Que contient l’accord autour de l’usine du Sud ?

Photo prise ‡ NoumÈa le 5 avril 2009, de l'usine du groupe brÈsilien Vale-Inco, en mauvaise posture en Nouvelle CalÈdonie ‡ la suite d'une fuite sulfurique ‡ son usine de nickel, qui a rÈcemment touchÈ une zone proche d'un site du rÈcif corallien inscrit au patrimoine de l'humanitÈ de l'Unesco. L'incident s'est produit le 1er avril ‡ l'unitÈ de production d'acide sulfurique de ce complexe industriel d'une capacitÈ de 60.000 tonnes annuelles de nickel, qui doit Ítre mis en service en milieu d'annÈe. AFP PHOTO MARC LE CHELARD Picture taken in NoumÈa, New Caledonia on April 5, 2009 showing the Brazilian Vale-Inco nickel plant, which sufferered an acid leak causing damages on a coral chain, registered as a UNESCO world heritage area. The accident occured on April 01, at this industrial plant with a capacity of 60,000 tons a year. A company spokesman confirmed said. "We have stopped commissioning at the plant while an investigation is underway". AFP PHOTO MARC LE CHELARD

L’accord conclu entre le collectif « Usine du Sud = usine pays », le FLNKS, les Loyalistes et la province Sud est politique et pose le cadre à un accord économique encore en discussion. S’il permet surtout aux responsables politiques de tous bords d’éviter de perdre la face, que contient-il au fond ?

« Historique ». Le qualificatif a surtout été employé par les responsables politiques qui ont signé cet accord, le 4 mars. Pour beaucoup de Calédoniens, le sentiment qui domine peut se résumer par un résigné « tout ça pour ça ». Après plusieurs mois d’oppositions radicales, d’atermoiements et de dégradations, les représentants des différentes parties prenantes ont fini par accoucher d’un accord, fruit de quinze jours de négociations, qui vise à mettre un terme à la casse sociale et une reprise de l’activité.

La principale nouveauté réside dans la récupération des titres miniers. Ces derniers seront rétrocédés par Vale Canada à une filiale (Sud Nickel) de Promosud, la société d’économie mixte de la province Sud. L’idée est que la mine soit ensuite amodiée – donc louée – à Prony Resources qui assurera son exploitation. L’amodiation est couramment utilisée par les mineurs calédoniens entre eux, comme la SLN qui dispose de près de 60 % du patrimoine minier calédonien et loue une partie de ses titres à des petits mineurs.

Pas de révolution et beaucoup de questions

Il ne s’agit donc pas vraiment d’une révolution pour le monde de la mine, mais bien d’une première pour les provinces qui, jusqu’à présent, accordaient gratuitement la jouissance des titres à des mineurs. Avant la province Sud, la province Nord avait néanmoins déjà valorisé un gisement, celui du Koniambo, en contrepartie des investissements apportés par Glencore. La province Nord n’avait pas gagé les titres miniers pour la concrétisation de l’usine du Nord, mais l’exploitation du gisement, à proprement parler, ne rapporte rien aux collectivités. Pour permettre à Sud Nickel d’amodier ses futurs titres, une modification du Code minier sera nécessaire. Elle devra porter sur la possibilité d’allonger la durée d’amodiation, mais aussi en définir le cadre par une structure qui ne dispose pas d’autorisation personnelle minière.

Ce sera le cas de l’usine du Sud, mais reste à définir le montant de la redevance et sa durée. L’accord précise que le contrat sera négocié par le consortium de rachat et Sud Nickel. La province Sud sera donc seule à négocier le montant de cette redevance dont le produit a été présenté comme une sorte de fonds pour les générations futures. De la même façon, cet accord a été vendu comme un « nouveau modèle calédonien de maîtrise et de valorisation de la ressource ». Une formulation qui impliquerait la réplication de ce schéma, à savoir que la province récupère l’ensemble des titres miniers attribués aux différents métallurgistes et mineurs pour les mettre en amodiation.

Une conception nouvelle qui tranche avec les positionnements passés de l’Avenir en confiance et pourrait bien être difficile à mettre en œuvre, aussi bien en province Sud qu’en province Nord. Les avis des acteurs de la mine et de la métallurgie exercent une influence très importante sur les décisions politiques de manière générale. La SLN, qui se trouve dans une situation délicate et détient près de 60 % du domaine minier calédonien, pourrait voir cette stratégie d’un très mauvais œil. La Nouvelle- Calédonie tient pourtant une occasion plutôt unique puisque la Dimenc (service des mines) a accordé un délai aux opérateurs miniers pour effectuer la reconnaissance de leur domaine qui est encore en cours.

Les intentions de Tesla compatibles avec les intérêts calédoniens ?

La valorisation complète du minerai était un autre point de revendication. L’idée était de rouvrir la raffinerie permettant de produire de l’oxyde de nickel et pas seulement un produit intermédiaire, le NHC. Un point qui aura finalement été évacué de l’accord. En lieu et place de la valorisation complète des minerais du Grand Sud, les signataires ont brandi un « Memorandum of Understanding » avec Tesla.

