Sonia Backès : « On a envie de vivre ensemble, mais pas de la même façon »

Sonia Backès insiste sur la nécessité pour l’État de « proposer » quelque chose. « On attend une méthode », déclare l’élue, dans le cadre de la négociation sur l’avenir institutionnel. (© A.-C.)

Alors que le gouvernement d’Alcide Ponga vient de prendre ses fonctions, la cheffe de file des Loyalistes plaide pour un plan drastique de réduction des dépenses publiques. Sonia Backès milite également pour la tenue des provinciales avec un corps électoral modifié et s’apprête à défendre à Paris son projet de fédéralisme interne.

DNC : Quelles sont, selon vous, les priorités du gouvernement d’Alcide Ponga ?

Sonia Backès : Le plus gros enjeu est la baisse des dépenses publiques. On ne peut plus payer ce qu’on payait avant le 13 mai avec 30 % de recettes fiscales en moins. Il faut se poser la question de la continuité territoriale, du nombre d’établissements publics – de leur fusion ou leur suppression, comme de Nouvelle-Calédonie Tourisme, qui coûte 400 millions de francs alors que le tourisme est une compétence des provinces -, des dispositifs sociaux, des protections de marché, du droit du travail, de l’aide au logement, etc. On doit tout reprendre.

La province Sud revoit ses dépenses à la baisse. Va-t-elle poursuivre ses efforts ?

La masse salariale mensuelle a baissé de 4,7 % depuis le 13 mai. On ne remplace plus les gens qui s’en vont, on a mis en place le 90 % majoré, etc. On est dans une situation dramatique. On a voté un budget avec une recette de l’État de 10,6 milliards de francs dont on n’a pas le premier franc. On attend le projet de loi de finances. Nous avons également prévu 6 milliards d’économies.

Selon un média de la place, vous auriez une vingtaine de collaborateurs. Pensez-vous revoir leur nombre ?

J’en avais 22, il y en a 19. C’est trop. J’ai fait part à certains de la fin de leurs fonctions, l’objectif étant de baisser au moins de 15 % la masse de collaborateurs. Il faut aussi réduire les déplacements, et un point sur les cartes essence est prévu.

La vice-présidence du gouvernement est-elle un enjeu particulier ?

Oui, c’est un enjeu. Il traduit ce qu’il se passe au niveau politique au sein du FLNKS et des discussions sur l’avenir. Nous, on considère que c’est à l’UNI de prendre la vice-présidence. Ils n’ont rien cassé, ils sont constructifs. Sauf que l’UNI a la trouille de la prendre à l’UC parce qu’ils sont trois et qu’eux ils sont deux. On ne votera jamais pour un vice-président UC. L’UC a construit la CCAT, la CCAT a tout cassé. Si un candidat a six voix sans nous, tant mieux. Sinon, il n’y aura pas de vice-président. Ce n’est pas obligatoire et c’est déjà arrivé.

Sur quelle majorité pourra s’appuyer l’exécutif au Congrès ?

Ce que l’on vit est la preuve de la fin du système. On a des modèles de société différents et la mécanique ne marche plus. Ce machin a été construit en 1998 dans un autre contexte politique. On gagne les élections et on ne gouverne pas ; on gouverne si l’Éveil océanien décide qu’on gouverne. La majorité sera trouvée au cas par cas, mais cela ne fait pas avancer un pays. Pourquoi les mairies sont efficaces ? Parce qu’elles ont un système majoritaire.

Générations NC a proposé une majorité avec l’UNI, y êtes-vous favorable ?

C’est une décision qu’on a prise ensemble. Notre allié naturel, ce sont les non-indépendantistes, donc plutôt Calédonie ensemble. Mais, c’est difficile de travailler avec des gens qui n’ont pas de parole.
L’UNI a condamné les exactions et est en retrait du FLNKS. On a construit le PS2R ensemble, ils ont envie que la Nouvelle-Calédonie sorte par le haut avant de se poser des questions électorales. Ils devraient avoir le courage de s’émanciper de l’UC.

Je considère depuis le départ que l’UC
ne veut pas d’accord. Ils veulent la date
de l’indépendance, ce qu’on ne donnera pas, donc il n’y aura pas d’accord.

Les provinciales approchent. Serez-vous candidate à votre succession ?

