[DOSSIER] Tenir pour ne pas tomber

Le Syndic’Art propose des permanences au Centre d’art, où il a organisé son assemblée générale samedi 17 août. (© A.-C.P.)

Structures culturelles fermées, spectacles et événements annulés, la crise précarise des professions déjà fragiles.

Sur la vingtaine de retours reçus à un questionnaire envoyé aux artistes et aux techniciens, « tous ont répondu subir des interruptions de contrat », souligne Lucie Dorio, vice-présidente du Syndic’Art. L’ensemble de la filière est concerné. « L’activité est en chute libre, témoigne Isabelle de Haas, responsable de Pacifique et Compagnie. Je travaille régulièrement avec au moins dix artistes et ils n’ont pas touché de revenus depuis. » Certains se retrouvent même « en très grande difficulté », indique Nicolas Molé, président du Syndic’Art, qui s’apprête à laisser sa place à la tête de l’association. Quelques-uns commencent à quitter la Nouvelle-Calédonie.

Comédienne, c’est son activité de cours de théâtre qui permet à Lucie Dorio de garder la tête hors de l’eau. « C’est ma seule source de revenus. » Pacifique et Compagnie vient de remporter deux appels à projets de l’État. « Cela ne remplacera pas à 100 % ce qui est perdu mais partiellement », explique la metteure en scène, Isabelle de Haas, qui regrette « le silence radio assourdissant » du gouvernement, « un silence blessant, humiliant ».

Le premier objectif est de tenir jusqu’à la fin de l’année. « Après, nous n’avons pas de visibilité. » 2025 reste encore un horizon lointain pour la plupart des acteurs du secteur.

« LE FLOU TOTAL »

L’Adamic gère le Rex, qui a rouvert le 18 juin et connaît une « bonne fréquentation ». Mais, l’association tient, depuis le mois de mai, sur sa trésorerie. « Notre petit fonds de roulement nous sauve », glisse Nadège Lagneau, déléguée générale de l’Adamic, qui n’a pas reçu les financements attendus de la mairie. « J’espère que nous allons pouvoir finir 2024. Après, nous n’aurons plus rien, c’est le flou total. »

L’association a également été contrainte de suspendre le Chèque Culture, dispositif dont elle a la charge, et qui permet aux jeunes Calédoniens boursiers d’obtenir des places gratuites pour des spectacles.

Réunis au sein du collectif culture, l’Adamic, la FOL, le Chapitô, la Maison du livre, l’école du cirque et l’AFMI ont envoyé une lettre ouverte aux collectivités il y plus d’un mois et demi, demandant à ce que « les subventions soient versées », indique Nadège Lagneau. Et d’obtenir des réponses, qu’elles soient positives ou négatives, « afin de pouvoir se positionner ». Pour l’école du cirque, en grande difficulté, une solution serait en passe d’être trouvée. « La ville de Nouméa a dit que ce serait une priorité. »

Le Syndic’Art aussi a fait part de son souhait que les budgets prévus soient « gelés », et que ceux qui n’ont pas été utilisés soient redéployés, comme l’enveloppe dédiée au Festpac, à Hawaï, le déplacement ayant été annulé. Dans un second temps, l’organisation espère poursuivre les dossiers engagés concernant, entre autres, le statut des artistes, avec la mise en place d’une carte professionnelle et d’une grille tarifaire.

LA CRÉATION PÉNALISÉE ?

Une légère éclaircie émerge cependant, avec la reprise, petit à petit, des représentations et la réouverture des structures. Art Factory, le centre culturel du Mont-Dore. Bientôt, peut-être, les théâtres de Poche et de l’Île. Mais « le public va-t-il revenir ? », interroge Lucie Dorio.

Et comment repenser la création après ce qu’il vient de se passer ? « Cela amène une réflexion par rapport au monde et ce qui fait société, considère Isabelle de Haas. Il est beaucoup question de reconstruction économique, mais il y a aussi la reconstruction sociale, culturelle… »

Plus globalement, la crise pourrait pénaliser la création, craint Nicolas Molé, artiste plasticien. « Nous aurons moins de temps à consacrer à la réflexion, aux expositions, aux répétitions, puisque s’il y a moins de financements, nous devrons faire autre chose pour vivre. »

Consciente du manque de moyens, Nadège Lagneau insiste sur l’importance de la culture « pour faire du lien ». Et du Rex, qui accueille les jeunes. « Il faut garder cette structure et soutenir la jeunesse, sinon ce serait une grande perte. »

 

LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE
(PRESQUE) À L’ARRÊT
En rendant difficile, voire impossible, de tourner, les émeutes ont aussi complètement chamboulé l’activité audiovisuelle. Les sujets déjà lancés ont parfois perdu de leur acuité à la lumière des récents événements. Ceux en cours sont tombés à l’eau. « C’est le cas des films qui portaient sur des événements culturels ou sportifs qui n’ont plus lieu. L’accès aux témoignages est plus compliqué. Le protagoniste d’un reportage est par exemple bloqué à Saint-Louis », relate Catherine Marconnet, présidente de la Fédération indépendante des producteurs audiovisuels (Fipa).
Des sociétés de production ont perdu 80 %, parfois jusqu’à 100 % de leur travail. « Il y a eu une baisse énorme de notre fonctionnement habituel, doublée d’une crise de financement et de perspectives aléatoires. Et puis certaines attendent toujours les fonds pour des documentaires vendus en fin d’année dernière. »
Les sociétés piochent dans leur trésorerie, pour celles qui en ont. Jusqu’à quand ? Le fonds audiovisuel et cinématographique de soutien géré par le gouvernement, réuni en avril, a octroyé des aides pour 30 projets, mais si les arrêtés ont été signés, les sommes n’ont pas encore été versées.
LE SOUTIEN DES CHAÎNES
Dans un courrier envoyé au gouvernement alertant sur la situation, la Fipa sollicite de l’exécutif le maintien du fonds de soutien, « même en le diminuant ». Et demande par ailleurs aux chaînes de télévision de continuer à assurer leur rôle. « C’est d’abord leur appui qui permet d’enclencher le mécanisme de financement d’un documentaire, d’un magazine, d’une fiction… Il faut qu’elles soient conscientes des difficultés énormes que nous traversons. Sinon, beaucoup d’entre nous ne tiendront pas. »
La fédération œuvre aussi à être reçue par le ministère des Outre-mer et le CNC, afin de voir « si un fonds de solidarité pourrait être créé le temps de passer le cap ». Enfin, la situation entraîne une réflexion sur les contenus et l’approche, estime la productrice. « Il y a une question de sens, sur ce qui est important de faire passer. »

 

Anne-Claire Pophillat