Président sortant du Congrès, Roch Wamytan a été lâché le 29 août par l’Éveil océanien. L’ancien leader du FLNKS et de l’Union calédonienne, grand chef de la tribu de Saint-Louis, s’est peu exprimé ces derniers mois.
DNC : L’élection de Veylma Falaeo à la présidence du Congrès a-t-elle constitué une surprise pour vous ?
Roch Wamytan : Oui, une réelle surprise. Je pensais que c’était une formalité. J’ai commencé à entendre une volonté de changement en ce qui me concerne deux semaines avant. J’ai reçu une personnalité de l’Éveil océanien qui m’a expliqué que le parti avait des difficultés à continuer à me soutenir. Pour ses membres, Saint-Louis est de ma responsabilité à 100 %. Alors que je ne suis pas seul, il y a trois autorités coutumières, je ne fais pas partie de la CCAT, et la situation a échappé à tout le monde. Mais les car-jackings, les gens qui tirent, l’église qui brûle, alors que je suis un grand catholique, à chaque fois que quelque chose se passe, c’est Roch Wamytan.
Que s’est-il passé ensuite ?
On a dit que j’avais refusé de laisser ma place, ce qui n’est pas le cas. Il y avait l’option que Veylma Falaeo prenne la présidence et moi la vice-présidence. Il fallait en discuter avec ceux qui se chargeaient des négociations chez nous, Pierre-Chanel Tutugoro et Gilbert Tyuienon, mais visiblement ils n’en ont pas parlé ou très vaguement. Certains se dégagent un peu de la responsabilité d’avoir perdu la présidence. Si on m’avait dit plus tôt, qu’il y avait un problème avec l’Éveil océanien, j’aurais pris mes responsabilités. J’ai été déçu parce que ce n’était pas bien préparé. Mais c’est une jeune dame, c’est très bien.
Quel devenir pour la majorité océanienne ?
Je me suis dit qu’elle était morte. Puis, on a eu des éclaircissements de l’Éveil océanien. Maintenant qu’ils ont le levier, ils souhaitent la reconstruire différemment. Et ils ne sont pas, de ce que j’ai compris, dans une nouvelle majorité. On observe aussi qu’ils nous ont laissé la majorité dans les commissions. Je ne suis pas inquiet.
À chaque fois que quelque chose se passe, c’est Roch Wamytan.
Après Koumac, le FLNKS dans sa forme originelle est-il en train de disparaître ?
Il est en train de se transformer, de s’adapter. La façon dont le FLNKS a été géré a atteint ses limites. Depuis la création de la CCAT et compte tenu de ce qui s’est passé depuis le 13 mai, il faut qu’il y ait un chef, un responsable, comme on a eu pendant 20 ans. Avec les changements tous les trois mois, c’est compliqué. L’UC le dit depuis une dizaine d’années.
Une scission se dessine-t-elle ?
Je ne pense pas. Mais c’est sûr qu’on n’en est pas loin. À Koumac, il y a eu une coutume pour que des approches soient faites envers l’UNI-Palika et l’UPM. L’état d’esprit est de conserver l’unité. L’UC, qui est un peu le leader, va faire la démarche vers ces partenaires.
Que veut dire la nomination de Christian Tein à la tête du FLNKS ?
C’est l’effet du leadership sorti après les grandes mobilisations. Je précise que lui-même a été surpris de ce qu’il s’est passé le 13 mai. Il me semble qu’il l’avait dit au président de la République le 23 mai. La CCAT avait un principe à sa création : des mobilisations dans la paix, pas comme en 1984.
Le parti reconnaît Christian Tein. Mais c’est plus un symbole de cette lutte. C’est aussi pour faire en sorte que le gouvernement français le reconnaisse politiquement. Pour la justice, ce sont des terroristes. Le fait que le Mouvement de libération nationale, le FLNKS, le reconnaisse est donc important.
Le parti reconnaît Christian Tein (…) C’est aussi pour faire en sorte que le gouvernement français le reconnaisse politiquement.
La CCAT a-t-elle pris la main sur l’UC et le FLNKS ?
Oui, c’est vrai, elle a pris la main. Ils ont bousculé le vieux monde politique des accords de Matignon et de Nouméa. Mais la CCAT nous a bousculés malgré elle. On sentait que les gens, et notamment la jeunesse kanak, avaient besoin de changement. On n’avait pas perçu à quel point. Les militants de la CCAT ont la dent dure vis-à-vis des anciens. C’est psychologique, une révolte contre l’autorité, presque parentale. Ils nous disent, de façon brutale : « on vous respecte, mais vous nous avez promis l’indépendance, des postes, et puis on arrive au bout et il n’y a rien, donc merci pour le travail fourni mais maintenant vous nous laissez faire ». Au congrès raté de Netchaot, ils étaient 400, on a ramassé quelques sagaies dans les côtes, mais on a préféré ne pas parler.