On ne peut pas se mettre en mode campagne dans la situation financière dans laquelle on est. Concernant le candidat, c’est beaucoup trop tôt. On n’a pas la date des élections, pas le corps électoral, on ne sait pas s’il va y avoir un accord ou pas, les élections ne vont pas se jouer sur les même points qu’en 2019. Après, c’est un gros enjeu pour les indépendantistes. Ils veulent prendre la province Sud et ne peuvent pas le faire sans l’aide d’une partie du camp non-indépendantiste. Si on projette les législatives sur les provinciales, les Loyalistes et le Rassemblement peuvent avoir la majorité absolue, mais cela demande l’union la plus large possible.

Au vu des dissensions au sein du camp non-indépendantiste, l’union est-elle possible ?

Quelles dissensions ? Chacun fera ce qu’il a à faire. Déjà, se présenter alors qu’on imagine qu’on ne passera pas la barre, ce sont des voix perdues, cadeaux pour les indépendantistes. Ensuite, la province Sud est la seule institution qui reste non-indépendantiste et je considère qu’on ne peut pas jouer avec.
On a le droit de ne pas s’aimer, mais on n’a pas le droit de trahir nos électeurs. Quand on est élu parce qu’on s’affiche non-indépendantiste, on met à la tête de la province des non-indépendantistes. Ce sont mes deux lignes rouges.

Une réunion de l’ensemble des composantes politiques s’est tenue il y a une semaine. Qu’en est-il ressorti ?

Il y a eu des discussions dans le cadre de ce que certains appellent l’initiative calédonienne. Cela a permis d’identifier les points d’accord et de désaccord. On a remis à jour ce qui avait été fait avant le 13 mai. Maintenant, tout le monde attend le lancement des négociations par l’État à la fin du mois. On n’a pas d’invitation, pas d’ordre du jour, mais c’est confirmé.
Je considère depuis le départ que l’UC ne veut pas d’accord. Ils veulent la date de l’indépendance, ce qu’on ne donnera pas, donc il n’y aura pas d’accord. Sans cela, ils pensent que les élections se feront avec un corps électoral gelé. C’est ce que je dis à l’État depuis le départ, je l’ai redit à Manuel Valls. La question est : qu’est-ce qu’il se passe ? On ne va pas maintenir les Calédoniens sous pression en disant : « un jour, il y aura un accord ». Il faut acter le fait qu’on n’est pas d’accord sur la façon de fonctionner et voir comment on organise la Nouvelle-Calédonie afin de rendre acceptables nos désaccords.

Cela signifierait l’échec de 40 ans de chemin institutionnel, de la poignée de main…

Non. Ce qu’ils ont fait en 1988, c’est exactement ce que nous disons. Le choix de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, c’est ce à quoi nous disons qu’il faut revenir. Ce qui a fait que ça a fonctionné, c’est la provincialisation : on donne un maximum de compétences aux provinces, parce qu’on n’a pas la même vision des choses. La poignée de main, c’est une vision politique et pas technocrate de la Nouvelle-Calédonie. C’est en 1998 qu’on a tout cassé, avec cette vision de peuple calédonien.

Techniquement, cela reste difficile à définir…

Il existe des modèles de fédéralisme interne.

Ce n’est pas dans la culture française…

Bien sûr. Le premier leader qui a compris ce que j’ai dit, c’est François Bayrou, avant qu’il ne soit Premier ministre. Il m’a dit : « c’est la solution aussi pour la France, la valorisation des identités plutôt que de tout noyer ». Valorisons nos identités différentes et organisons-nous de manière à ce que chacun se sente bien dans son modèle de société et sa façon de vivre, en se respectant, afin de faire avancer la Nouvelle-Calédonie. On a envie de vivre ensemble, mais pas de la même façon. C’est le projet que nous portons et c’est celui que la population qu’on représente veut qu’on porte.

Ce sera abordé à la fin du mois à Paris ?

Oui. Notre position sera de défendre ce projet avec le Rassemblement et les organes qui constituent les non-indépendantistes. C’est important, parce que c’est un début de négociation après la phase de discussion. On a un espoir que cela puisse aboutir à quelque chose. À la fin, de toute façon, l’État devra prendre ses responsabilités.

Le problème, c’est qu’on ne fait pas un fédéralisme tout seul…

Le terme a été utilisé par Emmanuel Tjibaou sur RRB. C’est la première fois que l’UC dit qu’il faut prendre des choses dans le fédéralisme voulu par les non-indépendantistes. Et Philippe Gomès a dit qu’il fallait désormais allier la souveraineté externe voulue par les indépendantistes et la souveraineté interne provinciale voulue par les non-indépendantistes.

