Une nouvelle poignée de main pour relancer les discussions ? La première semble indépassable pour les représentants politiques indépendantistes ou non-indépendantistes et l’État. Elle appartient au passé, alors que tout reste à faire.
En politique, nul ne saurait ignorer la poignée de main qui a rythmé les 35 dernières années. Les représentants calédoniens qui l’ont vécu la gardent en mémoire. Les générations suivantes assurent en être marquées. Selon Roch Wamytan, membre UC de la délégation FLNKS, la Nouvelle-Calédonie est « toujours dans cette démarche initiée par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur pour ramener la paix et construire la communauté de destin », qui, avoue-t-il, « a pris un coup ».
La poignée de main demeure « une référence » dans les discussions actuelles, assure le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc. Mais les différents représentants calédoniens seraient-ils prêts à, et capables de, refaire ce geste de réconciliation et de dialogue hautement symbolique ?
La difficulté des indépendantistes et non-indépendantistes à s’asseoir autour d’une même table laisse imaginer que non. « Ce n’est pas nécessaire d’avoir un acte symbolique aussi fort, tranche Louis Le Franc. À l’époque, il fallait cesser les hostilités et construire ensemble l’avenir. » Les négociations en cours sont censées emprunter ce chemin. Elles devraient bientôt connaître une nouvelle étape avec la reprise des discussions à trois. C’est, du moins, le vœu du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer.
« ON SE CONNAÎT TOUS »
Imaginer une nouvelle poignée de main, pour quoi faire ? « On se connaît tous maintenant », rétorque Roch Wamytan. La situation est différente, les armes se sont tues. Gardons-la dans les manuels d’histoire et en héritage, écarte Sonia Lagarde. « En 1988, elle était importante. On sortait d’événements extrêmement graves, explique la maire de Nouméa. Je ne pense pas qu’on puisse refaire les choses de la même manière. La formule a été utilisée, il faut leur laisser. »
L’élue de la majorité présidentielle s’attend plutôt à un acte symbolique différent qui aura le même but : « s’arrêter et regarder devant ». Une action d’Emmanuel Macron ? Pourquoi pas. « Le peuple kanak attend ça », affirme Roch Wamytan. Les deux partenaires locaux ont déjà fait un pas l’un vers l’autre, insiste le président UC du Congrès. Il propose à la place un geste présidentiel pour « prolonger la poignée de main de nos deux anciens », en reconnaissant « qu’on est chez nous ».
Charles Washetine, porte-parole du Palika, défend l’idée d’un processus à terminer, avant de se serrer la main. « On peut faire autant de poignées de main qu’on veut, si on ne va pas au bout du sens qu’on a donné, ça ne sert à rien, détaille Charles Washetine. La poignée de main est un temps fort, mais ce symbole doit produire des effets, il ne faut pas le mystifier. Ce sens doit être traduit et c’est tout le défi qui nous attend. »
Sonia Backes préfère se concentrer sur un « projet de société pour une Nouvelle-Calédonie et des Calédoniens qui avancent », plutôt que de chercher à apparaître sur une nouvelle photo. « Dans le paysage politique, il y a plus de gens qui veulent être sur la photo que de gens intéressés par ce qu’il y aurait dans l’accord, affirme la présidente de la province Sud, secrétaire d’État et candidate aux sénatoriales. Se serrer la main n’aura de sens que si nous avons l’adhésion des populations que nous représentons. »
DOUBLE ? TRIPLE ?
Le geste entre deux hommes rassembleurs ne paraît donc plus envisageable. D’ailleurs, à y réfléchir, Roch Wamytan imagine plutôt à la fin une seconde « triple poignée de main », comme celle de 1998 entre lui, Jacques Lafleur et Lionel Jospin. Peu importe avec qui, tant qu’elle est « accompagnée de choses concrètes, de mesures pour réparer ce qui a été cassé ». C’est une question d’époque, justifie Sonia Backes qui critique la quête d’un nouveau « lider maximo » et parle de responsables au pluriel dans son camp. Et peut-être de circonstances.
Le sort tragique de Jean-Marie Tjibaou l’année d’après a traumatisé au-delà des rangs indépendantistes. En face, dans une moindre mesure, Jacques Lafleur a essuyé des revers électoraux, et ce dès le référendum d’approbation des accords de Matignon-Oudinot. Que cette poignée de main ait lieu ou non, à trois ou à deux, Louis Le Franc rappelle que l’équilibre ne peut plus passer que par « un seul passage », tracé par ses deux protagonistes : le dialogue.
Brice Bacquet
Luc Steinmetz, historien, juriste et partisan non-indépendantiste
« Nous ne sommes plus dans une situation insurrectionnelle. Il n’y a pas besoin d’une nouvelle poignée de main. On sortait d’une guerre civile qui avait commencé en 1981 avec l’assassinat de Pierre Declercq et qui se termine en 1988 avec le drame de Gossanah. Nous sommes à la fin de ce processus qui a commencé en 1988 et a permis 35 ans de paix. S’il y a un accord, il y aura bien une signature et une photo.
Mais qui va-t-on mettre dessus ? En 1988, nous avions des chefs, des vrais leaders dans les deux camps : le RPCR uni autour de Jacques Lafleur et le FLNKS de Jean-Marie Tjibaou. Malgré les différences partisanes, ils ont accepté de travailler main dans la main. À l’heure actuelle, qui est leader incontesté et incontestable ? Chacun va vouloir être sur la photo. Les deux camps sont divisés. On a intérêt à s’unir et à se serrer la main pour avancer et résoudre les problèmes, parce qu’il faudra bien trouver un accord. »
Dans notre dossier
« Sans rien abandonner, ils ont su donner et pardonner »
Impossible d’imaginer les discussions institutionnelles d’aujourd’hui sans le geste historique de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Leur poignée de main, née du sang et des larmes, acte aussi deux accords importants pour la suite. →
Un « pas de côté », une « voie à suivre »
Les descendants de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur regardent avec beaucoup de respect le geste symbolique de leurs aïeuls, « deux hommes aux qualités hors normes ». L’esprit de dialogue qui les a guidés est, selon eux, toujours nécessaire aujourd’hui. →
Les regards tournés vers la jeunesse
Il y a quelques mois, les lycéens de Michel-Rocard dévoilaient leur fresque en l’honneur de ce geste fondateur. Un devoir de mémoire. Une façon de s’approprier ce symbole parfois malmené par les politiques. Le temps est venu de laisser la place à la nouvelle génération, selon Élie Poigoune, ancien président de la Ligue des droits de l’Homme. →
Tendre la main à la paix
C’est par un geste ordinaire qu’ils ont accompli quelque chose d’extraordinaire. En se serrant la main, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont mis fin à une guerre civile qui a coûté la vie à près de 90 personnes. →