La Fédération des fonctionnaires, ou la Fédé, organise les 27 et 28 mars un colloque intitulé le plan de refondation sociale et solidaire. Jugeant insuffisant le PS2R (plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction) porté par le gouvernement Mapou et repris en grande partie par ses successeurs, le syndicat entend avancer des propositions plus sociales et moins économiques explique son secrétaire général.
DNC : Quel est l’objectif de ce colloque ?
Steeve Teriitehau : C’est de répondre aux manquements du plan S2R du gouvernement de façon à pouvoir être force de proposition dans les mois à venir. Ce plan, on l’a soutenu au moment de sa création, mais on s’est aperçu que les inégalités n’apparaissaient pas.
Quel est votre constat ?
Avant mai 2024, on était déjà dans une période de crise, avec des chiffres catas- trophiques sur les inégalités, que ce soit en matière salariale, de logement, de partage des richesses… Après mai 2024, cela s’est empiré. On estime que le 17e, le 18e gouvernement ou ceux d’avant n’ont pas pris conscience du modèle économique qu’il fallait faire évoluer. L’objectif de ce colloque, c’est aussi de faire une comparaison entre 2012 et aujourd’hui pour voir l’évolution des inégalités. En 2012, les accords économiques et sociaux de la Nouvelle-Calédonie avaient été négociés par les syndicats avec un gros mouvement de grève.
Quelles sont les pistes envisagées ?
La réforme fiscale est une priorité. On veut vraiment la faire évoluer de façon à avoir une meilleure répartition des richesses. On n’a pas la prétention non plus de se prendre pour Robin des bois, c’est-à-dire de voler aux riches pour rendre aux pauvres. Ce n’est pas du tout ça. C’est juste faire jouer la solidarité et essayer de faire évoluer le mode économique.
Il y a également le coût du travail. En ce moment, on entend beaucoup les organisations patronales et même l’État ou le gouvernement dire qu’il faut baisser le coût du travail en diminuant les parts patronales pour restituer de la rémunération aux salariés. Quid des cotisations sociales envers les différentes caisses, quid des compensations ? Tout ça, ce sont des pistes prioritaires pour nous : le coût du travail, la réforme fiscale, l’enseignement, le logement, le transport… Et la santé, c’est un cheval de bataille. Cela fait quand même trois ans qu’on est sur le terrain. Aujourd’hui, on a le regret de constater qu’on n’a pas été entendus depuis tant d’années.
Quelle sera la suite de ce colloque ?
L’objectif est de récolter et de formuler les propositions, puis de les présenter dans la foulée au niveau territorial, au Congrès, au gouvernement et aux différentes collectivités, mais également au plan national. Nous avons un réseau qui nous permet de saisir directement l’Assemblée nationale, et même le Sénat et la présidence de la République. Le but est vraiment d’aller porter au plus haut nos propositions. Et surtout de montrer qu’il y a d’autres leviers, qui pourraient diminuer considérablement le montant de la dépense publique, sans pour autant que la population soit victime des décisions.
Notre vœu est de retrouver l’intersyndicale de 2012 de façon à être
un véritable contre-pouvoir.
Envisagez-vous le retour de l’intersyndicale ?
Pour l’instant, tout doucement, l’intersyndicale est en train de se remonter. À la Fédé, sur chaque sujet transversal pour lequel on monte au créneau, on sollicite à chaque fois l’ensemble des organisations syndicales. Donc, oui, notre vœu est de retrouver l’intersyndicale de 2012 de façon à être un véritable contre-pouvoir face à nos interlocuteurs.
Vous avez souligné en novembre que le PS2R ne répond pas aux urgences du pays. Pourquoi ?
