Sécurité civile : en quête de vérité

La compétence de la sécurité civile a été transférée à la Nouvelle-Calédonie en 2012, avec une mise en œuvre effective en 2014. (©C.M)

De nouveaux éléments émergent de la Direction de la sécurité civile et de la gestion des risques (DSCGR), où différents protagonistes se livrent une bataille administrative et judiciaire. Le gouvernement reste silencieux, même sur la réorganisation qu’il a entreprise. La justice apportera des réponses.

La saison administrative des feux de forêt est-elle assurée par la sécurité civile dans des conditions optimales ? Depuis le mois, et la divulgation des difficultés de cette direction (DNC n° 931), le gouvernement reste en retrait. Plus inquiétant, pour certains témoins directs, chaque prise de parole, si petite soit-elle, est un « tissu de mensonges ».

INCOHÉRENCES

Plusieurs sources internes jugent que l’administration fait une « différence de traitement » entre le directeur adjoint, Victor Lethezer, et l’ancien directeur, le général Frédéric Marchi-Leccia, qui font tous deux l’objet d’une enquête judiciaire.

Placé en garde à vue, mercredi 1er octobre pour répondre de cinq plaintes déposées à son encontre au motif de harcèlement moral par des agents de la DSCGR, le premier reprend le travail le lendemain. Trois plaignants sont encore en poste. Le gouvernement explique alors aux Nouvelles calédoniennes qu’aucune suspension n’est prévue pour le moment. « Nous attendons d’avoir plus d’éléments des plaignants », expose le « cabinet présidentiel » qui précise : « contrairement au cas de Frédéric Marchi-Leccia, où une enquête interne avait permis de prendre une telle décision ».

Pourtant, plusieurs membres du gouvernement Ponga ont été alertés, dès le mois de mai 2025, dans le détail, du harcèlement subi de la part du directeur adjoint depuis de nombreux mois. Quant à « l’enquête interne » – il n’y a pas eu d’enquête administrative – un audit a effectivement été mené. Mais il aurait commencé le 15 mars pour des conclusions rendues, selon ces témoins, « vers fin mai ». Le général a été suspendu le 21 mars de manière « provisoire en attendant l’issue de procédures administratives et pénales ».

AUDIT « À CHARGE »

Vu la proximité des dates, cet audit est présenté dans la presse comme étant lié à l’affaire du directeur. Le 28 mars, le gouvernement tient à préciser dans un communiqué qu’il est « totalement indépendant de la mesure de suspension » et « initié bien avant ».

Un courrier du 18 novembre 2024 que nous avons pu consulter annonçait effectivement aux agents la réalisation d’un « audit organisationnel et financier ». « On était ravis parce qu’on allait enfin montrer ce qu’on faisait avec peu de moyens », se souvient un fonctionnaire de la DSCGR. Le document, que nous avons obtenu, stipule qu’il est réalisé dans le prolongement d’un rapport de la Chambre territoriale des comptes de 2023 et qu’il fait suite à un signalement et des plaintes…

Alors qu’il devait concerner « l’ensemble des agents » (près de 50) selon le premier courrier, « une dizaine seulement sont entendus ». Le rapport, qui pointe des dysfonctionnements et formule des recommandations, est jugé « à charge contre le directeur et son épouse », « réalisé pour le dégager ».

Parmi les faits reprochés : la vérification des aptitudes médicales, l’embauche d’une consultante sous statut de pompier volontaire expert en suivi des contraintes psychologiques dont les qualifications sont mises en cause (elle a déjà travaillé pour le gouvernement), des soupçons de favoritisme dans la gestion des plannings, la question du défraiement du personnel de santé lors des déplacements en Brousse, la demande, soutenue par l’Ordre, de recul de l’âge règlementaire des médecins et infirmiers, des points sur lesquels l’administration a été alertée.

