Réorganiser la société pour l’harmoniser

Gilbert Tein vient d’être désigné à la tête du Sénat coutumier. Une arrivée marquée par l’inauguration des nouveaux locaux de la structure sur le même site de Nouville. Le président issu de l’aire Hoot ma Whaap s’inscrit dans la parfaite continuité de la précédente mandature.

 

DNC : Les nouveaux sénateurs ont été installés dans leur fonction vendredi 4 septembre. Comment envisagez-vous cette nouvelle mandature ? 

Gilbert Tein : Nous sommes une équipe nouvellement élue, à quelques-uns près, et j’ai été nommé président. Je rappelle que le président du Sénat n’est pas un chef de l’exécutif, c’est simplement un président de séance qui veille à ce que tout le monde avance au même rythme et qui s’assure que les commissions que nous avons mises en place fonctionnent bien (mercredi matin : ndlr). Avant d’aller plus loin, je voulais dire que l’équipe administrative a commencé par se présenter et c’est une très bonne formule. En politique, c’est différent. L’équipe est là pour mettre en œuvre les politiques des élus. Ici, c’est un peu différent, ils sont là pour harmoniser les choses et faire en sorte que tout le monde aille dans le même sens. Mais pour la forme, oui, je suis le président et oui, nous sommes dans la continuation. Nous n’arrivons pas avec de nouveaux projets, nous n’avons pas fait de propagande électoralo-coutumière. C’est un renouvellement des membres classique et le programme reste le même depuis la rédaction du socle commun et de la charte du peuple kanak.

DNC : De manière plus générale, comment se présente votre mandature ?

Gilbert Tein : Elle sera difficile. Nous arrivons en 2017 et l’on sait que ce sera compliqué. Tous les projecteurs seront braqués ailleurs et tout le monde parlera de l’avenir institutionnel. S’agissant de ce dernier, il n’est pas exclu et il est même primordial que le Sénat donne une vision coutumière puisque le Sénat, ainsi que les aires, sont des institutions coutumières. C’est là où il y a souvent amalgame, entre institutions et autorités coutumières, qui sont dans les tribus, dans les clans, tandis que les institutions sont davantage un laboratoire pour trouver la parole coutumière. Plus que ça, une parole homogène. C’est pour cela qu’il faut impérativement que l’on soit sur la même longueur d’onde.

DNC : Le Sénat est-il suffisamment écouté pour permettre à ce travail d’avancer ? Il y a notamment trois projets de loi soumis au Congrès que vous aurez à défendre…

Gilbert Tein : Ce n’est pas évident. Nous arrivons, nous n’avons pas encore vécu, et devons prendre connaissance de ces projets. Les textes sont déjà écrits mais il faut maintenant que l’on intègre tout ça. Mais si l’on se réfère à ce qui a été dit au congrès de Nassirah et pendant tout le travail sur le socle commun, il ne peut pas y avoir deux sons de cloche. C’est important de repréciser que les institutions coutumières sont sorties de l’Accord de Nouméa. La page sur laquelle est écrite la partition est politique. Maintenant, je m’interroge, est-ce que les politiciens kanak, d’abord, mais aussi les autres, entendent et comprennent ce qui est proposé ? Le mot décolonisation revient souvent mais la colonisation est parfois subtile parce que c’est juste une manière de voir les choses et c’est souvent par maladresse et par effet des habitudes qu’elle s’exprime.

DNC : Le Sénat est la deuxième institution du pays. Est-il le Sénat du peuple kanak ou celui des Calédoniens dans leur ensemble ?

Gilbert Tein : Il faut y aller progressivement. Avant de s’ouvrir, si l’on veut évoluer, il faut commencer par ranger les choses à l’intérieur. C’est ce qui a été fait jusqu’à maintenant.  Le socle commun ne parle que de ça. Il faut aussi tenir compte du fait que nous sommes quand même en 2015 et il y a des choses qui sont comme un rouleau compresseur et inévitables. La semaine dernière, on m’a dit par exemple que ce serait bien que la culture kanak prévoie de la place pour les autres. C’est  un débat. Quand on parle de destin commun, de vivre ensemble, on ne parle que de la surface. À l’intérieur, comment ça fonctionne ? La coutume raisonne par deux. Celui qui est là et celui qui arrive. On peut transposer ça partout, y compris dans les accords. Il faut être deux.

