Sécurité en mer : peut mieux faire

Avec 24 000 immatriculations pour 270 000 âmes, la Nouvelle-Calédonie est la destination française comptant le plus de bateaux par habitant. Étonnamment, c’est aussi l’une des rares collectivités où le permis bateau n’est pas obligatoire. Un héritage historique qui ne doit pas faire oublier que des règles de sécurité s’imposent en mer et qu’elles peuvent sauver des vies.

Deux pêcheurs de loisirs disparus depuis bientôt vingt jours, un semi-rigide percutant une annexe à grande vitesse baie de l’Orphelinat… Ces dernières semaines ont rappelé que naviguer n’était pas sans danger. Un dur retour à la réalité dans un pays où le lagon est considéré depuis longtemps comme un espace de liberté. « Les Calédoniens ont toujours vécu comme ça. Ils ont le sentiment qu’ils connaissent bien le lagon et la mer. Or, c’est souvent quand on est sûr de soi qu’arrivent les problèmes », observe Lluis Bernabé, le vice-président de la SNSM.

Les sauveteurs en mer savent de quoi ils parlent. Avec 75 missions en 2015 et 182 heures passées sur l’eau, la SNSM est le deuxième opérateur à intervenir en nombre d’heures. Elle se positionne juste après les moyens privés et les particuliers qui accumulent près de 188 heures d’intervention. « Sans cette solidarité entre marins, il serait très difficile d’absorber toute cette charge », relève Nicolas Renaud, le directeur du MRCC de Nouméa, l’entité qui assure la coordination de toutes les opérations de sauvetage maritime dans la zone de responsabilité française.

« Le permis n’étant pas obligatoire, n’importe qui peut acheter un bateau et partir en mer sans avoir la moindre connaissance, déplore Raphaël Riquet, bénévole à la SNSM. Même si le permis ne fait pas de vous un marin, car on y apprend surtout les manœuvres au port et non à passer les vagues, on vous rappelle les consignes de sécurité, le rôle des balises, les calculs d’autonomie pour ne pas tomber en panne d’essence… Il y a une formation minimum qui peut éveiller à la prévention.»

Une accidentologie peu significative

Le permis bateau, un sujet tabou en Nouvelle- Calédonie ? Pour l’heure, aucun politique n’a souhaité s’y frotter. Certes, « la Nouvelle-Calédonie a vécu des moments particulièrement émouvants ces dernières semaines, concède Eric Mevelec, le directeur des Affaires maritimes. Mais sans vouloir minimiser le sujet, nous n’avons pas en Nouvelle- Calédonie une accidentologie supérieure à ce qu’il se passe ailleurs. » Les deux motifs principaux d’intervention, rappelle le directeur des Affmar, sont les pannes moteur et les échouements. « Deux motifs pour lesquels le permis ne changerait rien ».

Ce qui n’empêche pas le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie* de travailler sur une réglementation portant sur la sécurité des navires. Un projet de délibération doit être examiné au Congrès d’ici la fin de l’année. Cette délibération cadre fixera des procédures sur lesquelles des arrêtés plus spécifiques viendront se greffer. « Dans le domaine de la plaisance, nous allons réfléchir aux moyens de renforcer la sécurité des navires qui sortent du lagon, comme l’obligation d’avoir un radeau à bord, détaille Eric Mevelec. Nous aimerions également qu’il y ait un deuxième moyen de communication. C’est-à-dire, qu’en plus de la VHF, on souhaiterait la généralisation des balises de détresse qui se déclenchent automatiquement lorsqu’elles sont immergées ». Si ces balises permettent de recevoir la position du bateau et de l’identifier, beaucoup de plaisanciers rechignent encore à s’en équiper en raison de leur coût, à savoir plusieurs dizaines de milliers de francs. Mais là encore, la prudence est de mise. « Nous essayons de faire cette réglementation en concertation avec un comité des usagers », précise le directeur des Affaires maritimes.

Questions à… Raphaël Riquet, bénévole à la SNSM

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Quels comportements à risques observez-vous le plus souvent lors de vos opérations de sauvetage ?

Raphaël Riquet : Le premier élément qui ressort, c’est l’absence de matériel de sécurité obligatoire à bord de l’embarcation. Ce qui devrait être le minimum. Souvent, les gens n’ont pas de gilet de sauvetage dans le bateau, pas de pagaie ni de feux à main pour se signaler. Nous constatons aussi quelques fois un nombre de passagers supérieur à la capacité du navire. Il y a également le problème des bateaux surmotorisés, qui peut avoir des conséquences, comme le fait d’affaiblir certaines structures de l’embarcation.

Comment fonctionne la SNSM ? Vous interventions sont-elles gratuites ?