Au congrès raté de Netchaot, ils étaient 400, on a ramassé quelques sagaies dans les côtes, mais on a préféré ne pas parler.
Vous avez l’impression que rien n’a été fait ?
C’est faux de dire cela. Il y a eu des transferts de compétences, le rééquilibrage. Mais beaucoup de ceux qui émergent ont autour de la trentaine, quarantaine et ne sont pas encartés. Ils ne savent pas ce qu’on a fait. Ils nous traitent de menteurs, nous reprochent d’avoir négocié tant d’années. On aurait dû mieux communiquer. Et les gens ont été pris dans les institutions, on a passé beaucoup de temps à s’affronter entre indépendantistes et on s’est coupé de notre base.
Est-ce que cette nouvelle donne va compliquer les négociations ?
Ils disent avoir amené un rapport de force très haut et remis le sujet de la Nouvelle-Calédonie sur le plan international. Désormais, la CCAT demande aux quelques radicaux de lever les barrages et de laisser place aux négociations. Il faut nommer de nouvelles personnes pour s’en charger, puisque maintenant on a une dizaine d’organisations dans le FLNKS. À un moment, beaucoup souhaitaient faire de la CCAT un parti politique. Finalement, ils sont devenus un groupe de pression interne au FLNKS mais focalisé sur le terrain.
Le fédéralisme proposé par une partie des non-indépendantistes est-il une piste envisageable ?
Tel que posé, non, puisque dans les discussions avec l’État, trois thèmes sont sortis : l’indépendance, l’indépendance en partenariat avec la France, et le statu quo dont plus personne ne veut. La trajectoire, c’est l’accès à la souveraineté soit en partenariat, soit pleine et entière.
Les indépendantistes ont toujours été contre une forme de partition. Il y a un passage dans l’accord de Nouméa ‒ le FLNKS avait insisté pour le porter dans le texte ‒ disant justement que ce n’est pas possible.
Une réunion tous ensemble fin septembre – début octobre, comme le souhaite le Président, vous paraît-elle possible ?
On fait remonter nos positions par nos parlementaires. Ils sont chargés d’organiser à Paris avec Emmanuel Macron une bilatérale. Pour cette réunion évoquée par le Président, on ne sait pas.
Le FLNKS a dit qu’il ne voulait parler qu’avec l’État…
Je pense que le souhait est de procéder par étapes. Et il faut aussi la mission de médiation. Mais, avec tout le respect qu’on leur doit, ça ne peut pas être trois préfets.
Christian Tein peut-il vous représenter ?
C’est complètement nouveau pour nous. On essaiera de voir qui est vice-président, qui est membre du bureau politique nouvelle formule, qui négocie : ce ne sera pas forcément lui. À moins qu’il soit libéré.
Votre ancienne directrice de cabinet, Frédérique Muliava, est assignée à résidence en Métropole. Êtes-vous ou avez-vous été personnellement inquiété par la justice ?
Pour le moment non, mais peut-être qu’il y en a qui cherchent à m’inquiéter. J’ai vu que Mme Backès attendait mon jugement. Mon ancienne directrice de cabinet s’est engagée dans la CCAT parce qu’elle est présidente du comité local UC de Nouméa. Moi, on m’a dit clairement de m’occuper de mes fonctions de président du Congrès.
Ces gens-là ont aussi perdu la main ?
Oui, parce qu’il y a eu tellement de désaccords, de personnes qui se sentaient marginalisées. Ils sont arrivés avec leur colère, leur stratégie plus radicale, plus violente que prévue.
Pourquoi il n’y a toujours pas de résolution à Saint-Louis ?
D’abord, il n’y a pas eu seulement des gens de Saint-Louis. D’autres se sont greffés de l’île Ouen, l’île des Pins, etc. Ils se sont réunis à Saint-Louis. Je n’ai pas autorité sur eux, seulement sur ma chefferie. Il n’y a qu’une très petite quantité qui viennent de chez nous parmi les radicaux. C’est sûr, on peut parler de “Banane”, c’est un Wamytan. Mais en fait, il y a un lien entre toutes les personnes qui ont mené des actions violentes : le Camp-Est et, par conséquent, la politique judiciaire et carcérale. C’est ce que j’ai dit au président de la République. Tous se sont radicalisés à la sortie de prison. Ce sont des jeunes qui sont pratiquement perdus.
Il y a un lien entre toutes les personnes qui ont mené des actions violentes : le Camp-Est
Et commettent des choses très graves…
Oui, mais qu’est-ce qui les a menés à cela ? C’est leur révolte d’avoir été traités comme ça. Quand ils sortent, ils n’ont qu’une seule chose en tête, se venger.