Manuel Valls est-elle la bonne personne pour gérer le dossier ?

On n’a pas de pouvoir fort depuis la dissolution. Le résultat est catastrophique, parce que c’est Bercy qui gère les questions financières et son attitude est insupportable, Bercy nous humilie. Et sur le plan institutionnel, il faut une prise en main politique. Si c’est Manuel Valls, je suis très contente, il connaît bien le dossier. Pour l’instant, on attend une méthode. Maintenant, quelle est la position de l’État, que propose-t-il ? La France est, pour l’instant, un sleeping partner.

Plus jamais vous ne me verrez avec les deux drapeaux derrière moi.

Le délai pour trouver un accord est contraint, deux mois et demi. Est-ce suffisant ?

Le délai n’est pas un sujet. La question, c’est la volonté. Si on s’enferme pendant trois semaines, on rédige le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Le problème, c’est qu’il y en a qui viennent autour de la table pour ne pas en trouver.

Un accord temporaire est-il envisageable ?

C’est Georges Naturel qui dit ça. Cela n’a pas de sens : ça repousse le problème et cela remet les indépendantistes en situation de force. Il faut faire les élections avant le 30 novembre, mais sur la base d’une modification constitutionnelle. Ce qui veut dire que l’État met un truc sur la table. Il doit se positionner pour nous mettre en situation de trouver un accord et dire ce qu’il se passe s’il n’y en a pas. Et prendre ses responsabilités pour que les élections aient lieu.

Pour vous, les provinciales ne peuvent se tenir qu’avec un corps électoral modifié ?

Si ce n’est pas le cas, on attaquera. Sur le plan juridique, c’est illégal. D’un point de vue démocratique, c’est une honte, et d’un point de vue politique, c’est une image dramatique de la France.

La province Sud a réduit certaines aides ou restreint leur accès, en instaurant notamment un temps de résidence de 10 ans pour pouvoir les obtenir, a acté la fermeture du collège de Rivière-Salée… Ne pensez-vous pas que cela fragilise des populations déjà en grande difficulté ?

La difficulté, c’est que la plus grande partie du budget de la province va aux plus fragiles. L’enseignement plus la partie Dpass représentent environ 70 % de notre budget. Forcément, on enlève là où on donne. On essaie de faire des choix qui permettent de responsabiliser les populations ‒ c’est l’idée du ticket modérateur ‒, mais qui sont supportables.
Aujourd’hui, des gens descendent en province Sud pour les aides. Le Nord et les Îles touchent entre quatre à six fois plus par habitant que le Sud avec la clé de répartition. Pour nous, c’est la double peine. On ne peut plus payer, on ne peut plus prendre tout le monde. Avec les dix ans de résidence, on priorise les gens issus de la province Sud, considérant que les autres peuvent bénéficier des aides des provinces Nord et Îles. On diminue partout, les aides aux agriculteurs et aux entreprises aussi.

Nicolas Metzdorf a demandé à l’État un éclaircissement sur la présence du drapeau du FLNKS lors des manifestations sportives. Cela ne rajoute-t-il pas au climat de tension ?

Les deux drapeaux, j’y étais favorable quand Pierre Frogier les a proposés. J’ai été au Sénat coutumier quand ils ont été levés. J’y ai cru. Le 13 mai, ils ont cassé toute possibilité que ce drapeau devienne celui de la Nouvelle- Calédonie. Ils en ont fait un drapeau de haine, de racisme, d’exclusion, de violence. Ils nous ont insultés, menacés, brûlés aux couleurs du drapeau. Plus jamais vous ne me verrez avec les deux drapeaux derrière moi.

L’association des citoyens mondoriens plaide pour la construction d’un viaduc. Y êtes-vous toujours favorable ?

L’attitude de l’État sur le Mont-Dore est insupportable. Quinze mille personnes sont prises en otage depuis 40 ans. Il doit faire quelque chose. Les services réfléchissent à des techniques pour sécuriser la route, les réponses sont attendues fin janvier.
L’État a proposé un mur, mais cela n’a pas l’air de marcher techniquement. Des barrières ont été évoquées. On a inscrit 1 milliard au budget d’investissement sur le sujet. Les résultats des études géotechniques concernant le viaduc sont aussi attendus bientôt. Elles permettront d’affiner les estimations qui vont de 18 à 60 milliards de francs.

Propos recueillis Y.M. et A.-C.P.