[DOSSIER] « Survivre ne suffit pas, l’art est fondamental dans une société en bonne santé »

Alejandra Rinck Ramirez prépare ses masques en tissus dans son atelier à Nouméa, avant son exposition prévue en septembre. (© N.H.)

Conteurs, artistes plasticiens, magiciens, danseurs… Durant la crise, ils ont mis à profit leur art pour rassembler de nouveau la population.

Il y a deux mois, leur prestation avait été particulièrement remarquée sur les réseaux sociaux. Doté d’un nez de clown, d’une perruque et d’un ukulélé, le comédien André Luserga déambulait dans les rues de la Vallée-du-Tir, accompagné du conteur Sylvain Lorgnier. Entonnant la célèbre chanson « Il en faut peu pour être heureux », les deux artistes avaient réussi à ramener à eux plusieurs résidents du coin, dansant à leurs côtés. Une scène qui tranchait avec l’environnement délabré du quartier, alors en proie aux exactions.

Aujourd’hui, ils ne s’essoufflent pas et sont quelques-uns à continuer de faire vivre la culture en partageant leur art. Et ce, malgré des situations de vie parfois compliquées en raison de la crise. Tout comme André Luserga et Sylvain Lorgnier, Guy Raguin a été l’un des premiers à se mobiliser « sur le terrain », enchaînant « deux à trois spectacles par jour » dans plusieurs quartiers. « J’ai une arme fatale, c’est mon sourire et ma bonne humeur, et je voulais leur apporter cela », partage celui-ci.

Durant les cinq premières semaines d’émeutes, le magicien préféré des Calédoniens a ainsi réalisé ses prestations gratuitement, s’abreuvant de « sourires de toutes les couleurs » ainsi que de « pots de miel, légumes ou confitures » que les personnes lui donnaient à la suite de son spectacle. « C’était ça mon salaire », s’enthousiasme-t-il.

À la réouverture des écoles, et parce que « la crise concerne tout le monde », Guy Raguin a continué de réaliser ses spectacles auprès des enfants, à prix réduit, mais « en échange d’un coup de pouce publicitaire » des responsables d’établissement vers les autres écoles. Une tournée qu’il souhaiterait effectuer prochainement en province Nord, afin d’en faire « profiter tout le monde ».

« PROVOQUER UNE RÉFLEXION »

Artiste plasticienne depuis de nombreuses années, Alejandra Rinck Ramirez avait « plein de projets en cours », lorsque les émeutes ont éclaté. Entre autres, la réalisation d’une fresque murale au studio 56, à Dumbéa. Lieu partiellement incendié et dégradé durant les premiers jours des événements.

Entre « état de sidération » et « tristesse profonde », l’artiste a dû vite réagir. « Comme tout le monde je pense, j’ai eu un moment d’absence. Sauf que l’art, moi je vis de ça, donc j’étais obligée de me réinventer », explique-t-elle.

Alejandra Rinck Ramirez se tourne vers la galerie d’art In Situ, lieu d’exposition et de coworking artistique situé au Quartier-Latin. Sur place, elle a la possibilité de vendre quelques-unes de ses créations grâce à des vide-ateliers organisés tous les samedis par la fondatrice, Patricia Bourgeois.

Elle décide également de préparer sa prochaine exposition, MASK, qui se tiendra en septembre. Mettant en avant des œuvres textiles et des vidéos représentant des masques, son travail fait écho, dans une certaine mesure, à l’actualité calédonienne. « Le masque, c’est comme cette cagoule que l’on met pour libérer la violence que l’on a en soi […] Je ne veux pas rentrer dans la politique, car ce n’est pas mon domaine, mais le but, c’est de provoquer une réflexion. »

Une démarche qui, selon elle, tient un rôle particulier en temps de crise. « C’est dommage de passer à côté des leviers de cohésion que les projets artistiques peuvent représenter pour la communauté. On l’a vu durant la période Covid, les gens se tournent vers la musique, la littérature… Survivre ne suffit pas, l’art est fondamental dans une société en bonne santé. »

 

LE CHAPITÔ DE PASSAGE À POUEMBOUT

Également affecté par la crise, le Chapitô a dû se réinventer pour ne pas couler. Alors que la structure devait se rendre fin mai sur la commune de Bourail, leur installation a finalement été annulée, les obligeant à se réorganiser.

À la place, les artistes ont fait le choix de proposer des spectacles au sein des établissements scolaires, en collaboration avec la province Sud. Prochainement, le public pourra de nouveau les retrouver, du 2 au 16 septembre, à Pouembout. Une date qui promet d’être un « temps fort », puisque plusieurs « anciens » du Chapitô – tels que Paul Wamo ou Richard Digoué – ont été invités.

En revanche, la session prévue à Hienghène à l’occasion des 40 ans du centre culturel Goa ma Bwarhat en octobre a été annulée, de même que le Festival en quartier organisé chaque année à Dumbéa.

 

Nikita Hoffmann