Quelle est l’efficacité de la vidéosurveillance ?

Surveillance cameras on the pillar against the blue sky

Les quatre communes du Grand Nouméa poursuivent leur équipement en caméras de vidéosurveillance. Les premières ont été installés en 2001 sans pour autant que ce dispositif extrêmement coûteux fasse l’objet de la moindre évaluation sérieuse. Nous avons regardé ce que dit la littérature scientifique à ce sujet. Les résultats sont loin d’être si spectaculaires, malgré un coût important.

La Calédonie s’illustre tristement chaque année avec des chiffres de la délinquance parmi les plus importants de France. Le Caillou détient même les records en matière de vols avec violences et de cambriolages de logement. Des chiffres qui vont de pair avec un fort sentiment d’insécurité chez de nombreux Calédoniens, en particulier dans le Grand Nouméa. En réponse, les collectivités de l’agglomération, fortement soutenues par la province Sud, renforcent les effectifs des forces de l’ordre ou de sécurité et misent sur la multiplication de caméras de vidéosurveillance. Au-delà de ces satisfecit exprimés par ces collectivités, nous avons cherché à savoir si les dispositifs de vidéosurveillance étaient vraiment efficaces. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la France entretient un rapport singulier avec la vidéosurveillance. Le premier constat est qu’il n’existe aucune véritable étude scientifique sur la question en Métropole, ni en Nouvelle- Calédonie d’ailleurs. Il faut se rendre dans les pays anglo-saxons, comme la Grande- Bretagne ou le Canada, pour trouver des études sérieuses. Études qui ont été engagées dès l’installation des premières caméras dans les communes, il y a maintenant plus de 30 ans.

Eric Heilmann, propose, par exemple, une synthèse dans « La vidéosurveillance, une réponse efficace à la criminalité ? », publiée dans la revue Criminologies. Cet article de 2003 passe à la moulinette les différents travaux scientifiques réalisés sur la délinquance urbaine en Grande-Bretagne et l’impact de la vidéosurveillance. Selon cet auteur, la question est « Comment ça marche ? » plutôt que « Est-ce que ça marche ? ». Il cite ainsi le directeur du centre écossais de criminologie qui estime que les caméras peuvent jouer un rôle actif dans la prévention et la gestion des désordres urbains, tout en précisant que la simple installation de caméras est loin de suffire à son efficacité.

Des centaines de millions de francs engloutis

La recette pour que cela fonctionne est plutôt complexe puisqu’elle dépend de la stratégie mise en œuvre, du contexte, du personnel, de la qualité du matériel ou encore de l’adhésion du public. Pour garantir les résultats, il conviendrait presque de définir un plan spécifique pour chaque quartier. Des études montrent, par exemple, que la surveillance de certains sites, comme des parkings fermés, sont plus efficaces que des espaces très ouverts où la vidéosurveillance est particulièrement inefficace. Il ressort également que les caméras n’ont pas d’effet dissuasif sur les comportements non prémédités. Autant d’éléments sur lesquels il est indispensable de se pencher si l’on tient compte des coûts particulièrement importants de ces dispositifs.

Comme le souligne le ministère de l’Intérieur dans un guide méthodologique, le coût global d’un centre de supervision s’élève rapidement à 400 000 euros (48 millions de francs) par an. Pour la seule ville de Nouméa, près de 500 millions de francs ont été consacrés à la vidéosurveillance en une dizaine d’années (la ville compte 116 caméras). Les trois autres communes du Grand Nouméa sont également équipées, mais de manière moins importante. Il n’empêche que ces communes souhaitent accroître le nombre de caméras installées, alors même que l’efficacité n’est pas démontrée. Ce coûteux paradoxe n’est pas propre à la Nouvelle-Calédonie. C’est ce que montre Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS et auteur de l’article « À quoi sert la vidéosurveillance de l’espace public ? Le cas français d’une petite ville exemplaire ». Il rappelle que ce dispositif n’était pas vraiment utilisé avant 2007, date à laquelle le Président, Nicolas Sarkozy, a fait « le choix prioritaire de la vidéosurveillance ». Le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012 en fait même une « priorité absolue ».

