre le oui et le non est désormais de 9 970, alors qu’elle était de 18 535 en 2018.

M.D.

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