Tourisme : « Il faut parler vrai avec la population »

Stéphane Bouquillard est l’une des sept diplômés d’un nouveau master en management, dont cinq ont pu bénéficier du partenariat entre le groupement d’intérêt public Cadres Avenir et la grande école de commerce HEC. Consultante depuis de nombreuses années dans un cabinet d’études spécialisé dans le tourisme, elle a porté sa thèse sur ce sujet, mettant ainsi à profit ses nouvelles compétences. Son interrogation porte notamment sur les manières de transformer le tourisme « en appareil créateur de valeur ». Retour avec l’auteure sur ce travail qui vise à remettre en cause quelques croyances.

 

DNC : Dans la conclusion de votre thèse, vous expliquez en quelque sorte que la Nouvelle- Calédonie manque d’une identité propre. Étant donné le contexte politique et l’avancée du destin commun, les Calédoniens sont-ils mûrs pour proposer une identité commune ?

Stéphane Bouquillard : Tant que l’on ne sait pas qui l’on est, comment peut-on se vendre correctement à l’extérieur ? Finalement jusqu’à présent, ce que nous avons essayé est fondé sur ce qui a fonctionné ailleurs. Du coup, nous n’avons rien fait pour nous différencier et justifier le fait que l’on est une destination chère, mais qui mérite d’être connue. Il faut faire émerger des attributs de valeur, des composantes de notre offre qui nous distinguent des autres destinations. Je ne sais pas si les Calédoniens sont mûrs, mais quand on arrive dans une situation de crise, on est généralement prêt aux changements. Les caractères optimistes comme moi verront dans cette crise du nickel une opportunité pour diversifier l’économie.

Dans votre thèse, vous revenez sur ce que les économistes appellent le syndrome hollandais…

On constate que les économies qui disposent de ressources naturelles importantes s’enferment dans l’exploitation de ces ressources et en oublient le reste. Cette « malédiction des ressources naturelles » est un syndrome bien connu. Avec la crise du nickel, nous sommes au pire stade de la maladie. La question de la diversification de l’économie se pose, mais est-ce que la population est prête ? Peut-être pas du jour au lendemain parce qu’il y a beaucoup de représentations et de croyances sur le tourisme en Calédonie qui ne changeront pas dans l’immédiat. Ça se travaille dans le temps et, à mon avis, pour transformer l’image de la destination Nouvelle-Calédonie à l’extérieur, il y a d’abord un gros travail à faire en interne. On ne peut pas négliger la valeur qu’il faut donner au tourisme en interne. Chez les Américains, le tourisme est appelé hospitality management, parce que le tourisme ne se réduit pas à l’attractivité. L’attractivité sans l’hospitalité, cela ne sert à rien. Pour travailler à l’hospitalité, il faut développer la valeur perçue par l’ensemble des parties prenantes et notamment la population hôte. Il faut développer une conscience collective du tourisme. Cela passe par du partage de l’information et la valorisation des identités, des rites, de l’histoire, des symboles, du patrimoine immatériel…

C’est ce que d’autres appellent le tourisme patrimonial ?

Il y a récemment eu une excellente conférence de Vincent Geronimi au centre culturel Tjibaou sur cette question de la valeur du capital immatériel. Il faut investir sur le capital immatériel. Ce sont les hommes, leur histoire, leur culture, leurs valeurs… C’est de cela que va naître une identité, ou plusieurs identités, que les Calédoniens seront fiers de partager avec l’extérieur. Tant que l’on impose l’offre, que l’on fait, par exemple, un hôtel dans un endroit, sans partager l’intérêt de cet outil avec la population hôte, sans faire en sorte qu’ils se l’approprient, on ne développera pas l’hospitalité, la fierté et la qualité de l’accueil. C’est une évidence.

Le plan de développement concerté du tourisme misait sur un positionnement haut de gamme, même si ce plan n’a pas vraiment été mis en œuvre. Est-ce que ce positionnement correspond à la population calédonienne et à ses besoins ?

Complètement. Mais il faut voir que le haut de gamme ne se restreint pas au luxe. Le haut de gamme, c’est la valeur additionnelle par rapport à l’offre de référence et l’effort de consommation que cela représente. Et la référence en matière de tourisme dans le Pacifique, c’est Fidji. C’est un tourisme de masse qui se construit autour d’une stratégie par les prix avec des vols low cost, des packages, du tout compris très abordable. Dans la mesure où la Calédonie est plus chère que Fidji ou le Vanuatu, la compétition frontale avec ces destinations est impossible sur le prix. Il faut donc valoriser ce qui nous différencie et qui justifie que l’on soit plus cher et il y a bien des raisons. Il faut sortir de la simple promotion de l’île balnéaire et même des golfs. Il y en a partout. Il faut aller encore plus loin et montrer que la Calédonie n’est ni Fidji, ni la Côte d’Azur et qu’elle est unique. Il faut vanter sa richesse globale, son niveau d’éducation, son niveau d’équipement, sa sécurité ou encore ses produits industriels ou agricoles locaux qui peuvent également marquer une identité propre à la Nouvelle-Calédonie.

Les Calédoniens ont-ils toutefois un intérêt à s’investir dans le tourisme ? Les potentiels de croissance sont-ils suffisamment importants ?