N’y a t-il pas une responsabilité de la CCAT ?
Personne ne s’attendait à ça. Ils se sont accrochés et ont pris leur revanche. Et maintenant, il faut les décrocher. C’est ce que je fais avec mon conseil de chefferie et le conseil de tribu. Depuis un mois et demi, on les fait travailler dans la chefferie. L’idée est de les tenir pour les déconnecter des plus radicaux.
Et vous voyez bientôt une solution ?
J’avais demandé que des responsables de la CCAT viennent après le congrès de Koumac. Parce que c’est ce que les jeunes attendaient. Une vingtaine de référents du Nord sont venus expliquer qu’il faut laisser la discussion prospérer pour aller vers notre trajectoire. Ils font le tour avec Emmanuel Tjibaou. Chez nous, la pression est grande. Il y a l’État, les Mondoriens, les gens de la tribu. Ils en ont marre. Vous avez vu les verrous. C’est désolant.
Eux, ils ne veulent pas retourner en prison. Ils demandent si on peut les laisser tranquilles jusqu’au moment où il y aura une discussion. On leur dit que c’est la justice qui gère cela. Est-ce qu’il faut en discuter ? Je ne sais pas. À un moment donné, on ne pouvait même pas échanger : quand j’ai signalé aux gendarmes que l’église était en train de brûler, ils ont envoyé un camion-pompier, un centaure. Ils ont vu toutes ces personnes cagoulées avec des fusils longue portée et n’ont pas voulu aller plus loin pour éviter un carnage devant l’église.
Comment analysez-vous ces destructions d’églises ?
Ils disent que c’est depuis la colonisation et l’évangélisation que l’on est embêté. Que des missionnaires français ont préparé l’entrée officielle de la prise de possession. Mais ils n’ont qu’une partie de l’histoire.
Encore une fois, je regarderais plutôt ce qu’il se passe au Camp-Est. D’anciens prisonniers disent que des rituels sataniques circulent. Ils boivent de l’alcool fort, prennent du cannabis et d’autres drogues auxquelles ils sont accoutumés. C’est pour ça qu’ils pillaient les pharmacies. J’ai demandé aux parlementaires d’aller voir ce qu’il s’y passe.
Il y a aussi le problème des armes…
Même la gendarmerie est étonnée d’en voir autant. Mais où les ont-ils prises ? Ils les ont volées dans des maisons, celles d’Européens, notamment au Mont-Dore. Comment ont-elles atterri chez ces personnes ? Et pourquoi de tels calibres ?
Il a été dit que l’Azerbaïdjan a aidé financièrement et militairement les indépendantistes…
Non, non. Vous savez, s’ils avaient envoyé des armes, les agents français les auraient interceptées. Ils financent des réunions, des voyages. Je n’en ai jamais bénéficié. À Bakou, c’est moi qui ai payé. Sauf qu’ils logeaient les participants.
Le groupe d’initiative de Bakou est-il une entreprise de déstabilisation de l’État ?
Cela peut être vu comme ça par la France. C’est pour cela qu’elle a commandé une commission d’enquête. Ici aussi, d’ailleurs. Le MOU [protocole d’entente] est un peu comme le jumelage entre parlementaires. En tant que président, je signe des MOU partout. Ce sont des portes ouvertes. Et puis, l’Azerbaïdjan a présidé le Mouvement des pays non alignés pendant quatre ans. Pour pouvoir diversifier un peu nos relations, c’était une opportunité.
Après, j’ai bien regardé les relations entre les deux pays. Il y a le conflit sur l’Arménie, c’est vrai, malheureusement. Mais j’ai retrouvé un traité d’amitié signé par Mitterrand et le papa d’Aliyev jamais annulé. Plusieurs universités françaises ont des conventions de partenariat avec des universités de Bakou. La SNCF, la RATP, Inalco, Total ont aussi des relations…
Plusieurs universités françaises ont des conventions avec des universités de Bakou. La SNCF, la RATP, Inalco, Total ont aussi des relations…
Que pensez-vous de la nomination de Michel Barnier à Matignon ?
Je ne le connais pas. Comme ils n’ont pas la majorité, nous gardons des marges de manœuvre avec le NFP, la gauche. Après, il y aura sûrement un ministre des Outre-mer. Est-ce que ce sera un ministère à part ? Ou encore inclus à l’Intérieur ? On nous dit que le président prend le dossier calédonien en main. Je ne sais pas comment il va le suivre. C’est sûrement en lien avec son axe Indo-Pacifique. Notre souhait est de rester au niveau de Matignon.
Propos recueillis par Chloé Maingourd et Yann Mainguet