DNC : La démonstration de la maturité serait donc, selon vous, de pouvoir dialoguer sans cette troisième partie qu’est l’État et qui est appelée pour permettre le dialogue ?

Gilbert Tein  : Cela doit se faire ici. Que s’est-il passé ? Il y avait des gens d’abord et d’autres sont arrivés. Mais c’est trop tard maintenant. Je ne mets pas en situation de victime. Si l’on commence à se dire que l’on est victime, on recule. J’aimerais bien que face à chaque situation on puisse se parler et avec mon expérience en province Nord, je sais que ces passerelles existent. Il y a des moments où l’on peut dire. Ce qui rend les choses compliquées, c’est que peu de politiciens parlent avec humilité. Si l’on ne met pas l’humilité en musique de fond, on va se bousculer. L’humilité, ce n’est pas de marcher courbé devant les vieux, c’est bien il faut continuer à le faire, mais ça, c’est la marque d’une pensée intérieure. L’humilité, quand on est à deux par exemple, c’est de pouvoir échanger sa place avec l’autre. Nous venons d’arriver et nous sommes donc encore un peu dans le flou mais ce dont je suis sûr, c’est que le Sénat porte la parole dans l’institution républicaine.

DNC : De nombreux reproches ont été formulés sur le fonctionnement du Sénat, en particulièrement la dépendance financière vis-à-vis du gouvernement. Les nouveaux sénateurs porteront-ils cette réforme ?

Gilbert Tein : Nous irons dans ce sens-là. Il y a des gens qui sont ici depuis 20 ans. Ceux-là sont imprégnés jusqu’au bout des cheveux de la démarche. Ce que je souhaite, c’est que dès que l’on ne se fera pas entendre par les institutions, nous posions la question pourquoi. En faisant cela, en posant plein de pourquoi, on pourra identifier les problèmes et l’on pourra se retrouver. Il ne faut pas que les gens se cachent. Il faut comprendre pourquoi cela ne marche pas parce que ce que l’on dit tient la route. Quand on parle du guichet unique, c’est génial…

DNC : Pourriez-vous rappeler en deux mots en quoi consiste le guichet

Gilbert Tein : L’idée est de permettre à tout ce qui touche aux affaires coutumières soit traité dans un même panier, c’est-à-dire au Sénat. De façon à ce que ce que les choses soient bien organisées et que l’on ait une enveloppe globale pour toutes ces missions.

DNC : Il s’agit de récupérer l’ensemble de la gestion des affaires coutumières ?

Gilbert Tein : Oui, mais il est encore trop tôt pour en parler. Nous venons tout juste d’arriver. On peut aller parler à Daniel Goa ou Philippe Germain…

DNC : En parlant de Philippe Germain, comment avez-vous perçu son discours dans lequel il assurait que la Nouvelle-Calédonie a besoin de la sagesse des sénateurs ?

Gilbert Tein : Nous ne nous connaissons pas, mais il a dit quelque chose de très intéressant, qu’il va remettre à l’ordre du jour les trois textes que nous avons soumis au Congrès (sur la succession coutumière, le savoir traditionnel et le réaménagement des palabres). Le réinscrire, c’est déjà bien. Maintenant, ce seront les débats qui seront importants et le moment où l’on expliquera ce à quoi nous pensions quand ce texte a été fait. Après, ce sera aux politiques de voir. La question est de réorganiser la société pour l’harmoniser. Il n’y a pas de calcul politique ou d’affaires, ce qu’il faut c’est de pouvoir trouver à chaque fois le juste milieu pour intégrer l’originalité et la spécificité de la vision autochtone.