Province Sud : un budget 2022 dans l’incertitude

Malgré une perte annoncée de 7 % des dotations fiscales, soit 2 milliards de francs, la province Sud a élaboré un budget primitif 2022 qui marque une volonté de préserver les investissements. Le document pourrait cependant être amené à évoluer en cours d’année en raison d’inconnues dénoncées par Calédonie ensemble, qui s’est abstenu.

Lors de l’examen du budget primitif 2022 de la province Sud par les élus mercredi matin, les discussions ont largement tourné autour du sujet. La question de l’assiette fiscale. « Le gouvernement nous annonce une assiette de 103 milliards de francs, mais cela pourrait être 100 milliards voire moins. Cela avait déjà été le cas l’an dernier, on avait réussi à tenir grâce à une aide exceptionnelle de l’État », explique Philippe Blaise, premier vice-président de la province. Une contrainte importante pour la collectivité, obligée d’élaborer son budget – de 52,7 milliards de francs – en fonction de données qui pourraient évoluer, car si l’assiette fiscale baisse, la province devrait alors être amené à le revoir en cours de route.

Autres inconnues, la question du transfert de l’aide médicale et de la dotation de l’enseignement privé à la Nouvelle-Calédonie. Déjà prévu l’an dernier – et reporté en raison des difficultés financières rencontrées par le pays – la province envisage à nouveau ce transfert dans son budget. Elle prévoit de les prendre en charge seulement pendant le premier semestre, jusqu’en juin.

Un problème de construction

Malgré ce contexte, l’institution s’enorgueillit de préserver une bonne capacité d’investissements avec 11,7 milliards de francs (lire par ailleurs). « La province est la collectivité qui a le plus haut niveau d’investissement, commente Philippe Blaise. Avant, on était à près au même niveau que le gouvernement. Là, on est passé devant. Elle tient son rôle de soutien à l’économie avec des projets sur le réseau routier, l’aide aux communes et l’habitat social. »

Si la présentation de ce budget, d’un montant total de 63 milliards de francs, n’a pas provoqué d’opposition sur le fond, des points de blocage ont été relevés par Philippe Michel, Calédonie ensemble. « Il présente un problème de construction, comme l’année dernière. Il est adossé à une assiette de répartition de 103 milliards de francs et au transfert de compétence. Or, nous ne savons pas si la Nouvelle-Calédonie pourra financer l’aide médicale et l’enseignement privé à partir du mois de juin. Donc, en toute vraisemblance, le budget présenté ne sera pas celui appliqué. » Si Sonia Backes reconnaît des difficultés, elle rassure l’élu. « On nous a demandé de baser notre budget sur ce chiffre, on fait avec ça. Par ailleurs, le travail sur le regroupement des aides médicales est engagé, donc cela peut être envisageable pour juin. Sinon, on ajustera les choses. »

Soutien à l’économie

Virginie Ruffenach, de l’Avenir en confiance, se dit satisfaite, malgré le manque de visibilité, du choix de la province Sud, « essentiel après la crise sanitaire, de maintenir les investissements », donnant ainsi des perspectives.

Le budget reçoit également le soutien du FLNKS, Aloisio Sako relevant une amélioration entre un discours « tout sécuritaire en 2019 » et une politique « plus humaine aujourd’hui, même si nous aurions souhaité que cela aille plus loin avec le soutien de l’habitat en tribu et de l’agriculture familiale ». Surprise par la déclaration, Sonia Backes lâchera, « je n’en reviens pas »…

Tout comme l’an dernier, Générations NC vote le budget, même si Nina Julié évoque tout un système à changer, dénonçant « le bricolage ». « Le bateau est en train de couler et on met des rustines. »

En revanche, même si c’est avec « bienveillance », Calédonie ensemble, tout comme l’Éveil océanien, s’abstient – ils avaient tous deux voté contre le budget de la province l’an dernier. Petelo Sao regrette notamment le manque d’ambition des investissements.

 


Maîtrise des dépenses de fonctionnement

La province Sud a supprimé 80 postes en 2020 et 44 en 2021. Elle compte en revanche en créer 32 en 2022 afin d’assurer le fonctionnement de nouveaux établissements qui vont voir le jour l’année prochaine comme l’internat d’excellence de Dumbéa-sur-Mer et le foyer de Néméara à Bourail.

 

Les principaux projets

Le foyer de Néméara à Bourail, le déploiement du cartable numérique dans les collèges, le doublement de la voie et la sécurisation de l’échangeur de Païta Nord, le renforcement du giratoire et des bretelles de Nakutakoin à Dumbéa, la passerelle piétonne de la Coulée au Mont-Dore, l’Écopôle recyclerie de Ducos à Nouméa, le plan d’investissement pour rendre plus attractif le parc désormais provincial des Grandes Fougères, les travaux de résidentialisation à Magenta Tours à Nouméa et à Dumbéa-sur-Mer, la réalisation du pôle technique provincial à la Vallée-du-Tir à Nouméa, l’espace multiculturel de Deva à Bourail, la maison de Wallis-et-Futuna à Magenta à Nouméa, l’achèvement de la sécurisation des 21 collèges et l’internat de la réussite à Dumbéa-sur-Mer.