On trouve aussi des dépenses d’hélicoptère bombardier d’eau hors marché (mais initiées en l’absence du directeur), ou encore un séjour « privé » de deux jours à Casa del Sol. Des échanges de mails font pourtant état, sur ce dernier point, de l’accueil de renforts métropolitains pour ces deux nuits. La personne ayant fait la réservation de l’hébergement serait à l’origine d’une plainte contre le directeur (lire par ailleurs). L’achat de deux képis est également dénoncé. Il semble pourtant correspondre à la réglementation métropolitaine en vigueur sur le territoire depuis 2018.

Pour plusieurs fonctionnaires, ces éléments sont « bidon ». Et l’audit ressemble au rapport rendu par l’adjoint contre son directeur au mois de février. Qui a tort ou qui a raison sur tous ces points ? Les dysfonctionnements, s’il y en a, sont-ils suffisants pour révoquer le directeur ? La vérité est attendue. Le gouvernement n’a pas répondu à nos sollicitations.

Chloé Maingourd

Après cinq années passées à la DSCGR et autant au service de l’État en Nouvelle-Calédonie, le général Frédéric Marchi-Leccia prévoyait de partir en mars 2026. Cinq officiers calédoniens ont été formés pour assurer la suite. Une est partie en raison de ce chaos, d’autres pourraient suivre.

 

JUSTICE

Le 18 septembre, le tribunal administratif a rejeté le référé-suspension formulé par le général Frédéric Marchi-Leccia. Une telle procédure permet de demander de lever en urgence l’exécution d’une décision, en l’occurrence la suspension. Son conseil a mis en avant la privation des droits de la défense et le préjudice « grave et immédiat » subi en raison de l’absence de rémunération depuis juillet, sans sanctions définitives de la justice.

Lors de l’examen du recours, le 16 septembre, le président du tribunal avait évoqué une « possible errance juridique ». Le tribunal a finalement estimé que la décision de l’administration était justifiée, une décision que ne comprennent toujours pas certains. Quant aux procédures pénales, elles sont toujours en cours.

L’ex-directeur se serait présenté librement pour être auditionné le 23 septembre (une première car il n’aurait jamais été reçu par sa hiérarchie et n’aurait jamais eu accès à son dossier) à propos d’une plainte pour harcèlement moral émanant d’un agent « assez bien placé ». Selon nos informations, les griefs portent sur des retards dans les évaluations de fin d’année, des propositions formulées par cet agent non mises en œuvre par le directeur ou encore des reproches visant son épouse datant de 2006, alors qu’elle n’était pas en activité professionnelle.

Le procureur de la République nous indique que l’ancien directeur sera « entendu dans les toutes prochaines semaines sur les faits de détournement de fonds publics dénoncés par M. Lethezer ».
Pour ce dernier « le régime de la garde à vue a été levé et les investigations se poursuivent », informe Yves Dupas.

 

RÉORGANISATION

Photo Théo Rouby / AFP

Mercredi 8 octobre, le compte rendu de la séance du gouvernement mentionne la réorganisation de la DSCGR. Les « difficultés managériales et organisationnelles » ont « affecté la capacité de la direction à remplir pleinement ses missions, notamment en matière de coordination opérationnelle et d’accompagnement des communes ». Le gouvernement propose une nouvelle organisation avec deux groupements : « opérationnel » et « prospective et développement » pour six services.

Le directeur est assisté de deux adjoints. Ces mouvements doivent « restaurer la pleine capacité d’action de la DSCGR » et notamment « un management cohérent et mobilisateur, garantissant un meilleur climat de travail et une implication renforcée des agents ».

Des fonctionnaires s’interrogent. « On passe de quatre à six chefs de service alors qu’on est en période de restriction. Le service médical est réduit en « cellule », alors qu’en France, c’est une priorité. Nos propositions n’ont pas été retenues. » La présence d’un directeur opérationnel a déjà permis d’assainir le climat, même si l’ambiance reste anxiogène. « On a perdu pas mal de monde et des agents continuent de partir. Certains ont peur de se retrouver sur le carreau. »