Référendum : et maintenant on fait quoi ?

Sentiment de malaise en Nouvelle-Calédonie au sortir du deuxième référendum. Si le territoire s’est réveillé toujours français, les résultats et l’ambiance générale confirment l’impasse dans laquelle nous sommes engagés. Le vote indépendantiste a progressé et l’on se dirige inéluctablement, pour la fin de l’Accord de Nouméa, vers un corps électoral scindé en deux. Comment, sur cette base, construire un avenir sans avilir (au moins) la moitié de la population ?

Le premier référendum de 2018, sorte de test, avait déjà donné une précieuse leçon. La répartition n’était pas du tout à 70/30, comme nous l’avaient prédit les différents sondages. Le non l’emportait à 56,6 % sur le oui à 43,3 %, avec 18 500 voix de différence. Les loyalistes en sortirent groggy, les indépendantistes surmotivés.

Durant deux ans, l’objectif a été pour tous d’aller « chercher » les abstentionnistes. Les partisans du oui se sont battus pour les inscriptions d’office et celles dans les bureaux de vote délocalisés. Ils ont su intéresser leur jeunesse. Les partisans du non ont mis beaucoup plus de cœur à leur campagne, rappelant toujours néanmoins l’existence d’« obstacles » comme ces campagnes d’inscriptions, le gel du corps électoral, les trois référendums successifs ou encore la fameuse « force du oui ».

Des prémisses de projets ont été présentés. Mais en dépit des promesses d’ouverture pour les uns et de réduction des inégalités pour les autres, une radicalisation des positions a été observée, chacun s’appuyant sur la négation de l’autre, avec un dialogue totalement rompu. Deux ans plus tard, nouvelle leçon. Le non l’emporte, mais la marge est encore plus réduite. Il régresse à 53,2 %. Les partisans du oui ont pris 3,4 points et sont à 46,7 %. L’écart de voix n’est plus qu’à 10 000. L’indépendance, en deux ans, a séduit davantage. Son vote progresse dans 32 communes sur 33, et probablement au sein des autres communautés.

Dans ce contexte, on peut facilement imaginer que cette tendance pourrait se confirmer au troisième référendum, que, forcément, les indépendantistes ont déjà appelé de leurs vœux. Leur objectif ne varie pas : ils souhaitent parvenir à l’indépendance à la fin de l’Accord de Nouméa ou, à défaut, obtenir le meilleur score qui soit pour négocier, de préférence avec l’État. Ces deux prochaines années sont donc encore remplies d’espoir en ce qui les concerne.

Un épais brouillard

Reste que quel que soit le résultat de cette éventuelle troisième consultation, il est clair que nous nous dirigeons pour la fin de cet accord vers une société scindée en deux parts à peu près égales (au regard du nombre d’électeurs, beaucoup moins, cependant, si l’on considère les plus de 32 000 exclus de la liste spéciale référendaire dont des représentants vont manifester samedi et dont le sort devra un jour faire l’objet d’une véritable discussion). Comment alors construire un destin commun, un pays de paix dans une société à ce point divisée et dont les idéaux semblent inconciliables ? Voilà ce qui donne aujourd’hui un sentiment nauséeux à une grande partie des personnes vivant sur le sol calédonien.

Chacun sent bien l’horizon s’assombrir et l’ambiance se dégrader. La joie, la fierté, exprimées – de manière peut-être un peu excessive par endroits – par les indépendantistes le jour du vote (beaucoup d’enfants et de jeunes) ont suscité un sentiment de panique chez certains, agrémenté par un racisme global toujours plus exacerbé sur les réseaux sociaux. L’incendie de bungalows appartenant à un loyaliste, à Ouvéa, a aussi fait peur avant même que l’enquête apporte des explications. La proposition de loi sur l’immobilier déposée juste avant la consultation par l’UC-FLNKS et Nationalistes, prévoyant de retirer aux « non citoyens » l’accès aux biens anciens, n’est pas non plus étrangère à cette ambiance délétère.

Les personnes qui ne se reconnaissent pas dans le projet d’indépendance se sentent anxieux en Brousse, dans l’agglomération. Les métis sont écartelés, les « Zoreilles » ne se sentent plus les bienvenus, alors que certains n’ont rien ailleurs et sont là depuis plus de vingt ou trente ans. Il y a, de manière plus générale, la colère d’avoir été divisés, la colère ne pas y arriver. Le bonheur des indépendantistes, quant à lui, peut-il, dans ce contexte, simplement reposer sur cette soif d’un monde nouveau ?

De fait, c’est certainement toute la Calédonie qui s’interroge sur son avenir et surtout celui de ses enfants. Si ce soubresaut de tensions et d’oppositions entre dans « la logique propre au référendum », comme l’a souligné le président de la République, dimanche soir, dans son allocution, le temps, disons-le, commence à se faire très long.

Envisager tous les scénarios

Ce contexte, plus binaire que jamais, invite, selon bon nombre d’observateurs, à la discussion, ce que permet justement la période des six prochains mois durant laquelle les élus ne peuvent demander une troisième consultation. Une discussion, on l’a dit, totalement rompue depuis la fin du groupe de dialogue engagé par l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe.

Emmanuel Macron, tout en affirmant que l’État se tenait prêt à organiser ce scrutin, a justement invité les élus à se remettre dès à présent autour de la table et à préparer la sortie de l’Accord de Nouméa qui interviendra, quoi qu’il arrive, d’ici 2022. Le moment est venu, selon lui, de répondre et d’appréhender les conséquences concrètes de tous les scénarios. Il faudra, a-t-il précisé, que « les forces politiques calédoniennes s’engagent, que les partisans du oui acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences du non ; et que les partisans du non acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences d’un oui ».