C’est « la » question qu’il faut se poser et plus spécialement sur les seuils à atteindre. Il faut clarifier le fait que nous n’avons pas besoin de faire 500 000 touristes pour que l’industrie touristique soit productrice de valeur. La recette touristique par visiteur est bien plus importante ici qu’elle ne l’est à Fidji ou au Vanuatu. Il faut continuer d’accroître cette recette par visiteur. Si l’on doublait simplement le nombre de touristes, nous ferions bien mieux en valeur ajoutée que ne le fait Fidji aujourd’hui. En ciblant 50 000 à 60 000 touristes supplémentaires, on peut quasiment doubler la part du tourisme dans le PIB. On peut atteindre les 50 milliards de francs et passer de 6 000 emplois à 10 ou 12 000, ce qui est autant que le commerce ou l’industrie minière. 50 ou 60 000 touristes, ce n’est pas grand- chose et c’est ce que notre offre hôtelière et notre capacité aérienne sont en mesure de produire. C’est important de déterminer les volumes à atteindre et nous sommes en bonne voie avec les contrats de destination. On voit la progression.

Développer le tourisme nécessite un certain nombre d’investissements, la Nouvelle-Calédonie manque-t-elle de grandes infrastructures ?

On ne peut pas dire que l’on manque d’infrastructures, nous avons de belles routes, de bons hôpitaux et un aéroport international flambant neuf, mais ce doit être un effort constant, c’est certain. Aujourd’hui, du côté de la croisière, il y a un besoin d’équipements. Mais là encore, il faut se demander combien de croisiéristes nous sommes en mesure de supporter ? Nous en sommes à 440 000, un million très vite. Pour qu’il y ait une adhésion de la population au développement, il faut une concertation. Si la population n’accepte pas d’avoir 500 000 croisiéristes de plus, comment on va la faire adhérer au développement touristique ? Et puis il faut choisir. 440 000 croisiéristes, cela produit environ deux à trois milliards de francs, c’est autant que 10 000 touristes et l’on a vu que ces 10 000 touristes, on peut les avoir très facilement, avec la capacité d’infrastructures que l’on possède aujourd’hui et une dilution sur le territoire qui est sans aucun doute plus acceptable et digeste pour la population. Pour travailler intelligemment, il faut parler vrai avec la population et voir ce qu’elle considère comme invasif.

Les Calédoniens profitent-ils suffisamment de la venue des croisiéristes ?

On estime que chaque croisiériste rapporte en moyenne 4 600 francs, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il coûte en termes d’infrastructures mais aussi en termes environnemental ou sociétal. Il faudrait peut-être clarifier ce rapport pour déterminer le seuil à partir duquel un croisiériste nous rapporte davantage qu’il ne nous coûte. Dès lors, nous serons en mesure de dire ce qu’ils doivent nous rapporter et faire en sorte qu’ils soient plus profitables à l’économie du pays.

Dans votre thèse, vous abordez la question du tourisme de croisière de luxe.

C’est une vraie cible à travailler et à équiper. Là aussi, on permet, en s’affichant sur ce marché, de se positionner comme une destination qualititative premium, une destination équipée, éduquée, qui répond aux besoins et aux attentes de ces clientèles exigeantes. Du coup, on peut se démarquer du corridor stratégique comme étant un produit différent et haut de gamme.

Le haut de gamme peut donc également passer par l’accueil en tribu. Est-ce que ce genre de produit est suffisamment mis en valeur ?

La destination province Nord a bien compris ça en basant toute sa communication sur l’expérience unique. Ils ont vraiment trouvé le message qui convient à la découverte au-delà du Grand Nouméa. On est sur la bonne voie de ce côté-là. Il ne manque plus que ce message soit intégré et digéré par la population locale pour faire en sorte que cela soit vrai partout et transpire de lui-même. C’est la théorie du « cercle d’or » où la raison d’être, la raison de faire, la motivation qui transpire dans une promesse compte bien plus que l’apparence, l’utilité. Si l’on ne fait qu’afficher des produits et des usages et que, derrière, il n’y a pas l’envie et la fierté, la valeur perçue par un visiteur sera nulle et l’on va droit dans le mur.

Avez-vous des exemples de pays qui ont réussi à bâtir leur destination ?

Stéphane Bouquillard : Il y a la Nouvelle-Zélande. Ils ont réussi à bâtir leur destination en une génération. Les institutions et les pouvoirs publics ont développé les outils, les infrastructures, les réseaux de bus et les hôtels. Avec la population, ils ont construit cette identité et ont investi dans ce capital immatériel au travers de différents médias, que cela soit dans les films ou les sports extrêmes. Ils se sont appuyés sur autre chose que de vendre des produits hôteliers. Ils se sont servis du côté « expérience » pour révéler leur identité et une identité dans laquelle tout le monde se retrouve, que ce soit les Maoris, les Néo-Zélandais d’origine européenne. C’est typiquement le genre d’exemple qu’il faut suivre, d’autant plus que c’est un de nos marchés cible. L’Australie aussi a eu pendant des années une diversité de messages jusqu’à réaliser qu’à force de dispersion, le message était nul. Ils ont finalement basé leur image sur l’Outback, la terre rouge et le kangourou. Il y a eu ce développement intégral et concerté de l’ensemble du pays, des industriels en passant par l’aérien, les produits agricoles et touristiques. Ce sont deux bons exemples dont on peut s’inspirer.

M.D.