Samuel Hnepeune : « Rationaliser, mutualiser et faire des économies d’échelle »

Issu du secteur privé, Samuel Hnepeune regrette « l’empilement d’organisations ». Il estime que « c’est l’occasion ou jamais de reconceptualiser à travers des économies d’échelle en étant plus efficace, mais avec beaucoup moins ». Photo : F.D.

Alors qu’il s’est mis volontairement en retrait du transport aérien domestique, Samuel Hnepeune a en charge plusieurs portefeuilles au sein du gouvernement : les affaires maritimes, la recherche et la valorisation des ressources naturelles ainsi que la formation professionnelle. L’ancien PDG d’Aircal a décidé de présenter progressivement la feuille de route de chaque dossier avec une méthodologie empruntée au secteur privé.

DNC : Depuis le 16 avril, vous détaillez chaque semaine les projets de vos secteurs après la réunion collégiale. Pourquoi ?

Samuel Hnepeune : La référence du gouvernement, c’est la déclaration de politique générale du président. Mais est-ce que chaque membre a fait sa propre feuille de route ? Je crois que cela ne s’est jamais fait. [À partir du 16 avril], je donne rendez-vous pendant au moins quatre semaines pour dire ce que je compte faire. Au cours de ces trois premiers mois, j’ai fait le tour des différents acteurs des secteurs afin de m’imprégner de ce que chacun fait, des dossiers qui sont dans les tuyaux. Premier constat, il n’y a aucune remise en cause, on est plutôt dans la continuité. Autre constat, il y a des choses assez justes, mais on a eu tendance à démultiplier et du coup à générer beaucoup de déper- ditions d’énergie, d’efficacité et de budget.

MARITIME

Vous êtes le nouveau président du port autonome, quelles sont vos ambitions
pour cet outil ?

L’entrée de la Nouvelle-Calédonie, c’est le port et l’aéroport. Le port a un fort potentiel, sauf qu’on ne le valorise pas suffisamment. C’est 95 % du trafic et 75 % de denrées alimentaires. C’est énorme. Le port de Nouméa est dos à la mer parce que la conception historique de la ville, c’est la place des Cocotiers et tout est concentré autour. Il faut réinventer le concept d’une vraie ville portuaire. J’en ai beaucoup discuté avec Mme la maire de Nouméa, qui est complètement en phase sur le sujet.

Un de vos grands projets est la modernisation du terminal de commerce, qui passe par la construction du quai 8, commencée en 2017. Malgré les restrictions budgétaires, va-t-il enfin être terminé ?

Pour moi, on finit avec un milliard de francs cette année et 500 millions l’année prochaine. C’est un message fort pour les entreprises qui ont besoin de commandes publiques. Autre sujet, un nouvel espace logistique de 20 000 m2 supplémentaires. C’est très intéressant avec l’appel à manifestation d’intérêt, qui s’adresse notamment à trois gros opérateurs qui desservent la Nouvelle-Calédonie et qui pourraient être intéressés pour financer une partie des infrastructures.

Le développement des croisières se concentre sur le quai Ferry. Qu’en est-il des grands navires avec un fort tirant d’eau ?

Le deuxième gros chantier est le développement de la croisière. Aujourd’hui, 80 % de la croisière est en grande rade. Ce n’est pas très fun d’accueillir les grands paquebots au plein milieu des conteneurs. L’objectif est de basculer 80 % du trafic de la grande à la petite rade. Des tests ont été finalisés dernièrement sur la manœuvrabilité des grands bateaux. On devrait pouvoir ramener tout ce qui est en dessous de 350 mètres. Et quand tout le monde est sur la petite rade, il va y avoir quelques travaux de dragage et de rallongement de quais pour pouvoir accueillir ces bateaux.

Pourquoi le port souhaite-t-il mettre en place un pôle scientifique et technique ? Où sera-t-il positionné ?

On a de plus en plus de demandes de navires scientifiques qui souhaitent être basés à Nouméa. Et on a aussi des câbliers qui veulent être basés ici. C’est quelque chose de nouveau. À chaque toucher, ces navires lâchent à peu près entre 15 et 20 millions de francs. Ce ne sont pas juste des annonces. On aménage le port, mais on a des demandes en face. On se positionne plutôt sur le quai des scientifiques, mais les choses ne sont pas encore totalement figées. Mme la maire de Nouméa est très intéressée pour qu’on mène ensemble ce genre de réflexion, parce que c’est un total réaménagement du port.

