Pollution à Poé-Deva : La province lance un programme d’analyses

Des analyses ont été commandées par la province Sud pour comprendre l’origine précise de la pollution ayant généré le phénomène de prolifération d’algues vertes et engager des mesures correctives auprès des pollueurs. Un suivi du milieu sur la durée est prévu.

Voilà deux semaines maintenant qu’un épisode de prolifération d’algues vertes odorantes affecte la zone de Poé-Deva avec des dépôts importants et inquiétants sur les récifs, sur la plage et le creek salé. Par décision municipale et jusqu’à nouvel ordre, les activités de baignade et de loisirs ont été interdites sur le littoral entre la Mutuelle des fonctionnaires et le Centre d’accueil de Poé. La province Sud s’est d’abord tournée vers l’IRD pour une reconnaissance précise de l’espèce et un avis sur le phénomène, puis vers un bureau d’études pour faire un « mini-diagnostic » à partir des échantillons collectés. Elle se tourne maintenant vers l’Ifremer pour établir un suivi dans le temps de la zone.

Algue Ulva

Sollicitée par la province, la chercheuse Claude Payri a analysé les premiers échantillons et identifié une algue verte appartenant au genre Ulva (anciennement nommée Enteromorpha) proche des laitues de mer (ulves) et non pas la Cladophora, comme indiqué au début.

Elle a également donné son opinion sur ce qui avait bien pu se passer. « Ces algues sont nitrophiles et ont une capacité exceptionnelle à pomper les nitrates, ce qui leur permet de croître rapidement. Par ailleurs, elles sont capables de se multiplier par bouturage, ce qui augmente leur capacité à proliférer. La cause première de ces proliférations est l’importance des apports en nitrates et en phosphates par les eaux de ruissellement et les cours d’eau. »

Selon elle, ces éléments nutritifs proviennent en grande partie de l’agriculture, de l’élevage et de toutes les activités qui ont recours à l’utilisation de fertilisants. Les eaux usées domestiques sont également riches en nitrates et phosphates et peuvent contribuer, « si elles sont mal maîtrisées (absence de réseau d’assainissement ou réseau défaillant) », à un enrichissement du milieu. Ces proliférations sont apparues après un épisode de fortes pluies qui ont lessivé les sols très secs déversant, dans les creek et la Nera, puis dans le lagon, des quantités élevées d’éléments nutritifs utilisés ou produits par les activités humaines. Les fortes chaleurs, la luminosité, la faible profondeur ont ensuite amplifié le phénomène de prolifération. Le mouvement des vagues et la houle ont arraché les algues et les courants les ont rejetées sur le littoral où elles se sont amassées.

Outre les impacts écologiques sur les communautés coralliennes et les herbiers, la scientifique a soulevé les risques sanitaires liés à la décomposition de grandes quantités d’algues et la libération d’hydrogène sulfuré (odeur d’œuf pourri) toxique pour la plupart des espèces – y compris l’homme – et elle a recommandé le ramassage des algues échouées sur la plage. La province a alors procédé à l’évacuation de ces algues qui ont été « étalées » sur une « zone adéquate » afin de « sécher au plus vite » « sans générer d’impact ».

©Facebook/EPLP

Péril sur les milieux

Les associations comme la Zone côtière ouest (ZCO) et EPLP se sont également rapidement inquiétées des dégâts provoqués dans l’eau. Ici, aucun repérage sous-marin n’ayant été effectué (uniquement en ULM et par bateau à fond de verre), des plongées ont été entreprises par les bénévoles de la ZCO et les craintes se sont confirmées : les algues s’étendent sur une large zone en mer de manière discontinue, « étouffant le récif ». Peu de poissons ont été vus lors de cette plongée.

Côté creek salé, la mortalité des poissons a été concrètement constatée, comme en témoignent les clichés de l’association Bwara tortues marines. Cette situation peut s’expliquer de deux manières, selon Claude Payri. « Soit les poissons sont restés prisonniers dans les tapis d’algues et se sont échoués à marée basse, soit ils ont succombé à un manque d’oxygène (phénomène d’anoxie) consécutif à la dégradation des algues par des bactéries aérobies qui consomment une quantité importante d’oxygène et qui produisent, entre autres, les composés sulfurés (hydrogène sulfuré)». Au final, il est évident que cette pollution anormale a eu des conséquences multiples et les associations s’inquiètent particulièrement des impacts à long terme sur le récif.

©Bwara tortues marines

Des réponses attendues

Dans l’urgence, avant le passage de la dépression Fehi qui n’a semble-t-il pas généré de nouveau phénomène, des échantillonnages ont été effectués dans les différents endroits impactés, du site « RFO » à la faille aux requins, et la province a fait appel à un bureau d’études pour établir un premier diagnostic.

Puis, partant toujours du principe qu’« aucune activité ni aucun ouvrage de la zone pris isolément ne saurait émettre à lui seul les quantités de nutriments nécessaires à la formation d’un phénomène de telle ampleur », la province Sud évoque désormais la mise en place sur cette zone d’un « véritable programme d’analyses », « dans la durée » avec l’Ifremer. Un cahier des charges devrait être arrêté d’ici un mois.

Les recherches élaborées avec les spécialistes devront permettre, précise-t-elle, de répondre aux principales questions posées : « Quels sont les apports respectifs des activités affectant les bassins versants de la Néra et des creeks (eaux usées insuffisamment épurées, usage d’engrais, etc.) ? Comment ces polluants se diffusent-t-ils du fait des courants et des marées ? Quels sont les taux de phosphates et nitrates qui se retrouvent présents dans le lagon ? Dans quelles conditions cette prolifération risquerait-elle de se produire à nouveau ? »

En clair, il s’agira de cibler les phénomènes de pollution pour mettre en place des mesures correctives. « Des mesures qui peuvent être très simples, selon Emmanuel Couture, chargé de mission à la Direction de l’environnement, comme le raccordement général à des stations d’épuration ou l’encadrement de l’utilisation des engrais par les agriculteurs. »

Sur le fond, associations et scientifiques craignent des impacts durables sur les milieux naturels et les communautés d’espèces, si de tels épisodes venaient à se reproduire. Et sachant que la zone est à la fois urbaine, avec des activités et des rejets humains, et agricole, ce scénario n’est pas impensable. (Il n’y a qu’à voir l’agrandissement de l’herbier de Poé sur les dernières décennies pour voir les modifications possible des milieux !) « D’où l’intérêt de mener des études sur la durée, à chaque saison chaude », nous dit Emmanuel Couture.

Méthode

Sur la forme maintenant, les associations ont publiquement regretté le manque de réactivité de la collectivité sur cet épisode, mais aussi le fait qu’elle n’ait pas diligenté un suivi sous-marin ou encore qu’elle ait utilisé un tractopelle sur la plage, alors que des outils plus « adéquats » existent. La province répond qu’elle a « géré l’urgence » et fait face à des quantités trop importantes d’algues pour ces outils « adéquats ».

Les associations réclament par ailleurs des « informations pertinentes » et de la « transparence ». La collectivité d’indiquer qu’une réunion d’information et d’échanges sera prochainement organisée avec les différents acteurs. Elle précise par ailleurs que tous les rapports relatifs aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), ainsi que toutes les études d’impact intéressant la zone sont ou seront prochainement disponibles sur son site internet. Une réflexion est également engagée sur l’ouverture d’une page web pour rassembler toutes les informations et études sur cet épisode afin de « faciliter l’accès du public à l’information ». Une telle plateforme qui pourrait être créée sur d’autres sujets environnementaux comme la présence des requins, par exemple.

 

C.M. ©Bwara tortues marines