Trop de gaspillage alimentaire

Le Conseil économique, social et environnemental s’est saisi de la question du gaspillage des fruits et légumes dans la logique de la loi métropolitaine adoptée en 2016. Les représentants de la société civile se sont plus précisément penchés sur les pertes arrivant en amont de la commercialisation. Le rapport du Cese souligne que la situation pourrait être sensiblement améliorée avec une meilleure organisation de la filière.

Les chiffres ont de quoi faire réfléchir. En Nouvelle-Zélande, une estimation réalisée en 2011 a estimé le gaspillage à 224 000 tonnes d’aliments dont 34 077 tonnes de fruits et légumes. En valeur, ces pertes sont évaluées à 568 millions de dollars. En Nouvelle-Calédonie, il n’existe aucune statistique officielle. La commission de l’agriculture, de l’élevage, des forêts et de la pêche du Conseil économique, social et environnemental a toutefois cherché à mesurer le niveau du gaspillage sur le territoire.

La centralisation de l’Ocef a permis d’avoir un aperçu assez précis au niveau de la filière de la pomme de terre et le moins que l’on puisse dire, c’est que les chiffres ne sont pas bons. Non pas tant concernant le gaspillage au niveau des consommateurs, mais en amont, au niveau de la filière. Entre le premier tri, le second, l’ensemble des pertes est de l’ordre de 500 tonnes. Sur ce volume, près de 150 tonnes de pommes de terre non commercialisables sont toutefois récupérées par les employés et 250 tonnes sont récupérées par les agriculteurs pour nourrir le bétail. Reste 100 tonnes qui finissent tristement enfouies à l’ISD de Gadji. Mais le plus grave, c’est que le traitement de ces 100 tonnes de « déchets » coûte 12 000 francs la tonne, soit un manque à gagner de 12 millions de francs.

Des productions qui pourrissent dans les champs

En ce qui concerne les fruits et légumes, les personnes auditées ont permis de voir que la situation était assez hétérogène en fonction des filières. D’après la FNSEA, en fonction des saisons, la production restant dans les champs peut atteindre près de 50 %. Selon l’enquête de l’IAC sur la production en tribu, les pertes seraient de l’ordre du tiers de la production. L’Institut agronomique néo-calédonien estime que l’ensemble des pertes agricoles – fruits et légumes confondus – atteignent un total de 10 976 tonnes (chiffres 2010) pour un volume commercialisé de 16 871 tonnes en 2016. Une fois encore, les experts de l’IAC soulignent que ces pertes sont dues à une absence de récolte. En fin de chaîne, l’établissement de régulation des prix agricoles explique que les grossistes et les commerçants déclarent un gaspillage de l’ordre de 10 %. Mais au-delà de ces chiffres qui permettent de se faire une idée générale, l’ensemble des acteurs ont exprimé leur volonté de disposer de chiffres fiables.

La première raison qui explique l’étrange absence de récolte vient du problème de commercialisation des agriculteurs. Ces derniers indiquent qu’ils préfèrent éviter d’avoir à engager des frais de main-d’œuvre sans avoir de garantie d’écouler leur production. En dehors des incidents climatiques, il est très fréquent que les professionnels plantent les mêmes produits, entraînant des surproductions qui ne peuvent pas être exportées chez nos voisins Australiens ou Néo-Zélandais, par manque de compétitivité, mais aussi pour des questions phytosanitaires. Du fait de la surproduction entraînant la chute des prix, les producteurs préfèrent laisser pourrir les fruits et légumes dans les champs afin de limiter les pertes.

Pour les petits producteurs ou ceux travaillant dans les zones les plus éloignées, il existe également un problème d’accès au marché, en raison notamment d’un manque de transporteurs. Dans cette catégorie, on retrouve en particulier des producteurs de bio, pas forcément au courant de la forte demande dans l’agglomération de Nouméa. Dans ces cas, le rapport du Cese souligne que le problème pourrait être relativement simple à résoudre en travaillant sur meilleure organisation du transport.

De manière plus générale, de nombreuses améliorations pourraient être apportées sur le plan du transport. De nombreux produits font, par exemple, les frais de variations thermiques, entre stockage en chambre froide, transport à température ambiante et restockage en chambre froide, sans aucune traçabilité sur la durée des différents stockages.