 

Revoir la clé de répartition

Sonia Backes ne cesse de le marteler, la province est arrivée au bout des efforts qu’elle pouvait faire en termes d’optimisation des dépenses de fonctionnement. La collectivité doit avoir des ressources fiscales stables et cet équilibre ne peut s’envisager sans révision de la clé de répartition, transfert de charges ou compensation financière en lien avec la Nouvelle-Calédonie. « On arrive au bout du système avec des fondations de moins en moins solides. »

 

Et les réformes fiscales ?

Le débat a dépassé le cadre de l’hémicycle de la province. Les problèmes financiers de la Nouvelle-Calédonie ont été évoqués, notamment la question des réformes fiscales. « On est le 1er décembre et il n’y a toujours pas de texte fiscal sur le bureau du Congrès », indique Philippe Michel. Sonia Backes regrette le recours aux impôts envisagé. « On a supprimé des postes, que fait la Nouvelle-Calédonie ? Les réformes ne peuvent pas seulement consister en l’augmentation des impôts. »

Philippe Gomès estime que la province est tout simplement une victime collatérale de « l’inertie » de la Nouvelle-Calédonie. « Rien n’a pas été fait depuis deux ans et demi sur le plan fiscal. On n’a ni majoré la fiscalité, ni réduit les dépenses. Le deuxième problème est la situation des comptes sociaux. Le déficit de financement de la Nouvelle-Calédonie est d’au moins 20 milliards de francs. Si le pays est toujours debout, c’est grâce à l’emprunt et aux subventions de l’État. On arrive au bout du chemin et des décisions doivent être prises, sinon c’est le dépôt de bilan pour le Pays. »

Nina Julié insiste sur le fait « qu’il faut saisir l’occasion de la période de transition pour penser un vrai modèle ». Petelo Sao, de l’Éveil océanien, trouve les élus assez prétentieux : « Je suis pessimiste sur la question des réformes, je nous trouve présomptueux de se dire qu’on va régler en 18 mois ce qu’on n’a pas pu régler en 20 ans. La plupart d’entre nous sont ici depuis plusieurs mandats, qu’a-t-il été fait avant, quand tout allait bien ? »

 


Nina Julié, Générations NC

« Je salue le travail pour bricoler un budget »

« Je relève une fragilité du budget et de sa construction. Ce n’est pas une critique mais un constat. On est toujours dans les suppositions et là, on a atteint le summum, on fait du bricolage depuis quelques années. Le bateau est en train de couler et on met des rustines, c’est la France qui les met. On va changer de modèle et on travaille encore sur des compétences basées sur des textes votés il y a vingt ans. En matière de financement, c’est pareil, un coup on augmente une taxe, un coup on transfert une compétence. Je salue le travail pour bricoler un budget qui permet que cela passe encore cette année. Mais il faut saisir l’occasion de la période de transition pour penser un vrai modèle. Le budget est équilibré avec un fort investissement, mais il faut penser cela de façon plus globale afin d’avoir un budget plus solide. »

 

Petelo Sao, Éveil océanien

« Les investissements manquent d’ambition »

« Je suis content que le logement social devienne une priorité et qu’il y ait un investissement sur le côté humain. Nous nous abstenons pour plusieurs raisons. On s’interroge sur la question des restrictions de dépenses, alors que des recrutements sont prévus l’an prochain, et sur le non financement des établissements culturels comme le conservatoire, qui pâtissent de discussions avec la Nouvelle-Calédonie. Les investissements manquent d’ambition, quel est l’investissement phare pour la relance ? Est-ce que le réseau routier va relancer l’économie ? »

 

Aloisio Sako, FLNKS

« C’est plus humain aujourd’hui »

« Il y a une gestion saine des finances, mais une baisse de la qualité du service public rendu à la population qui est ressenti sur le terrain avec des baisses de permanences ou de visites de médecin dans les lieux isolés comme l’Île des Pins et Sarraméa. Le budget pourra être réadapté en fonction de l’assiette de répartition, mais il y a un objectif de contenir les dépenses pour maintenir les investissements. Après les grandes annonces de 2019 avec un discours axé sur très répressif et tout sécuritaire, c’est plus humain aujourd’hui, mais nous aurions aimé que cela aille plus loin avec le soutien de l’habitat en tribu et de l’agriculture familiale. Nous votons pour. »

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)