Comme l’a expliqué l’ancien haut-commissaire, Alain Christnacht, dans son analyse, les indépendantistes devront ainsi être plus précis sur le partage des compétences régaliennes qu’ils ne peuvent assumer, les Loyalistes, de leur côté, devront expliquer ce qu’ils prévoient, par exemple sur l’hyperprovincialisation que certains évoquent ou encore comment progresser pour rendre davantage de dignité aux Kanak.

L’État s’engagera aussi dans cette voie et pourra enfin apporter des informations sur l’attitude de la France en cas de oui, ce que les indépendantistes réclament de longue date. On pourra ainsi savoir si la double nationalité ou les transferts pourront être maintenus. Voilà pour l’engagement de l’État qui va se concrétiser, dès vendredi, avec l’arrivée du ministre des Outre-mer en Nouvelle-Calédonie. Sébastien Lecornu restera sur le territoire trois semaines, dont deux en quatorzaine, et aura la charge d’engager le processus des discussions.

La France, c’est certain, aura toujours à cœur de ne pas commettre un énième écueil en matière de décolonisation ou de perdre son influence dans le Pacifique Sud. Le Président a d’ailleurs appelé les Calédoniens à ne pas s’enfermer dans cette histoire coloniale. Il les a également invités à prendre de la hauteur et à réfléchir à trois défis : la zone indopacifique, le développement économique et le climat.

Voire une troisième voie

Si Sébastien Lecornu a avoué que cette question binaire entre le oui et le non pour l’accession à l’indépendance « ne répond pas à toutes les questions que se pose aujourd’hui la société calédonienne », l’État ne semble pas disposé, en revanche, pour l’instant, à sortir de sa réserve et militer pour une solution qui ne soit ni l’indépendance, ni le statu quo, comme l’a demandé Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat.

L’ancien ministre de droite, Dominique Bussereau, souhaite lui aussi que l’État prenne des initiatives politiques, « avec peut-être un nouvel accord ». Il a demandé au Premier ministre que soit installée « une mission de conciliation, d’écoute, de dialogue et de propositions » qui rappelle la « mission du dialogue » de Michel Rocard, en 1988. Elle pourrait être menée par un ancien Premier ministre, Manuel Valls, ou Édouard Philippe, deux personnalités de haut-vol qui ont montré une connaissance et un intérêt tout particulier à la cause calédonienne, et réunir d’autres connaisseurs (Perben, Urvoas, Dosière etc.). Elle serait chargée de voir dans quelle mesure ce nouvel accord pourrait se concrétiser. Une excellente idée à condition peut-être qu’elle inclue aussi, pourquoi pas, des personnalités calédoniennes hors du monde politique pour une meilleure efficacité.

Manuel Valls a jugé que la définition des conséquences des différents scénarios de l’indépendance et la non-indépendance mentionnée par l’État était effectivement indispensable, mais il préfère visiblement, lui aussi, une troisième consultation sur un nouveau statut. Cela pourrait être, selon lui, une « troisième étape aux accords de Matignon pour les cinquante ans qui viennent », qui n’est pas sans rappeler le pacte cinquantenaire de Jacques Lafleur.

Estimant que les référendums ne règlent rien, une grande partie de la droite locale appelle désormais, on le sait, au dialogue pour trouver une autre solution. Même si une frange de son électoral considère, au contraire, que « trop a été donné » et souhaite une surmobilisation et davantage encore de fermeté.

Calédonie ensemble ironise sur cet appel au dialogue. Le parti de Philippe Gomès, dont c’est justement le positionnement, accuse les Loyalistes d’avoir provoqué ce résultat en ayant initié le deuxième référendum « pour accélérer le calendrier », en raison également de leur campagne « radicale » ou encore du projet de partition. Selon ses représentants, cela conduit maintenant les partisans du non à la table des négociations avec une position beaucoup moins confortable. Aujourd’hui, Calédonie ensemble milite carrément pour un « oui » sur un projet d’avenir partagé, « capable de conjuguer souveraineté et République au lieu de les opposer ». Après le référendum éclairé, le non différent, nous voilà avec un oui collectif… On ne peut pas leur enlever le sens de la formule.

N’oublions pas que, d’un côté comme de l’autre, les positions ont varié au fil des opportunités. Ceux qui souhaitaient « purger l’indépendance », qui ont boycotté l’instance de dialogue, veulent maintenant dialoguer à tout prix. Ceux qui ont conspué les deux drapeaux et refusé de monter le drapeau kanak, veulent associer souveraineté et République. Nous verrons donc sur quelles bases concrètes les partisans du non iront à la table des négociations, sur une autonomie plus large, une souveraineté dans la France, l’hyperprovincialisation ou d’autres propositions.

Rien ne dit, en revanche, que les indépendantistes, qui se positionnent en maîtres du jeu avec ce résultat et leur possible mainmise sur la quasi-totalité des instances locales, y trouveront un intérêt. Eux ne devraient ouvrir des discussions que sur les modalités de l’accession du pays à la souveraineté et rien d’autre. Ils rappellent d’ailleurs à qui veut l’entendre que leur interlocuteur aujourd’hui est plutôt l’État et qu’ils arriveront à l’indépendance, soit par le processus proposé par celui-ci, c’est-à-dire l’Accord de Nouméa, soit par le biais des règles internationales… Les Loyalistes, qui sont indéniablement dans une posture défaitiste dans ce bras de fer, devraient peut-être alors penser à relever la tête, au risque de se faire tordre le cou…

Ce qui semble évident, c’est que tous autant que nous sommes, avons beaucoup à perdre si aucune solution en mesure de satisfaire l’ensemble des Calédoniens n’était trouvée.

C.M.

©C.M.