Le caractère individualiste des producteurs et la forte concurrence qui règne dans les filières fruits et légumes n’incitent pas à une meilleure organisation du système agricole. Aujourd’hui, 25 % des agriculteurs assurent près de 80 % de la production. Une concurrence toute relative si l’on considère que le manque de production locale conditionne l’ouverture des importations. Le manque de coordination génère donc de la concurrence qui nuit aux intérêts de l’ensemble des acteurs, producteurs comme consommateurs, mais surtout aux petits agriculteurs qui ne parviennent pas à écouler leurs produits en période de surproduction. Dans ce cas, les gros producteurs, qui disposent de davantage de marges de manœuvre en matière de prix, parviennent mieux à écouler leurs fruits et légumes. Avec une plus grande diversification, les plus petites exploitations pourraient augmenter leurs chances d’obtenir des contrats.

Le rôle des pouvoirs publics est également questionné. La politique se résume à une régulation par les prix depuis les années 80, sans parvenir pour autant à un résultat satisfaisant, la déstructuration du monde agricole en est la meilleure illustration. Le système d’ouverture des importations reposant sur les déclarations de production des professionnels présente également des faiblesses. Certains agriculteurs refusent de transmettre leurs informations voire fournissent tout bonnement des chiffres faux. En la matière l’interprofession fruits et légumes (Ifel), créée en novembre 2015, illustre parfaitement ces tiraillements. Après à peine deux ans de fonctionnement, l’interprofession précisément en charge de la meilleure organisation des filières compte déjà deux membres démissionnaires et un autre qui a suspendu sa participation.

Le rapport souligne toutefois que de nombreux  agriculteurs, en particulier chez les plus jeunes, souhaitent changer les choses. C’est notamment le cas des porteurs du projet Coop 1 qui se sont regroupés afin de s’organiser entre eux. Bien d’autres initiatives existent également comme la création d’une banque alimentaire. L’idée est toujours en gestation, mais la plupart des grandes surfaces se disent prêtes à participer. Elles regrettent toutefois que le dispositif de réduction d’impôts en faveur des dons ne soit pas plus incitatif (60 % du montant versé dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires).

Remettre en question les politiques publiques

Afin d’améliorer la situation, les membres du Cese ont émis 15 recommandations. La première est d’évaluer aux mieux les besoins et les capacités de chacun des acteurs, du producteur au consommateur. La seconde porte sur l’organisation de la filière ainsi que la planification de la production et son écoulement. Une des possibilités est de développer les contrats de production qui permettent aux agriculteurs d’adapter leur production aux besoins des distributeurs et non l’inverse. Il serait également souhaitable, en particulier pour les plus petits producteurs, de développer les regroupements de professionnels, notamment au sein de coopératives. Autre piste de réflexion déjà en discussion depuis des années, la différenciation des produits. L’idée serait de proposer différentes qualités aux consommateurs permettant de mieux répondre aux différentes demandes et donc de mieux écouler la production.

En matière de politique publique, le Cese préconise la révision du système d’aide avec l’instauration des critères et à un suivi en termes de choix et de planifications des récoltes. Sans aller jusqu’à un encadrement radical, il est également recommandé de fixer des objectifs en volume et variétés que les agriculteurs auraient ensuite à se répartir. Si le Cese ne le dit pas, il pourrait aussi être opportun de mettre en place une véritable évaluation des politiques publiques provinciales en matière d’aide, mais aussi sur le plan de régulation des prix qui relève de la compétence du gouvernement.


Pour une véritable filière de transformation

Si une filière de transformation est souhaitable et pourrait permettre d’absorber une partie des pertes. Les professionnels soulignent toutefois que cette filière ne peut se développer pas uniquement sur l’écoulement des rebuts. Elle nécessitera une véritable augmentation, segmentation et pérennisation de la production.

Des fruits et légumes calédoniens

La remarque pourrait presque paraître stupide, mais elle est pourtant pleinement justifiée. Si l’on veut réduire le gaspillage, il faut aussi que les Calédoniens consomment davantage de fruits et légumes locaux. Une difficulté pour une clientèle qui s’est habituée à la consommation de fruits et légumes européens. Des produits qui se cultivent mal en saison chaude, même si de récentes innovations laissent entrevoir de nouvelles perspectives.