Turbulences dans le transport vers les îles

Le transport entre la Grande Terre et les Loyauté est une problématique ancienne. La décision des coutumiers de Lifou, puis ceux de Maré d’interdire l’arrivée des avions d’Air Calédonie relance le débat sur les prix des liaisons. Un dossier d’une grande complexité.

L’annonce du conseil de l’aire Drehu a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Alors que les sociétés de transport tentaient de relancer leur activité une fois le confinement de la population achevé, Air Calédonie pansait ses plaies et dressait le bilan. Au total, la suspension des vols de la compagnie pendant six semaines se chiffre à près de 400 millions de francs de pertes. Mais ce sont d’ores et déjà près de 700 millions de francs qui manquent. Des pertes que la société doit rattraper pour équilibrer ses comptes. En fin d’année, le manque à gagner devrait avoisiner le milliard de francs. Depuis la reprise, le trafic n’est plus vraiment le même et à l’instar du trafic international, la direction d’Aircal estime qu’il faudra plusieurs années pour retrouver un niveau normal.

L’appel du conseil coutumier de l’aire Drehu d’interdire l’accès aux appareils d’Aircal, le 15 mai, a suscité l’incompréhension de la direction. Dans la foulée, les coutumiers de Maré ont décidé de s’inscrire dans le mouvement en bloquant, eux aussi, les vols. La cause affichée est le niveau de prix trop élevé et l’application d’un surcoût de 350 francs, autorisé par le gouvernement et justifié par la situation financière de la société. Un surcoût que la compagnie a toujours présenté comme provisoire en attendant de revoir en profondeur sa grille tarifaire. Aircal prévoit une réorganisation de ses activités et une réduction de son importante masse salariale de l’ordre de 20 % d’ici 2021, notamment au travers d’un plan de départs volontaires.

Un soutien des collectivités fragilisé ?

Après des premières discussions, les responsables coutumiers ont maintenu leur revendication – la suppression du surcoût – sans autoriser la reprise des vols. De son côté, le PDG de la compagnie, Samuel Hnepeun, s’est engagé à réunir un conseil d’administration afin de suspendre cette hausse. Sans ces ressources nouvelles, la compagnie domestique devra trouver des solutions qui pourraient venir de ses actionnaires que sont le gouvernement et les provinces. Par le passé, ces institutions ont largement soutenu la compagnie qui a renoué avec les bénéfices, mais qui, d’une certaine manière, continue de recevoir le soutien des collectivités grâce à des dispositifs d’aides au transport, en particulier pour les résidents loyaltiens. Comme le souligne le rapport de la Chambre territoriale des comptes entre 2012 et 2018, le poids total des contributions publiques dans les recettes de la compagnie oscille entre 30 et 35 % (soit près de 1,3 milliard de francs pour 2017-2018).

Dans sa réponse aux magistrats, Aircal souligne ce levier majeur pour l’activité de la compagnie. En 2017, les collectivités ont décidé de réduire le nombre de billets aidés, ce qui a eu pour conséquence une baisse du nombre de passagers de 20 000. Mais Aircal ne décide en rien des politiques de soutien au transport intérieur. Ce sont bien le gouvernement et les provinces qui mettent en place ces dispositifs et qui les modifient. Des décisions qui ont des conséquences sur les équilibres des sociétés de transport. C’est également le cas du Betico, qui vient d’annoncer qu’il ne prendrait plus les billets « Continuité pays » du fait d’une absence de versement des subventions par le gouvernement, soit 75 % du financement du dispositif. Gilbert Tyuienon, le membre du gouvernement en charge des transports, a déclaré à nos confrères de NC La 1ère que la convention n’avait pas été signée, faute de budget.

Une réponse qui peut laisser perplexe. C’est ce même Gilbert Tyuienon qui était pourtant déjà en charge du secteur en 2011. Pour rappel, le mois d’août de cette année-là était marquée par un conflit sans précédent en raison de l’augmentation du prix des billets d’avion. Un protocole d’accord avait permis de sortir de la crise et validait le principe de la création de deux dispositifs : « Solidarité transport », financé par les provinces, et « Continuité pays », par le gouvernement et les provinces. Deux dispositifs censés être temporaires, le temps de mettre en place un véritable schéma des transports et surtout un financement. Force est de constater qu’en neuf ans, la situation n’a quasiment pas bougé et l’exemple du Betico n’est pas franchement de nature à rassurer quant à l’avenir de ces aides.

Lutte fratricide ?

Aircal a, par ailleurs, réagi assez vivement dans un contexte de redéfinition du transport aérien dans les îles et, en particulier, à Lifou. Air Loyauté a amorcé sa mutation en Air Oceania pour devenir une compagnie low- cost régionale, en marge de la requalification de l’aérodrome de Wanaham. Un dernier point qui n’est pas une invention du nouveau président de la province des Îles, mais un objectif défini lors des travaux participatifs des Ateliers du tourisme de 2015. Ce n’est pas un hasard si pour défendre sa politique tarifaire Aircal s’est tout de suite comparée à sa cadette, Air Loyauté.

La province des Îles n’a pas publiquement pris de position, mais s’est mise d’accord avec les coutumiers pour qu’Air Loyauté assure des liaisons avec la Grande Terre. Pour la province, il existe un intérêt certain à pouvoir placer sa compagnie, en particulier parce qu’elle en est l’unique actionnaire, contrairement à Aircal, où elle est minoritaire et pèse donc peu dans les décisions.

Une guerre des prix entre ces deux compagnies à capitaux publics et qui sont davantage complémentaires que concurrentes n’aurait aucun sens, en particulier en cette période qui fait suite à la crise liée au Covid-19 et qui rend très incertain l’avenir du secteur aérien. Plus que jamais, un schéma global des transports clair permettrait de définir la place de chaque acteur tout en donnant une visibilité suffisante sur la question du financement et des participations des collectivités.

M.D.