Le Guinness World Records a certifié fin février le nouveau record de la plus grande vague surfée en planche à voile par une femme. Il a été accompli par la Calédonienne Sarah Hauser, qui a dompté cette vague de 12 mètres il y a un an à Maui.
DNC : Quand vous avez surfé Jaws, le 22 janvier 2023, saviez-vous
qu’il s’agissait d’un nouveau record ?
Sarah Hauser : Je m’en doutais, mais on n’est jamais sûr. Pour évaluer les records, on utilise une photographie qui doit être prise au bon moment, quand la vague est à son summum. Et puis, pendant que ça se passe, on est déconnecté. Rien que de voir ces vagues géantes, on oublie les sponsors et les records. C’est une expérience profonde, un peu mystique, d’être au contact de la nature quand elle est comme ça. C’est un moment que je vis pleinement. Les vagues sont uniques : chacune vient d’une tempête, elle a sa propre façon de déferler. Quand j’ai fini de rider, je me rappelle avoir sauté de ma planche. J’ai regardé autour de moi, j’ai pris le temps d’être en pleine présence.
Certains surfeurs disent qu’ils « posent le cerveau » au moment de se lancer. C’est votre cas ?
Oui, je connais bien l’expression ! Disons que quand on a décidé d’y aller, il y a un point de non-retour, et à ce moment-là, il faut accepter de poser le cerveau. Quand on part à toute vitesse sur un mur d’eau géant, c’est comme descendre une piste noire, s’arrêter serait pire. Donc là, il faut passer dans l’état que certains appellent le “flow”. On est sur le mode des instincts, et c’est le meilleur moment, celui où tout le travail de préparation va payer : les entraînements physiques à la salle, les heures passées sur l’eau à acquérir de la technique, des réflexes… On laisse les choses se passer. C’est le moment de la célébration, et il est un peu paradoxal : c’est un moment de stress ultime et de grand relâchement.
Comment préparez-vous une vague record ?
Il y a tellement de choses possibles : accidents, blessure, noyade… On essaie de prendre tout ça en compte. La préparation physique est adaptée aux conditions : je travaille par exemple l’apnée dynamique en état de stress. On vient de faire un sprint, on vient d’avoir la plus grosse peur de sa vie, on pense qu’on va mourir, et là on doit retenir sa respiration. On connaît les images du surfeur Laird Hamilton qui porte un gros caillou sous l’eau, je le fais souvent. À Maui [l’île de l’archipel de Hawaï où elle réside, NDLR], on a une belle communauté d’athlètes de haut niveau qui essaient de dompter ces vagues, donc on s’entraîne en groupe, c’est super.
On court sur le cratère de Haleakalā, à 3 000 mètres d’altitude, pour ressentir le manque d’oxygène. On suit aussi une préparation mentale pour se familiariser avec la peur, discerner celle qui nous aide et celle qui nous fait paniquer. Il y aussi tout l’aspect matériel, avec le développement des planches, des ailerons, des gilets à cartouches de CO2 que l’on déclenche pour remonter à la surface rapidement. C’est une grosse préparation, et pour moi, il faut l’apprécier tout autant que le ride sur la vague, parce que c’est la raison pour laquelle j’ai toujours voulu être athlète : prouver mon potentiel physique et mental, apprendre à mieux me connaître, et faire ce genre de travail au sein d’une équipe.
Sur le spot de Jaws, quelles sont les conditions nécessaires pour une vague géante ?
Il faut une tempête suffisamment grosse dans le nord du Pacifique, et en même temps un anticyclone qui amène du vent. Ça ne se produit pas tous les ans. Et parfois, on a trois ou quatre sessions dans l’hiver. Donc il faut être présent ce jour-là, et il ne faut pas être blessé, surentraîné ou fatigué… C’est pour ça que je me suis installée à Maui, et que vers septembre ou octobre, quand le circuit international s’arrête, la saison des grosses vagues commence pour moi.
D’où vient votre recherche de records ?
Il y a quelques années, l’IWT [International Windsurfing Tour, NDLR] avait lancé une sorte de challenge pour récompenser les plus gros rides, un peu comme le Big Wave Awards en surf. J’avais remarqué à quel point il était difficile de savoir qui avaient été les premières femmes à rider à Jaws. Il n’y avait pas vrai- ment d’histoire du windsurf dans les grosses vagues. Je me suis dit qu’en commençant avec un record Guinness, ce serait une façon d’officialiser la chose, d’inciter des gens à battre le record, et de faire connaître ce sport.
Après 12 ans sur le circuit international, vous avez toujours la flamme ?
Oui ! J’ai une chance inouïe de faire carrière dans ce sport. Et depuis les années de Covid, sans compétition, je le vis avec un bonheur encore plus grand, et je profite de chaque instant.
Propos recueillis par Gilles Caprais