Protection des récifs coralliens : Les solutions locales fonctionnent mieux

L’enjeu de la préservation des récifs coralliens – précieux refuges de la biodiversité marine – ne fait pas de doute, tant ils sont partout menacés. Reste à savoir de quelle manière les protéger. À ce sujet, un travail méticuleux, mené par un consortium de chercheurs et publié dans la revue Nature, a montré qu’à divers endroits de la planète, des initiatives locales avaient réussi là où les politiques nationales se trouvent souvent impuissantes…

Une équipe internationale de chercheurs incluant des scientifiques de l’IRD* et de l’université de la Nouvelle- Calédonie a cherché à avoir un maximum de données sur l’état de santé et l’environnement des systèmes coralliens dans le monde pour finalement déterminer ce qui faisait que certains se portent bien et d’autres moins.

À l’origine de ce projet, une idée. Ou plutôt une méthode, celle du « bright spot », imaginée par Jerry Sternins (lire ci dessous) et utilisée plus généralement en médecine. Il s’agit de l’amélioration de l’ensemble par la recherche et la compréhension des points hauts (ou au- dessus de la moyenne).

Points hauts

Partant de cette méthode, ils ont synthétisé des données sur 2 514 systèmes coralliens à travers le monde, dans 46 pays, États ou territoires : leurétatgénéral(biomasse,etc.),leurproximité avec l’homme, l’utilisation des ressources ou encore leur protection. Et ils ont identifié 35 « bright spots », des endroits où les récifs se portent mieux que la normale et surtout mieux par rapport à ce que l’on pourrait supposer ou attendre.

Les premières constatations ont montré que dans ces lieux précis, situés aussi bien en Papouasie, en Indonésie ou aux Chagos, une gestion « intelligente » a permis de préserver la biodiversité marine malgré la proximité de’homme et l’utilisation des ressources (alors que l’on estime que la présence humaine est le principal facteur de pression sur les ressources marines et leur biodiversité).

Il a aussi été constaté que ces « écarts » à la règle sont le résultat d’initiatives locales et non de directives nationales ou internationales. Les principaux acteurs de ces zones ont eux-mêmes mis en place des modes de gestion innovants, souvent issus de gestions traditionnelles basées sur des droits locaux et combinant conservation et exploitation des ressources.

Parmi les caractéristiques communes, les scientifiques relèvent un fort engagement des populations locales dans la gestion des ressources, un « co-management » de ces ressources impliquant à la fois les organismes locaux de conservation et les pêcheurs, des concessions de pêches restreintes excluant les pêcheurs des villages voisins.

Points bas

À l’opposé de ces belles exceptions, des « dark spots » ont été identifiés (Indonésie, Australie, Jamaïque…). Des « déviants » négatifs qui vont moins bien que ce qu’ils devraient avec, en particulier, de très faibles biomasses en poissons.

Là encore, des caractéristiques communes ont été identifiées : des captures intensives et dérégulées associées à des méthodes de stockage modernes (congélation), des techniques de pêche modernes (bateau à moteurs, filets de pêche) mais aussi des évènements environnementaux extrêmes (cyclones…) ou la surfréquentation, qui ont détérioré l’habitat.

Et en Nouvelle-Calédonie ?

Aucune des quatre régions françaises étudiées (Polynésie française, Nouvelle- Calédonie, Mayotte et La Réunion) ne figure parmi les points hauts. « On est généralement dans la moyenne partout, ce qui n’empêche pas d’avoir des récifs parmi les plus riches du monde, explique Laurent Vigliola, chercheur à l’IRD. Mais le modèle prévoit justement qu’ils soient les plus riches de la planète du fait de leur environnement, de l’isolement, etc. »

Dans le détail, en ce qui nous concerne, les récifs coralliens du parc naturel de la mer de Corail présentent des biomasses conformes aux prédictions pour des sites inhabités ou isolés et ne se distinguent pas dans cette méthodologie. En revanche, La Réunion est identifiée en négatif comme un « dark spot ». En cause, a priori, une surfréquentation sur peu de récifs, une oppression humaine importante.

Quelle suite ?

Le modèle général a permis aux scientifiques de tirer de grandes leçons, résumées par Laurent Vigliola. « Quand les gens se sentent impliqués dans la gestion de leur environnement, qu’ils s’y impliquent localement, les récifs vont mieux. Si l’on fait une aire marine protégée et que les gens ne sont pas d’accord, cela ne marchera pas. Et puis la technologie, les techniques modernes et les chocs environnementaux ont un effet néfaste ». Au final, le message est on ne peut plus positif. « Cela prouve que l’on peut améliorer les choses, doubler les capacités de son récif en agissant localement ou plutôt à tous les niveaux ».

Partant de ces enseignements, l’IRD a commencé à travailler de manière plus précise depuis six mois sur une échelle locale. L’institut rassemble ses données environnementales, l’IAC* s’intéresse à un suivi socio-économique des tribus et le contact est établi avec les départements de l’environnement, de la pêche, etc. Objectif, créer un jeu de données très détaillées et appliquer cette approche de « bright spot » en trouvant les endroits qui se démarquent. Les conclusions sont attendues d’ici un an ou deux.

*IRD : Institut de recherche pour le développement. *IAC : Institut agronomique néo-calédonien.

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L’approche « bright spot »

 

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En 1990, Jerry Sternin, qui travaillait pour l’ONG Save the Children, faisait des recherches au Vietnam sur la malnutrition des enfants. Il s’est demandé pourquoi, dans un même village, certains enfants allaient mieux que d’autres et a étudié ce qu’il y avait de spécial chez eux. Il s’est rendu compte que toutes les mamans donnaient la même quantité de nourriture à leurs enfants mais que certaines les nourrissaient de petites portions plusieurs fois par jour contre deux fois par jour pour les autres et aussi qu’elles ajoutaient quelques éléments nutritifs. Il a demandé à tous les villageois de les imiter et cela a fonctionné. Puis, il a implanté cette façon de faire dans 265 villages du Vietnam et a diminué la malnutrition des enfants du pays par 65 %. Sa méthode des « bright spots », ou l’amélioration de l’ensemble par la recherche et la compréhension des points hauts (ou au-dessus de la moyenne), est née à ce moment-là.

 

C.M. /Photo AFP