Quand le corps électoral jette un froid

La liste électorale spéciale provinciale comprend 178 374 inscrits contre 220 970 pour la liste générale. / © Clotilde Richalet, Hans Lucas via AFP

C’était l’une des annonces marquantes du déplacement de Gérald Darmanin en mars : un corps électoral dégelé pour les prochaines échéances électorales. La mise à jour de la liste électorale spéciale provinciale indique-t-elle le contraire ?

S’il y a bien un sujet qui, en ce moment, divise les indépendan- tistes et les partisans du maintien dans la République française, c’est celui du corps électoral. Il est l’un des « piliers de l’Accord de Nouméa », martèle Gilbert Tyuienon. Un « enjeu majeur », insiste Virginie Ruffenach, qui ne met malheureusement personne d’accord.

Le vice-président de l’Union calédonienne (UC) n’envisage pas une seule seconde un dégel pour les provinciales de 2024. « Il n’est pas tombé avec les résultats des référendums, on ne peut que constater que le corps électoral acté par l’Accord perdure », affirme-t-il. À contre-courant de l’avis de la présidente de l’Avenir en confiance au Congrès : « La liste spéciale provinciale est caduque aujourd’hui, on ne peut plus l’utiliser. Il ne peut plus y avoir d’élection sur cette base-là. »

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, l’avait affirmé lors de sa visite en mars. Les provinciales ne pourraient se tenir avec un corps électoral restreint, après les trois consultations clôturant l’Accord de Nouméa. « L’Accord est fini, le corps est dégelé, il n’y a aucun doute là-dessus », n’en démord pas Virginie Ruffenach, partisane avec Les Loyalistes d’un corps élargi.

Pourquoi la liste électorale spéciale pour les provinciales, mise à jour récemment, conserve alors son tableau annexe ? Y figurent 42 596 électeurs qui ne pourront pas voter aux élections provinciales alors qu’ils peuvent s’exprimer aux municipales, aux législatives et à la présidentielle. La réponse dépasse la sphère politique. Elle est purement juridique.

« RÈGLES EN VIGUEUR »

La loi organique du 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie, est toujours en vigueur. Elle prévoit une révision de la liste électorale spéciale provinciale chaque année, « au plus le tard le 30 avril », précise le haut-commissariat de la République.

Le fameux tableau annexe est revu au même moment. Cela a été fait ces trois dernières années. « Le propre d’un État de droit est de se conformer aux règles en vigueur, argumente-t-il. Actuellement, la loi prévoit une révision annuelle de la liste avec des critères qui n’ont pas encore fait l’objet d’une modification. Nous sommes dans l’obligation d’actualiser la liste avec les critères existants. »

À l’issue des discussions institutionnelles, une nouvelle loi devrait voir le jour, impliquant de nouvelles règles. Le devenir des corps électoraux spéciaux « est bien entendu l’un des sujets en discussion dans le cadre des réflexions sur le prochain statut », indique le haut-commissariat.

En attendant, rien ne change. « Il ne pouvait en être autrement. Quelles que soient nos envies », commente Philippe Dunoyer, député Calédonie ensemble, qui défend la nécessité de conférer le droit de vote aux personnes nées sur le sol calédonien, aux conjoints et à celles et ceux qui, « installés depuis longtemps, travaillent, s’investissent et démontrent un attachement au territoire. »

AU CENTRE DES DISCUSSIONS ?

À Paris, en avril, les discussions sur l’avenir institutionnel ont principalement tourné autour de la question. Devant l’État, les représentants calédoniens ont campé sur leurs convictions, chacun de leur côté.

À l’issue des rencontres, celui-ci espérait qu’un accord soit trouvé rapidement. À Nouméa, la visite ministérielle du 1er juin doit lancer les discussions à trois. Est-ce l’occasion d’y parvenir ? Virginie Ruffenach souhaite que la question figure à l’ordre du jour. « La séquence doit faire le bilan de l’Accord de Nouméa et de la décolonisation, le corps électoral en est l’un des enjeux », affirme l’élue. Si aucun accord n’est trouvé, la présidente de l’Avenir en confiance appelle l’État à « prendre ses responsabilités » et à « faire respecter le droit ».

Le sujet est « l’un des plus difficiles » de l’avis de Philippe Dunoyer. Le député préconise d’apporter le plus de thématiques possibles autour de la table pour arriver à un « équilibre où chacun obtiendra satisfaction ». « On ne peut pas prendre les sujets de manière isolée, abonde Gilbert Tyuienon. L’important est d’arriver à un projet d’avenir pour le pays, qu’on s’entende sur un projet d’émancipation, de pleine souveraineté. »

Mais le premier édile de Canala et membre du gouvernement préfère d’abord que les choses soient « claires » entre l’État et le FLNKS, entre « le colonisateur et les colonisés », avant de parler à trois. Il prévient : « Rien ne bougera tant que les partenaires ne seront pas d’accord, rien ne se fera sans l’accord du FLNKS. »

Brice Bacquet