Une priorité que le chercheur analyse comme élément d’une stratégie électorale reposant en partie sur la peur et la culture de l’insécurité. Une stratégie qui se décline au niveau local. « Le choix de la vidéosurveillance apparaît le plus souvent comme une décision d’élus cherchant à afficher leur action en matière de politique de sécurité. Certes, ils sont en cela confortés par des acteurs locaux de la sécurité qui y trouvent également leur compte, que ce soit en termes d’efficacité pratique (pour les policiers nationaux ou les gendarmes) ou de reconnaissance symbolique (pour les policiers municipaux). Mais d’autres raisons plus lourdes les y poussent davantage. D’abord, localement comme nationalement, le thème de l’insécurité constitue une ressource électorale classique pour les élus conservateurs. En ce sens, l’insécurité est moins un problème qu’une solution », souligne le chercheur, qui explique que les décisions des élus sont également motivées par la pression qu’ils reçoivent des commerçants ou des populations les plus sensibles au sentiment d’insécurité.

« Aucune corrélation entre la vidéoprotection et le niveau de la délinquance voie publique »

Laurent Mucchielli montre, par ailleurs, que les résultats de la vidéosurveillance sont loin d’être spectaculaires et, en particulier, en matière d’élucidation. Dans le cas étudié par le chercheur, les images auraient servi à élucider 2,1 % des délits. Et le chercheur est loin d’être le seul à vouloir tempérer les ardeurs des promoteurs de ce matériel. C’est le cas de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ*) qui soulignait, dans son rapport 2013-2014, le bilan contrasté du dispositif dans le cadre de la lutte contre la délinquance (dispositif jugé, en revanche, efficace pour le maintien de l’ordre public). « Les études disponibles tendent à montrer que la vidéoprotection n’a qu’un faible impact dans les espaces complexes et étendus comme les rues, où les vols et agressions sont difficile à détecter par un opérateur et où, même dans cette éventualité, il lui sera difficile de suivre à la trace le délinquant ».

La Cour des comptes enfonce encore davantage le clou dans son examen de la gestion des polices municipales d’octobre 2020. La Cour pointe ainsi qu’au vu « des constats locaux résultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique ou encore les taux d’élucidation ». Le rapport de la Cour rappelle également l’annulation d’un arrêté préfectoral de 2016, autorisant l’augmentation du nombre de caméras d’une petite commune.

Les juges avaient annulé l’arrêté estimant que l’usage de ces appareils est justifié dans certains lieux, répondant « aux finalités de protection des bâtiments publics et de leurs abords ou de régulation des flux de circulation ». En revanche, les magistrats rappellent que les abords de commerces ou d’établissements recevant du public ne justifient pas l’installation de caméras, car « aucune statistique ne démontre que ces lieux seraient particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafics de stupéfiants ; l’augmentation du nombre de caméras est jugée disproportionnée au regard des nécessités de l’ordre public. (…) L’ampleur des sommes engagées depuis plus de dix ans impose une appréciation objective de l’efficacité de la vidéoprotection. Le fait que le sujet soit sensible justifie d’autant plus un traitement scientifique transparent fondé sur des données statistiques partagées ».

*INHESJ est un établissement qui a fonctionné entre 2009 et 2020. Il formait les hauts responsables des secteurs publics et privés aux questions de sécurité et de justice. Il menait des travaux de recherche scientifique et produisait des statistiques sur la criminalité et la délinquance.

En plus des études citées, la revue Criminologies a publié, en 2013, une étude intéressante sur le métier d’opérateur, « Dans les coulisses du métier d’opérateur de vidéosurveillance » (www.erudit.org, Rubrique Revues)

M.D.

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