Il ne répond pas aux inégalités. Le PS2SR qui a été présenté aux partenaires sociaux, c’est un document de 20 pages. Et depuis ce document, on n’a jamais rien eu d’autre. Certes, la relance économique est importante, nécessaire, primordiale, mais pas au détriment du reste. Dans ce document, on ne parlait pas du logement ou du transport. L’enseignement était complètement exclu, puisqu’il y a eu un colloque à part. Sur la réforme fiscale, c’est uniquement des mesures qui visent à exonérer les entre- prises. La vie chère apparaît en deux lignes en disant qu’il faut augmenter le salaire des agents en baissant la part patronale.
Le 18e gouvernement prévoit de nombreuses économies sur le budget de fonctionnement de la collectivité Nouvelle-Calédonie, notamment sur la masse salariale. Quelle est la position de la Fédé sur ces mesures ?
Pour nous, il est hors de question de se mettre autour de la table pour parler de la dépense publique uniquement par la fenêtre de la masse salariale. Ce qu’on souhaite, c’est de faire une réforme globale de la dépense publique. On ne dit pas qu’il faut tout supprimer, mais la Cour des comptes dit elle-même, dans son rapport sur les finances publiques de la Nouvelle-Calédonie, que l’objectif des niches fiscales reste opaque.
Quelles sont les solutions préconisées ?
La principale mesure reste de s’attaquer aux niches fiscales et aux exonérations. Ensuite, on a l’histoire des cotisations plafonnées. C’est un vieux combat de la Fédé. Sur le Ruamm par exemple, on a toujours ce plafond de 515 000 francs. Donc tous ceux qui gagnent entre 1 et 515 000 francs, c’est 15 %. Et au-dessus, c’est 5 %.
Il y a aussi la mutualisation des moyens. On est complètement favorables à un travail de mutualisation. Mais il est difficile d’entendre nos élus ou même le patronat parler de la diminution de la dépense publique quand on s’aperçoit que dans les premières esquisses des discussions, on n’envisage pas une diminution de ce millefeuille administratif. On ne va pas rentrer dans ce débat politique. Mais on s’aperçoit qu’on parle de la création d’un collège sur La Foa, d’une nouvelle caserne de pompiers… Quid des agents publics ? Il faudra déshabiller Paul pour habiller Jacques. Et qui on déshabille ? L’enseignement ? La sécurité ? La santé ? C’est le serpent qui se mord la queue.
Ces mesures vont-elles entraîner une baisse du pouvoir d’achat des agents publics et des retraités ?
Tout à fait. Notamment, il y avait une mesure qui impactait les actifs et les retraités, c’était la baisse du point d’indice. Depuis 2012, les retraités n’ont eu qu’une revalorisation du point d’indice. C’est le seul moyen pour nos pensionnés de voir leur retraite augmenter. Et si on met en corrélation l’inflation en Nouvelle-Calédonie, aujourd’hui, on s’aper- çoit qu’ils ont perdu plus de 20 % de leur pouvoir d’achat. Donc, accepter une baisse du point d’indice qui touche les actifs et les retraités, c’est inconcevable. D’autant qu’on a besoin de relancer la machine économique et ils y participent fortement.
En plein cœur de la crise, il y a eu des critiques sur le statut “protégé” des fonctionnaires par rapport au privé. Pensez-vous que c’est le cas ?
La crise a touché directement le secteur privé, dans la diminution du nombre d’emplois. Tout le monde en est conscient. C’est 11 000 personnes au chômage partiel. Le secteur public n’a pas non plus été épargné par la suppression de postes. Il faut savoir qu’on a supprimé l’ensemble des CDD de la fonction publique. Vous prenez l’OPT, c’est moins 150 postes de CDD.
Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour mettre les agents publics en temps partiel dans certaines communes qui sont en défaut de trésorerie. Il est hors de question de mettre en opposition les secteurs privé et public. On est complémentaires l’un de l’autre. Aujourd’hui, la solidarité fonctionne puisque, par exemple, les agents publics cotisent au Ruamm alors qu’ils n’en bénéficient pas.
Les émeutes de la faim sont là, derrière la porte (…) il est urgent de réagir et d’envisager un partage des richesses plus équitable.
Plusieurs administrations ont été touchées par les baisses budgétaires. À quel point le service public s’est-il dégradé ?
