Sans chasse, le cerf tracasse

"Il faudra un long effort de régulation pour que, dans certains secteurs, les forêts puissent être considérées comme sauvées tout comme la ressource en eau" estime Patrick Barrière de l'ANCB. © C. Fort

L’interdiction de la chasse en raison des émeutes intervient au moment où une étude atteste d’une concentration record de cerfs rusa en certains endroits. Des chasseurs professionnels et des scientifiques appellent à maintenir un effort de prélèvement.

Un vieux de Boulouparis s’en souvient encore. « On a déjà connu ça avec les Événements en 1984, et pendant plusieurs années après. Ça a participé au boom du cerf en Nouvelle- Calédonie. » Les émeutes sur fond de contestation du projet de dégel du corps électoral provincial ont stoppé la chasse. Pris très tôt dans ce contexte de violences, aux environs du 13 mai, un arrêté du haut-commissariat interdit « le port, le transport et l’utilisation d’armes à feu et de munitions » sur l’ensemble du territoire.

Par armes prohibées à l’heure actuelle, il faut aussi entendre « l’arc, le couteau jusqu’aux chiens », explique Pascal Fort, directeur de la Fédération de la faune et de la chasse de Nouvelle-Calédonie. Cette décision de l’État adoptée il y a plus de six mois est « tout à fait justifiée » vu le climat de tension, approuve le dirigeant de la FFCNC.

L’initiative logique du haussaire Louis Le Franc tombe néanmoins à un mauvais moment, celui d’une confirmation : la population de cerfs rusa, espèce invasive introduite sur la Grande Terre dès 1870 dans un geste de générosité du gouverneur de Java, est très abondante.

Soutenu par le 11e Fonds européen de développement mais aussi, en local, par l’Agence rurale et les trois provinces, le projet régional PROTEGE livre des chiffres précis. Pendant un an, en 2023, et pour la première fois, un suivi par drone thermique sur la base d’analyse vidéo a été mis en œuvre sur trois zones prioritaires : les massifs du mont Panié, de Houaïlou et du nord de Thio.

Sur la totalité de ces zones, soit à peu près 5 000 hectares, ont été comptabilisés 2 000 cerfs. « Ce qui représente une densité de plus de 40 cerfs au km2. C’est important », calcule Patrick Barrière, coordinateur du pôle menaces en charge des espèces exotiques envahissantes à l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité. L’expert note même « un record mondial pour le cerf rusa » en un endroit : une concentration de 206 cerfs au km2 sur une surface de survol de 53 hectares. « Malheureusement », ces résultats sont cohérents avec les impacts négatifs observés au niveau du sous-bois.

DANS LES CAPTAGES D’EAU

Les données ne permettent pas d’extrapoler à l’échelle territoriale. Toutefois, l’alerte continue de retentir. Lorsque le cerf a consommé la quasi-totalité de la végétation, en période de fortes précipitations, le sol n’étant plus retenu, des phénomènes d’érosion se créent, même d’arrachement de la partie minérale et organique pour finir jusque dans les captages d’eau.

À terme, la matière se retrouve dans le lagon. « Les cerfs qui vivent dans la chaîne centrale sont ceux qui aujourd’hui posent le plus de problèmes », estime Patrick Barrière, et ce, pour deux raisons : la forêt humide est le cœur de la biodiversité sur le territoire et la chaîne centrale permet la régulation de la ressource en eau.

La chasse est nourricière, et son interdiction, même compréhensible, pèse dans des familles. De plus, la population de cervidés se maintient. La Fédération de la faune et de la chasse a adressé, la semaine passée, un courrier au haut-commissariat « en faveur d’un assouplissement des règles », remarque Pascal Fort qui formule deux suggestions : fixer un jour de chasse et définir un système de quotas pour l’achat de munitions.

Vu les ravages de ces animaux, Patrick Barrière de l’ANCB espère que les opérations de régulation initiées par le biais d’actions professionnelles dans le cadre du projet PROTEGE avec un drone ou des lunettes thermiques sur les armes ne s’achèveront pas brutalement. Il y a urgence à « trouver les moyens nécessaires ».

 

♦ EN CHIFFRES
Des experts estiment le nombre de cerfs sur le territoire bien supérieur à 300 000.
Pas moins de 335 plantes sont menacées par les cerfs rusa, un record à l’échelle des outre-mer.
La Fédération de la faune et de la chasse recense entre 4 000 et 4 200 adhérents.
Il s’échange ou se consomme chaque année entre 80 000 et 100 000 cerfs, dont 90 % issus de la chasse.

♦ BOMBE
Les cerfs détruisent à grande échelle, pourtant « il n’y a pas d’accès aux domaines publics de la Nouvelle-Calédonie » pour chasser, les propriétaires privés refusant souvent le passage. Selon Pascal Fort, directeur de la Fédération de la faune et de la chasse, « c’est une bombe à retardement. On crée des réservoirs à cerfs monstrueux. » Le gouvernement est encouragé à agir.

♦ MISSIONS
Dans le cadre du projet PROTEGE, 97 missions de régulation professionnelle ont été menées en 2023 sur une surface globale de 10 500 hectares pendant un temps cumulé, pour les différents intervenants, de 889 jours. Près de 900 cerfs et cochons ont été prélevés.

 

Yann Mainguet