Ces aménagements demandent des investissements lourds. Comment
la Nouvelle-Calédonie peut-elle supporter un tel financement ?

Ça fait partie aussi de la restructuration du port. Au Congrès, il y avait un débat au niveau du budget de la Nouvelle-Calédonie sur l’affectation de la TGC vers le port. Le port dit qu’il faudrait la maintenir le temps qu’il puisse repenser en profondeur sa tarification. Il devrait alors générer des recettes suffisantes, soit pour engendrer les ressources pour financer ses investissements, soit pour pouvoir recourir à l’emprunt. Et il y a des opérateurs qui sont disposés à participer au financement parce qu’ils y ont aussi leur compte. Mais il y a des sujets sur lesquels on ira forcément chercher l’État.

AÉRIEN

Vous avez demandé que le président du gouvernement vous retire la compétence du transport aérien domestique après avoir été écarté de l’Agence pour la desserte aérienne (Adanc). Pourquoi ?

S’il y a deux personnes qui doivent siéger au sein de l’Adanc, ce sont les deux membres du gouvernement en charge de l’aérien, donc le président pour la partie internationale et moi-même pour la partie domestique. Ce n’est pas le cas. Je ne l’ai pas compris. Comment pouvez-vous être en charge d’un secteur et ne pas être là où tout se décide ? Le dossier du domestique est un dossier compliqué. Moi, je veux bien gérer un dossier compliqué, mais à condition d’avoir les leviers.

Qui gère le dossier maintenant ?

Je n’ai pas de retour. J’ai le portefeuille, mais ça devient flottant parce que je ne m’en occupe plus vraiment. Si vous voulez garder les manettes, prenez le dossier. Parmi les dossiers à traiter, il y a le transfert des vols domestiques à La Tontouta. Il est souhaité en juillet. Dans ces conditions, est-ce possible ?On avait annoncé une date parce qu’il faut annoncer une date. Après, il y aura certainement des contraintes de travaux, de conformité qui font que ça sera peut-être en août ou en septembre. Mais plus vite on ira, mieux c’est.

Il y a une accélération sur ce sujet.

C’est une décision du conseil d’administration d’Air Calédonie de juillet 2024. Les campagnes d’information ont été menées en octobre-novembre 2024. Donc je n’ai rien inventé, j’ai pris un dossier en cours, j’ai considéré qu’il fallait aller jusqu’au bout et je l’ai porté.

Ne craignez-vous pas une forte opposition à ce projet ?

C’est le message que je porte auprès de mes collègues, auprès du président : c’est un dossier qu’il ne faudrait pas laisser traîner trop longtemps, parce que la grogne monte et plus elle monte, plus le dossier va être compliqué à reprendre.

En tant qu’ancien PDG d’Aircal, pensez-vous que le rapprochement entre la compagnie domestique et Aircalin est inéluctable ?

Je l’ai toujours pensé. Le rapprochement, cela veut dire qu’on n’est peut-être pas obligé de fusionner et de faire disparaître l’un au profit de l’autre. Cela permet de rationaliser les coûts, de mutualiser, de faire des économies d’échelle.

Les habitants des Loyauté vont être les plus touchés par ce déplacement. Ces messages sont-ils compris ?

C’est compliqué à expliquer. Je pense qu’on s’inscrit plus dans la réticence au changement. Partout dans le monde, l’aéroport est à 45 minutes ou une heure de la ville. Pour les gens des Îles, comme moi, l’aérodrome de Magenta, c’est la gare SNCF. Tu arrives en ville, tu vas faire tes courses, tu vas chez le médecin et une fois que tu as fini, tu rentres chez toi. Quelqu’un qui a toujours connu Magenta comme point d’entrée à Nouméa peut mal le vivre. Cela veut dire qu’on ne veut pas de moi en ville ? L’urbanisation nous met-elle dehors ? C’est comme ça que les gens le perçoivent.

Pour les gens des Îles, l’aérodrome de Magenta, c’est la gare SNCF.