Un premier exemple, la santé, qui était déjà dégradée avant mai 2024 et qui est devenue complètement catastrophique. On a également les services communaux qui ont souffert des conséquences de cette crise. Aujourd’hui, il y a des diminutions de postes. Ce sont les services publics qui sont au plus près de la population.
Aux yeux de certains, ce n’est pas le secteur le plus primordial, mais la culture est complètement sacrifiée. L’AFMI [association de formation des musiciens intervenants] est obligée de fermer ses portes, donc plus d’enseignement musical dans le nord, les îles et l’agglo. La culture, c’est le ciment de la société, ce qui permet aux jeunes de trouver un espace d’expression. Le service public s’est considérablement dégradé. La Fédé s’est mise en ordre de bataille pour le préserver au maximum. Sauver l’économie, certes, c’est prioritaire, mais si on ne sauve pas ce qu’il y a derrière, le côté social, il y a quand même le risque d’une crise sociale.
Que craignez-vous ?
On fait le désagréable constat que les cambriolages pour vol alimentaire augmentent. Le vol de commerce également. Les émeutes de la faim sont là, derrière la porte. Donc, il est urgent de réagir et d’envisager un partage des richesses plus équitable.
Pourquoi estimez-vous que le changement de la TGC de quatre à deux taux aurait un effet inflationniste ?
Le projet prévoit deux taux, mais c’est un peu une arnaque puisqu’il rajoute le taux zéro. Aujourd’hui, on n’a pas de taux zéro, mais on a des produits exonérés. Forcément, mettre un taux unique avec pour objectif le même rendement, il y a forcément des tranches qui vont être impactées. C’est notamment les 3 % et les 6 %. Selon nos calculs, pour avoir un taux unique avec le même rendement, il avoisinerait entre 10 et 11 %. Ce qui voudrait dire que pour tous les produits à 3 % ‒ charcuterie, services, etc. ‒, il y aura un effet inflationniste catastrophique. Selon nous, la taxe à la consommation, c’est la taxe la plus injuste qui existe et il est hors de question qu’on puisse accepter ce genre de proposition.
La vie chère a été le gros dossier de l’intersyndicale. Où en est-on ?
En 2012, c’était exactement les mêmes problématiques. Les accords économiques qui ont été signés, on peut les appliquer à la lettre aujourd’hui. Ces accords sont morts. Pourquoi ? Peut-être à cause d’une passivité des organisations syndicales qui ont fait confiance et n’auraient pas dû. Notre vœu est de remettre l’intersyndicale sur ce dossier.
Plusieurs syndicats ont été touchés par la crise générée par les exactions de mai 2024. Quelle est la situation à la Fédé ?
On s’aperçoit que la population adhère moins aux organisations syndicales pour des raisons qui leur sont propres. Moi, je dirais plutôt qu’on est victime de notre immobilisme à l’issue des accords économiques et sociaux. Donc, nous, on n’a pas noté une baisse d’adhérents puisque, au contraire, il y a beaucoup d’inquiétude chez les agents publics.
Les derniers mois ont-ils creusé l’écart entre fonctionnaires d’État et territoriaux ?
On n’a pas constaté de situation conflictuelle. Mais notre crainte, c’est que cela puisse arriver si les mesures proposées par le gouvernement passent. Sachant que les fonctionnaires d’État ont bénéficié des revalorisations de 5 % de leurs points, ils ont des aides sociales et ont eu des avancements. Par exemple, dans l’enseignement secondaire, ce sont des métiers exactement identiques, mais on a une différence de rémunération considérable.
On s’aperçoit donc qu’il y a un grand nombre de personnels territoriaux qui font leurs demandes pour intégrer la fonction publique d’État par crainte principalement sur la sécurité de leur rémunération. Cela nous inquiète fortement, car cela va avoir des impacts sur la CLR [Caisse locale de retraite] et c’est une perte de compétences considérable.
Propos recueillis par Fabien Dubedout