Nous sommes tous bénévoles. Nous sommes 40 à Nouméa et près de 90 sur l’ensemble du pays. La SNSM a été créée il y a douze ans en Nouvelle- Calédonie, mais elle fêtera ses 50 ans, l’an prochain, en Métropole. Le gouvernement nous finance à 80 % pour le fonctionnement. C’est un gros partenaire. Nous pouvons également compter sur quelques dons et nous organisons des ventes. C’est ce que nous allons faire avec ce premier trail, le 26 octobre, et dont les fonds serviront à financer l’achat de notre nouvelle vedette l’année prochaine, qui aura une autonomie de 24 heures. Le gouvernement financera cet investissement pour moitié, c’est-à-dire 65 millions de francs. Pour ce qui est de nos interventions, la sauvegarde de la vie humaine est gratuite. En revanche, l’assistance au matériel, c’est-à- dire le remorquage des bateaux, est payante. Nous facturons à l’heure.

Quels conseils donner aux plaisanciers ?

Il faut peut-être rappeler que le permis bateau n’est pas obligatoire en Nouvelle-Calédonie mais qu’il est possible de le passer de manière volontaire. Concernant le matériel, l’équipement minimum à avoir, c’est le matériel de sécurité obligatoire. Mais attention, il faut que ce matériel soit connu de tous les gens qui se trouvent à bord du bateau, qu’il soit facilement accessible et conservé dans un bidon étanche car s’il coule avec le bateau, il ne servira à rien. Il faut avoir un gilet de sauvetage par personne et que le gilet soit porté, même si ce n’est pas obligatoire, en particulier pour les enfants. Il est également très important que les gens s’informent des conditions météo avant de partir en mer.

Il faut aussi penser à prévenir un proche de son lieu de destination et du moment auquel on compte rentrer. Si vous changez de lieu : pensez à prévenir la personne. Cela évite aux sauveteurs de chercher dans la mauvaise direction. Pensez également à avoir des moyens de communication adaptés, sachant que le Mobilis est le moins efficace, car il ne capte pas partout et on ne peut pas vous localiser. Beaucoup de gens sortent en mer sans le moindre système de communication. L’avantage de la VHF, c’est que ses fréquences sont reçues par tous les bateaux qui en sont équipés et sur notre bateau, nous avons un appareil qui nous permet de savoir d’où provient l’émission et de chercher dans la bonne direction.

C.Cochin 


Des opérations de sauvetage très coûteuses

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Sauver des vies n’a pas de prix mais cependant un coût. Et pourtant, en dépit des sommes considérables engagées lors des opérations de sauvetage en mer, aucun chiffre officiel n’est avancé, que ce soit du côté de la Nouvelle-Calédonie que de l’État. L’exercice semble en effet compliqué pour plusieurs raisons. D’une part, « chaque administration prend en charge ses coûts sur son budget propre », rappelle Nicolas Renaud, le directeur du MRCC. L’hélicoptère Puma dépend de l’armée de l’air, l’avion Gardian de la Marine nationale, la vedette La Dumbéa de la gendarmerie nationale, etc… D’autre part, les montants estimés pour le même appareil varient du tout au tout, en fonction des dépenses prises en compte. Ainsi, faire voler le Gardian coûterait entre 8 000 euros et 25 000 euros de l’heure. Soit entre 1 et 3 millions de francs, un écart énorme qui s’explique par ce que l’on prend en compte sur la facture, à savoir le kérosène, le pilote, l’entretien… Au MRCC, un ancien directeur a bien essayé par le passé de dresser une estimation. Mais l’initiative a fait grincer des dents. Parler gros sous quand il s’agit de sauver des vies serait-ce tabou aussi ?


L’année 2015 en quelques chiffres

• 353 opérations en mer traitées par le MRCC.

• La plaisance et les loisirs représentent 68 % des opérations impliquant un flotteur.

• Sur l’ensemble de ces opérations,
49 % représentaient un danger grave, imminent ou probable. Nombre d’appels sont dus à de fausses alertes.

• Sur les 918 personnes concernées par ces opérations, 285 personnes ont nécessité d’être secourues.

• 5 décès en mer, plus trois disparus, sont à déplorer. Toutefois, la nature des décès n’est pas liée à une méconnaissance des règles de sécurité. Parmi eux, on recense un suicide, un décès naturel, une attaque de requin et deux décès suite au crash d’un hélicoptère de la Sécurité civile dans la mangrove de Voh.

Source MRCC


Des journées « pour sensibiliser le public »

Chaque année, la Nouvelle-Calédonie organise une campagne sur la sécurité des loisirs nautiques, le premier dimanche des vacances d’été. Un « pôle mer » sera également représenté aux rencontres de la sécurité, qui se dérouleront le vendredi 7 octobre, de 9 h à 17 h, à la gendarmerie maritime. La SNSM, le MRCC, la gendarmerie maritime et la Marine nationale seront présents, avec au programme des démonstrations de sauvetage en mer avec hélitreuillage et la visite de La Dumbéa, le navire de la gendarmerie maritime.