Une sorte de caution environnementale et technologique qui peine toutefois à masquer l’absence d’industriel dans le projet. Après avoir martelé que Trafigura était un uniquement un financier, on pouvait entendre Raphaël Mapou expliquer, lors de la conférence de presse, que « l’industriel » Trafigura disposait maintenant de trois ans pour démontrer sa capacité à rendre l’usine rentable.

De fait, Trafigura est associé dans des projets industriels, mais n’est pas métallurgiste et, de la même manière, Tesla est avant tout un constructeur de voitures et un assembleur de batteries électriques. L’accord précise d’ailleurs que d’autres partenariats pourront être passés, en particulier « sur le plan de l’expertise hydrométallurgique ». L’engagement de Tesla, qui en est au stade de déclaration d’intention, questionne quant aux intentions du géant américain si l’on considère qu’il cherche à réduire au maximum la quantité de nickel et cobalt qui plombent le prix des batteries.

Ces derniers mois, le sulfureux patron de Tesla, Elon Musk, a expliqué à de nombreuses reprises que le prix des matières premières était précisément le principal frein au développement des véhicules électriques. Plus récemment, le 2 mars, il évoquait la possibilité de sécuriser ses approvisionnements au travers d’un accord avec l’Australien BHP Billiton. Si le nickel calédonien intéresse Tesla, c’est avant tout parce qu’un haut niveau de production de l’usine poussera le prix du nickel à la baisse, comme les blocages l’avaient tiré à la hausse.

Les Calédoniens actionnaires majoritaires mais sans liquidités

La Nouvelle-Calédonie cherche à se positionner comme un producteur « responsable » de nickel. Un positionnement qui pourrait s’avérer gagnant sur le long terme, avec l’évolution des aspirations des consommateurs, mais demandera du temps. Et rien ne dit qu’entre-temps, la batterie intégrant une part importante de nickel soit toujours la technologie la plus répandue. En attendant de savoir si les décisions d’aujourd’hui seront les bonnes, elles impliquent d’avoir la capacité d’éponger des pertes importantes. Pour rappel, Vale NC a enregistré 15 milliards de francs de pertes en 2020. Une situation à mettre en rapport avec le montage financier validé par l’accord politique.

Les trois provinces devant désormais être majoritaires au capital de Prony Resources* (30 % à égalité avec la compagnie financière de Prony qui regroupe l’équipe dirigeante de Prony Resources ainsi que des fonds d’investissement pour certains hébergés dans des paradis fiscaux), ce sont elles qui seront appelées au cas où il serait nécessaire de recapitaliser l’entreprise, ce qu’elles ne sont bien évidemment pas en mesure de faire. Rien ne dit que les autres actionnaires accepteront de mettre la main à la poche au gré des demandes de la majorité de l’actionnariat qui ne paye rien, mais dont les participations sont non diluables.

La participation majoritaire implique, par ailleurs, qu’en cas de cessation d’activité, il leur appartiendra de financer la remise en état que Vale a chiffrée à plus de deux milliards… de dollars US, soit plus de 200 milliards de francs, bien loin de 17 milliards de francs de garanties environnementales exigées par la province Sud. Là encore, rien ne dit que les partenaires d’aujourd’hui répondront présent pour financer cette remise en état.

Lucy était enfin au cœur des discussions pour la reprise d’activité. Il a été acté que le chantier serait lancé le plus rapidement possible, tout l’enjeu du stockage des résidus étant de permettre la poursuite de l’activité. Selon les experts de Vale, Lucy offrirait des perspectives de stockage pour dix ans. Et après ? Il conviendra de trouver une nouvelle solution. Un horizon relativement court qui fera certainement reparler de l’usine du Sud et de son avenir.

*On retrouve aussi 21 % du capital réservés aux salariés et populations locales ainsi qu’un fonds de prévention. Les parts calédoniennes seront non diluables.


Qu’en sera-t-il des exportations ?

Les exportations qui étaient un point de revendication important ne sont tout simplement pas mentionnées une seule fois dans l’accord. Elles font pourtant partie intégrante de la stratégie portée par Antonin Beurrier qui semble être reprise dans l’accord politique. Un point qui pose un problème de fond et pourrait faire ressurgir des crispations à moins qu’il ait été discrètement négocié par les partenaires qui se donnent du temps pour faire accepter leurs décisions par leurs bases.


L’environnement mieux pris en compte ?

Si ce n’était pas nécessairement la première des revendications, celle-ci s’est imposée au fil du temps. La thématique apparaît donc en tête de l’accord. Le pacte pour un développement durable a été maintenu. Un point qui n’a jamais réellement fait débat. Ce n’est pas le cas de l’Œil puisque l’accord précise que « le soutien de l’Observatoire de l’environnement sera étudié ». Une formulation sensiblement différente d’une réaffirmation de l’utilité de l’Œil et de la sécurisation de son financement. Étonnamment, il est rappelé que le CICS (comité d’information, de concertation et de surveillance) se réunira au moins deux fois par an, ce qui était plus ou moins la règle par le passé. Un comité environnemental sera également créé. Petit détail, c’est la province Sud qui en désignera les membres.

M.D.

©Marc Le Chélard AFP