« Je suis née ici en 1979 et j’ai vécu les événements très jeunes. Je fais partie de cette jeune génération de Calédoniens qui a grandi en entendant constamment des palabres et en vivant dans les échéances. Les mécontentements du peuple étant devenus banals, malheureusement, on finit par s’y habituer. C’est précisément pour cela que l’État est pris de court aujourd’hui.
Lassée par les discours stagnants et par la vie dans un environnement stérile, j’ai voulu partir en 2019, mais la COVID m’a retenue en Nouvelle-Calédonie, et j’ai pris cela comme un signe, une mission. Je me suis donc reconstruite et, en juillet 2020, j’ai cofondé l’Union des Professionnelles du Bien-Être (UPBE) en pleine instabilité politique et en toute connaissance de cause.
Depuis un an, j’ai vu un grand nombre de salariés épuisés par la pression économique se reconvertir dans le bien-être, et de nombreux praticiens affluer sur le territoire. Je me suis demandé pourquoi cette terre attirait tant de personnes destinées à l’accompagnement. Aujourd’hui, je réalise que nous sommes un peuple blessé qui exprime sa douleur, pour certains par la colère et la haine, et qu’il y a un immense travail d’écoute à faire. Beaucoup ont refusé de voir la réalité en face, mais l’illusion s’effondre : la France n’a pas réussi à gérer la situation et elle ne peut répéter ses mêmes erreurs.
Aujourd’hui, nous sommes pris entre deux clivages : l’État et les indépendantistes, ceux-là mêmes qui nous ont conduits à l’échec. J’ai peu d’espoir qu’une solution soit trouvée dans ce contexte. À mon avis, nous pouvons construire en étant moins dans la dualité et plus dans la reconnaissance des positions de chacun. Les rapports de force ne font qu’attiser les tensions et ne permettent pas d’établir un dialogue constructif.
Nous réfléchissons en interne à une manière de contribuer au projet pays, peut-être par la création d’une cellule de médiation. Nous pourrions mettre nos valeurs et nos outils de communication non-violente au service de cette cause commune.
Depuis le début des émeutes, l’association s’est réorganisée et s’est impliquée à 200 % dans l’écoute. Nos 110 professionnels – sophrologues, hypnothérapeutes, coachs, etc. – sont formés à cela. Les gens cherchent une oreille attentive et bienveillante pour pouvoir s’exprimer, extérioriser leurs émotions afin d’alléger leur peine. Nous les accompagnons dans les différentes phases du choc : l’expérience de la terreur et du confinement, la perte d’un proche ou de l’investissement d’une vie, le choc visuel de la destruction, la méfiance envers l’autre une fois qu’ils sortent de chez eux, la reprise d’une vie dans un contexte brumeux et un avenir incertain.
Des entreprises nous ont sollicités pour accompagner leurs salariés pour une reprise en douceur de l’activité. Nous proposons aussi bien des permanences d’écoute active que des séances collectives de sophrologie ou des séances individuelles de massage pour évacuer tensions et préoccupations.
Le seul espoir que l’on voit c’est le peuple, la solidarité qui les unit et l’envie de construire ensemble avec comme utopie de se dire qu’on est peut-être le laboratoire d’un nouveau monde. La vie c’est le mouvement, il faut constamment se réinventer. »
Témoignage de Caroline Musy, cofondatrice de l’Union des Professionnels du Bien-Être (UPBE)