RESSOURCES NATURELLES

Le Congrès doit étudier le 29 avril le projet de loi du pays pour la création d’un moratoire de dix ans sur l’exploration et l’exploitation des ressources minérales au sein de l’espace maritime de la Nouvelle-Calédonie. Quelle est la position du gouvernement aujourd’hui ?

On estime qu’on ne sait pas ce qu’il y a en bas. On ne connaît pas l’impact d’une exploitation industrielle. J’étais à la réunion de Fidji au mois de mars sur le sujet des grands fonds marins et de l’exploitation. Il y a deux grandes tendances qui se dégagent au sein du Forum du Pacifique. Vous avez quelques États qui poussent pour aller à l’exploitation parce qu’il y a de gros intérêts financiers derrière. Et beaucoup d’États du Pacifique disent qu’un moratoire serait bien. On doit absolument se préserver de lancer des exploitations parce qu’on a besoin de faire de l’acquisition de connaissances.

Quelles ressources naturelles ont du potentiel en Nouvelle-Calédonie, hormis le nickel ?

On a fait historiquement la grossière erreur de la mono-industrie. Et aujourd’hui, on a très clairement besoin de diversifier notre économie. Tout ce qui est autour de l’économie bleue a un potentiel énorme. L’Ifremer avance beaucoup sur les études sur les microalgues, on est déjà à la limite de la bascule de la recherche vers une véritable exploitation industrielle. On a une exception calédonienne dont on n’est pas assez conscient.

On a réussi à avoir un consortium qui regroupe l’ensemble des organismes de recherche, le Cresica [Consortium pour la recherche, l’enseignement supérieur et l’innovation en Nouvelle-Calédonie]. On a un des meilleurs écosystèmes de recherche en Nouvelle-Calédonie, mais il n’est peut-être pas suffisamment pris en compte par le décideur. Que fait-on pour que la recherche puisse être au service des ambitions économiques et stratégiques de la Nouvelle-Calédonie ? C’est le vrai challenge. Nous avons l’intention de définir la feuille de route de la recherche avec notamment l’écriture de livres blancs.

FORMATION PROFESSIONNELLE 

Les établissements de formation professionnelle ont été particulièrement touchés durant les émeutes de mai 2024. Où en est-on aujourd’hui ?

Première chose sur la formation professionnelle, on est passé de trois milliards en 2013 de budget à 600 millions en 2025. J’aimerais que le 18e gouvernement incarne l’arrêt de la dégringolade du budget consacré à la jeunesse. Chaque année, 800 jeunes sont déversés par l’Éducation nationale sur le marché sans aucune formation.

Autre élément inquiétant, la déscolarisation. L’âge moyen est en train de passer de 16 à 13 ans. La dégringolade du budget de la formation professionnelle marque un désintérêt du public, en tout cas des acteurs politiques. On a eu le 13 mai, on n’a pas ouvert les yeux ? Si on ne fait pas attention, on a une véritable bombe sociale qui va nous exploser à la figure. Donc, suite au vote du budget, on est en train de racler les fonds de tiroirs. On serait peut-être autour de 800 à 900 millions de financements.

L’âge moyen
[de déscolarisation] est en train de passer de 16 à 13 ans.

Est-ce que des centres de formation vont devoir fermer ?

Non, cela évite qu’on ferme des CFA (centres de formation d’alternants) cette année. Au début des arbitrages budgétaires, on ne devait pas ouvrir de première année en 2025. Ce n’était pas acceptable. On va pouvoir rouvrir tous les CFA, mais peut-être pas tous les programmes de formation. On ne retrouvera jamais le niveau de financement qu’on avait avant. C’est peut-être l’occasion, encore une fois, de rationaliser.

Comment comptez-vous le faire ?

On va repenser, par exemple, le Giep [Groupement pour l’insertion et l’évolution professionnelles] qui est à Nouville. On va pouvoir rassembler sur place beaucoup d’autres organismes de formation, alors qu’il y a déjà l’université, la recherche, la formation professionnelle, le lycée Jules-Garnier… L’idée est de rendre beaucoup plus efficient le parcours de formation et de mutualiser. Il s’agit de faire de l’île Nou la presqu’île du savoir.

Propos recueillis par Fabien Dubedout