« Prendre en compte l’ampleur des traumatismes chez les victimes »

Yves Dupas encourage la création de groupes de parole auteurs-victimes autour d’un délit, comme le home-jacking, en recrudescence en Nouvelle-Calédonie. / © A.-C.P.

Lieu d’expression, source d’apaisement, « outil pédagogique », Yves Dupas, procureur de la République, se dit favorable au développement de la justice restaurative en Nouvelle-Calédonie, même si le procédé, « singulier et complexe à mettre en œuvre », n’a pas vocation à être généralisé.

  • UNE OPTION À PROPOSER

« Dans la majorité des cas, cela arrive après le jugement, car il faut acter que les faits sont bien reconnus par l’auteur », souligne Yves Dupas. La justice restaurative, complémentaire de la procédure pénale, en est cependant autonome. Elle offre un espace de parole. « La victime peut avoir l’impression qu’elle n’a pas pu dire tout ce qu’elle voulait. C’est un moyen de lui permettre de continuer à s’exprimer, à affirmer son statut de victime. C’est un élément clé. » Et vise « l’apaisement pour l’auteur et la victime ».

Mais pour pouvoir en bénéficier, les gens doivent être informés, même si le dispositif n’en est qu’à ses débuts en Nouvelle-Calédonie. C’est « plutôt le rôle des associations, le cas échéant celui d’un avocat ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui a aussi vocation à le faire connaître ».

  • UN DISPOSITIF À DÉVELOPPER

Amplifier la justice restaurative apparaît pertinent, considère Yves Dupas. Par rapport au profil des auteurs d’infractions, d’abord. « Beaucoup reconnaissent les faits qui leur sont reprochés. » Puis, en écho à la culture kanak, dont la coutume de pardon est un des piliers. « Ce n’est pas la même chose, même si elle est latente dans le processus légal imaginé et conçu dans le droit français. Par ce dialogue, on retrouve un rapprochement entre auteur et victime sur un état des lieux partagé sur l’acte et ses conséquences. »

Outre la Fédération pour la justice restaurative (lire p.9), d’autres structures pourraient s’en emparer, comme l’Adavi, Association pour l’accès au droit et aide aux victimes. « Il était prévu que certains de ses intervenants s’engagent sur une formation. Cela serait alors inscrit dans ses missions, ce qui s’y prêterait complètement. » Mais, « singulier et complexe à mettre en œuvre », cet outil n’a pas non plus vocation à s’appliquer à toutes les procédures, indique Yves Dupas.

Il nécessite, entre autres, un consentement éclairé de l’auteur et de la victime, une profonde réflexion, « un travail de préparation mené par un professionnel indépendant ». Et le dossier doit s’y prêter, ce qui n’est pas toujours le cas. « Les victimes peuvent être enthousiastes au départ et, au cours de ce processus parfois très lourd, finir par se désister. J’en ai déjà eu. »

  • CRÉER DES GROUPES DE RENCONTRE

C’est « un angle d’approche intéressant », juge le procureur, « afin de prendre en compte l’ampleur des traumatismes chez certaines victimes ». L’idée est d’asseoir autour de la table des auteurs et des victimes de la même infraction mais qui ne sont pas concernés par le même dossier.

Le procureur pense, par exemple, au home-jacking, un délit en recrudescence en Nouvelle-Calédonie. « C’est un vol dans son univers personnel, parfois la nuit, en présence des enfants, etc. Je pense qu’un travail de réflexion de ce type rendrait peut-être possible la prise de conscience par les auteurs de cet impact majeur sur le plan psychologique chez les victimes. On voit qu’ils n’intègrent pas forcément le choc que les faits ont pu provoquer sur elles, les enfants, la façon dont elles s’organisent dans la vie quotidienne après avoir vécu ça. » Faisant ainsi de la justice restaurative « un outil pédagogique », « un levier de responsabilisa tion des auteurs avec une finalité de prévenir la récidive », affirme Yves Dupas.

  • LE CAS DES VIOLENCES SEXUELLES

Le magistrat s’interroge cependant sur la pertinence de la mesure dans le cas de certaines infractions, comme les violences sexuelles. Il ne faudrait pas que cela « rajoute de la souffrance à la souffrance ». Un risque potentiel qui exige de le « manier avec une grande précaution ».

Mais ce n’est pas impossible, « s’il y a un auteur et une victime très engagés, que c’est très bien préparé et de manière progressive, sans précipitation. C’est pour cela que cela peut durer longtemps, c’est un cheminement tellement compliqué ». D’où l’importance des formations reçues par les intervenants, qui doivent « les amener à être vigilants et à respecter tout un process pour éviter les dérapages ».

Anne-Claire Pophillat

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