Thomas d’Ansembourg : « La force de la non-violence est aussi considérable qu’ignorée »

Invité de l’association Communication Pacifique, Thomas d’Ansembourg, conférencier international et auteur de livres à succès, dont Cessez d’être gentil, soyez vrai ! vendu à plus d’un million d’exemplaires, est en visite jusqu’au 18 février. L’ancien avocat propose plusieurs conférences et formations consacrées à la communication non violente.

DNC : Quelle est l’origine de la communication non violente ?

Thomas d’Ansembourg : Elle a été mise au point par Marshall Rosenberg, un docteur en psychologie clinique. Il dirigeait un grand hôpital aux États-Unis. Il s’est rendu compte dans son métier qu’il catégorisait les gens selon des diagnostics et, qu’au fond, ça le coupait de la relation authentique avec la personne. Quand il était enfant, il se faisait casser la figure par des gens qui l’étiquetaient car il était d’origine juive. Il avait été indigné qu’on le juge en fonction de quelque chose d’extérieur. Et lui-même devenu directeur d’un grand hôpital, jugeait les gens en fonction d’un critère extérieur. Cette posture l’a invité à aller voir à travers différentes traditions qui prônent la non-violence, notamment celle de Gandhi.

Comment se définit-elle exactement ?

La communication non violente est une approche des relations humaines basée sur la conscience que nous avons les mêmes besoins fondamentaux. Les êtres humains ne les vivent pas tous de la même façon : ça dépend des cultures, des traditions, des codes, des âges… On peut se frictionner, parfois être en conflit pour l’expression de nos besoins, mais pas pour nos besoins. Tout le monde a besoin d’être compris, d’être respecté. Les besoins nous rassemblent. L’idée de Marshall Rosenberg, c’est d’apprendre à nous rencontrer dans ce qui nous rassemble plutôt qu’à nous empoigner sur ce qui nous divise. C’est tout un travail de changement de notre logiciel intérieur, de notre système de pensée, parce que de vieilles habitudes nous rendent très combatifs. La communication non violente est une invitation à se déprogrammer de vieux mécanismes qui génèrent de la violence.

“On sait faire la guerre parce qu’on a appris à le faire. Je pense qu’on a la même capacité à apprendre à faire la paix. »

À quels vieux mécanismes faites-vous référence ?

Ce sont des jugements, des croyances, des idées toutes faites. Je pense par exemple à la difficulté à dire non. Beaucoup de personnes ont des difficultés à exprimer leur colère de façon claire ou du mal à écouter la colère de l’autre. La communication non violente est une invitation à remettre de la fluidité, de l’authenticité dans nos relations pour les rendre plus joyeuses, plus paisibles. Ça s’apprend. On sait faire la guerre parce qu’on a appris à le faire. Je pense qu’on a la même capacité à apprendre à faire la paix.

Pouvez-vous donner un exemple de communication violente et comment l’appréhender autrement ?

Un papa est venu récemment en formation. La situation qui le travaillait était la difficulté à être en lien avec son adolescent. Très vite, il a réalisé qu’il ne l’écoutait pas. L’adolescent est parti fâché en claquant la porte. Après le stage, il m’a appelé en me disant : « J’ai réussi à avoir des conversations avec mon adolescent parce que j’ai appris à me taire. Quand il me parle, je l’écoute ». Voilà un enjeu typique de ce que permet la communication non violente. Malheureusement, nous avons souvent de la difficulté à nous écouter profondément. Très vite, on argumente pour avoir raison.

Est-ce qu’il existe des mots interdits ?

Les mots qui amènent de la contrainte. On essaye par exemple d’éviter les « il faut », « tu dois », « c’est comme ça ». Nous devons trouver un langage plutôt encourageant. On ne s’occupe pas de ses enfants parce qu’il faut. On s’en occupe parce qu’on les aime, parce qu’on y tient profondément.

En quoi la communication non violente peut aider au travail ?

Un des gros problèmes de l’entreprise, c’est l’absentéisme. Les gens n’ont pas envie d’être là. Ils viennent juste chercher une sécurité matérielle. Comment faire pour qu’une équipe soit heureuse, motivée, comme une équipe de foot ? Ça demande de l’attention et qu’on ait lâché les vieux mécanismes de rapport de force : « Je te donne des ordres et tu exécutes ». Cette vieille pyramide ne marche plus. Il faut trouver de la solidarité, de l’écoute, de la conscience collective et ça demande d’autres outils que ceux qu’on a appris jusqu’ici. Il y a énormément de bénéfices à apprendre à se parler, s’expliquer, s’écouter.

Peut-on la pratiquer face à quelqu’un qui n’y est pas sensible ?

C’est une des grandes forces de la non-violence. Je n’attends pas que l’autre change pour changer. Par exemple, si on est dans une relation de couple où on argumente pour avoir raison, on est dans une sorte de partie de ping-pong. On se renvoie la balle. Il ne faut pas être deux pour arrêter la partie. Je pose ma raquette et c’est terminé. C’est la force de la non-violence qui est aussi considérable qu’ignorée.

Propos recueillis par Edwige Blanchon