Portrait : Kenzo Vendegou, revenu pour « servir son pays »

Comme de nombreux jeunes de sa génération, Kenzo Vendegou est parti pour mieux revenir. Diplômé des Arts et métiers et de l’Essec, il a pris ses fonctions, il y a deux mois, à la tête du CCCE, Comité consultatif coutumier environnemental du Grand Sud. Et veut « avoir un impact » à l’heure où « on écrit l’histoire de la Nouvelle-Calédonie ».

Il a grandi entre deux cultures, deux univers. La tribu et la ville. Un papa policier national originaire de l’île des Pins, une maman hôtesse de l’air de Canala, et une enfance entre Val-Plaisance et Motor Pool, à Nouméa. Kenzo Vendegou représente cette génération kanak qui s’est construite sur ces « approches » opposées.

Cela a ses « avantages », « voir les choses autrement », et ses « inconvénients », dont « l’éloignement avec ses origines ». Et, au final, l’envie d’un « retour aux sources ». « Le fait de partir nous fait réaliser beaucoup de choses. On est toujours rappelés par chez nous, ma vie est ici. » Animé en plus par ce désir profond de « servir son pays, surtout en ce moment, avec le contexte inédit. On écrit l’histoire de la Nouvelle-Calédonie et il ne faut pas le prendre à la légère. »

Jeune sapeur-pompier

Kenzo Vendegou, né en 1991, fréquente les établissements du quartier. Fernande-Leriche d’abord, puis Cluny et Blaise-Pascal. Un environnement privilégié. « J’y allais à pied, c’était confortable. » Bon élève, mais « pas très assidu au lycée, une période où on se cherche ». Il découvre la discipline et l’esprit de corps en intégrant la première promotion de jeunes sapeurs-pompiers de la ville en 2005. Et s’engagera, plus tard, en tant que soldat du feu volontaire. « J’allais à la caserne chaque mercredi, c’est un très bon apprentissage de la vie et de très belles valeurs. » Au lieu de s’amuser, ce que font ses copains. Sans regret. « Cela a beaucoup joué sur la personne que je suis. J’ai vu ma première scène de crime à 18 ans et, le lendemain, j’étais à l’école. Cela fait devenir adulte un peu plus vite. »

« Un avant et un après » la Finlande

Son bac en poche en 2010, alors qu’il compte poursuivre ses études en Métropole, il se blesse, « un moment de déprime et de remise en question », et décide d’entamer une formation de steward chez Aircalin où travaille sa mère, « on a même fait quelques vols ensemble », sourit-il.

Mais, l’envie de « découvrir autre chose » est plus forte. Après un DUT en Seine- Saint-Denis, Kenzo Vendegou est accepté aux Arts et métiers à Chambéry (Savoie) en 2016. Ce parcours le mène en Finlande, dans une petite ville « au milieu des sapins », pour un stage de trois mois en 2019. Un tournant. « C’est la meilleure aventure que j’ai vécue. Il y a eu un avant et un après, cela m’a beaucoup apporté. » Et une prise de conscience. « Je me suis rendu compte que moi, petit Kanak de l’île des Pins, je pouvais me retrouver là, qu’il n’y avait pas de barrière et que je pouvais y arriver si je m’en donnais les moyens. » Devenu ingénieur, il envoie alors sa candidature à Cadres avenir et passe un master en entrepreneuriat à l’Essec, en région parisienne.

Un retour prématuré en raison du Covid

Le Covid signe son retour en Nouvelle-Calédonie après un confinement et presque sept ans sans rentrer. Kenzo passe six mois à l’île des Pins, éprouvant le besoin de se reconnecter à ses racines, « retoucher la terre, plonger et pêcher, ne penser à rien d’autre que ce qu’on doit faire le jour-même ». Puis il est embauché à l’Adie, où il reste un an, devient le père d’un petit garçon et postule au CCCE*, intéressé par sa mission de préservation de l’environnement et de la prise en compte du savoir et des connaissances traditionnelles kanak. « Le complexe industriel a des impacts et la question est : comment on fait pour trouver des moyens et des solutions plus innovantes et plus respectueuses. Je veux que mes enfants pêchent toujours pareil dans trente ans. » Ce qui l’anime ? « Avoir une voix qui porte celle de la population. On est autonomes et on travaille avec Prony pour porter des projets locaux. »

Un engagement en politique ?

Parallèlement, le trentenaire gère une activité de conseil en gestion de projet et envisage de mener une thèse sur l’entrepreneuriat kanak. « Dans les tribus et les communes isolées, notamment, on manque de petites activités économiques, il faut imaginer de nouveaux modèles. » Une nécessité au moment où se réinvente le pays, estime celui qui prône « un développement local à taille humaine basé sur l’environnement ».

Un premier pas vers la politique pour suivre ses convictions indépendantistes ? « Ce serait mentir de dire que je n’y ai pas pensé », avoue Kenzo Vendegou. Pris par sa vie de famille – « c’est le plus important aujourd’hui » –, l’indépendantiste ne veut pas se précipiter et attend son tour. « Il faut d’abord laisser la page des Accords se tourner avec l’affrontement des deux blocs. On verra après », avant de glisser, « est-ce qu’on laisse la place aux jeunes ? » Mais, Kenzo Vendegou reste déterminé à prendre une place « à l’aube de quelque chose d’historique ».

 

*Comité consultatif coutumier environnemental. Il émane du Pacte pour un développement durable du Grand Sud signé 2008 entre Goro (aujourd’hui Prony Resources), le conseil coutumier Drubéa-Kapumë et Rhébuu Nùù.

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)