« Quelque chose ne va pas » en Nouvelle-Calédonie

À l’occasion du bilan 2022 de la lutte contre la délinquance, les autorités de l’État et de la justice ont appelé très clairement les Calédoniens à l’action contre l’alcoolisation massive dans ce territoire ‒ une constante de tous les faits de délinquance ‒ et à la prise en charge des enfants.

À qui s’adressaient-ils ? Aux élus du gouvernement qui n’ont pas mis en œuvre le Plan territorial de la délinquance, ni élaboré de stratégie sur la problématique alcool, aux 21 maires sur 33 communes qui n’ont pas de conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD ou CISPD), aux coutumiers pas assez investis, aux parents qui laissent leurs enfants errer la nuit et décrocher de l’école, aux boîtes qui servent de l’alcool jusqu’à 4 heures du matin, aux entreprises où l’on peut encore consommer…

La liste est longue : c’est celle de la responsabilité collective. « L’État et la justice ne peuvent porter seuls ces problématiques », insiste Yves Dupas, le procureur de la République, qui renouvelle ses alertes depuis trois ans. Le haut-commissaire, dont le regard est plus neuf, est carrément stupéfait.

 

L’alcool, ce fléau

La consommation excessive d’alcool est présente dans 73 % des accidents mortels. La conduite en état d’ivresse représente 90 % des suspensions de permis de conduire (plus de 900 retraits en 2022).

On recense près de 6 000 cas d’ivresse publique manifeste à Nouméa (surtout des 20-24 ans) avec une hausse de l’ivresse féminine (14,23 %). L’alcool est présent dans la plupart des violences intrafamiliales.

 

Par l’alcoolisation, les violences intrafamiliales « terribles », « les routes où l’on meurt », la situation des mineurs, des « 600 sans domicile fixe » de Nouméa. « Qu’ils arrêtent de se poser des questions et qu’ils agissent ! », lance Louis Le Franc, estimant que la justice et les forces de l’ordre font leur part du travail.

« FÉROCITÉ TERRIBLE DANS LES FAMILLES »

La Nouvelle-Calédonie est toujours épargnée par la délinquance structurée, les recels issus des cambriolages, les vols à main armée, les trafics à grande échelle, le grand banditisme. En revanche, la délinquance du quotidien reste significative. Elle se concentre principalement dans le Grand Nouméa (76 %) et, dans une moindre mesure, en province Nord (14 %). Elle se traduit par de forts taux de cambriolage (1 907 en 2022) et de vol de voiture (1 259). Les atteintes aux biens sont deux fois supérieures à la moyenne nationale (8 860 au total) bien qu’en baisse de près de 11 %.

Le territoire se distingue aussi par les violences aux personnes en hausse cette fois de 32 % (5 279). Ces faits sont souvent commis dans le cadre intrafamilial (43 %), généralement sous fond d’alcool. 2 500 affaires ont été recensées en 2022 dont 1 845 violences conjugales (+63 %), trois décès de femmes par conjoint, 420 violences sexuelles. Au Camp-Est, un détenu sur cinq l’est pour violences conjugales (Isee).

 

Drogues

Le trafic est de faible intensité. Le cannabis constitue la majeure partie des infractions (434 en 2022), en diminution. Parmi les dernières prises, l’interpellation en décembre de 12 personnes appartenant à un groupe spécialisé dans la culture du cannabis dans le nord qui organisait des « go fast », la saisie d’1 kg de cocaïne dans un colis postal en 2023. L’objectif est d’éviter que des réseaux s’installent.

 

Le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie, évoque « une férocité terrible dans les familles » et s’inquiète, car si la parole se libère, « l’augmentation de 15 % par an depuis trois ans interroge ». Autre point inquiétant, les violences sur mineur dans ce cadre augmentent de 59 % (186).

En matière d’insécurité routière, un record a été atteint avec 70 décès. « On ne meurt pas par arme à feu, mais par accident de voiture », observe Louis Le Franc. Un énorme sujet, là encore sous tendu par l’alcool, et qui concerne davantage la jeunesse (16 victimes de 18à24ans,13de25à34ans).

« IL VA FALLOIR S’OCCUPER DES ENFANTS »

Les mineurs sont aussi à l’origine de 18 % des faits de délinquance générale, 36 % des vols. La violence touche une population de plus en plus jeune. « On observe aussi un phénomène de bande qui insécurise la population, même s’ils ne sont pas forcément bien organisés », commente le haut-commissaire en référence à la très récente opération à Tina dans un vol de supérette.

 

Actions judiciaires

Le tribunal de première instance a prononcé 3 914 condamnations pénales (+20 %). Il a prononcé davantage de peines entre un an et deux ans (+45 %) et avec aménagement (351). 158 personnes sont équipées d’un bracelet électronique. Le Camp-Est compte 558 détenus et le centre de détention de Koné, 82, soit 640 prisonniers.

 

Des jeunes livrés à eux-mêmes, hermétiques à toute forme d’autorité, fatalistes sur la prison… Tout cela renvoie au « délitement de l’autorité parentale, l’inaction de l’autorité publique », selon Louis Le Franc qui interpelle : « il va falloir s’occuper des enfants ! ». Le représentant de l’État plaide pour l’instauration de structures comme les Epides, centres d’insertion d’inspiration militaire, ou les centres éducatifs fermés. « Qu’est-ce qu’on attend ? »

Chloé Maingourd

Gendarmerie, police, justice… tous tirent le même constat. / © C.M.

Élucidation

Les taux d’élucidation des affaires sont très supérieurs aux moyennes nationales : plus de 60 % en zone police, 63 % en zone gendarmerie.

« Vague bleue »

L’État va renforcer les contrôles routiers. Il prévoit de déployer trois véhicules supplémentaires avec des radars embarqués ainsi que de nouveaux dispositifs, comme des travaux d’intérêts généraux sécurité routière et des stages de sensibilisation.