Pierre-Yves Le Meur : « Il faut aider les industriels miniers à devenir vertueux »

Le Centre océanien pour la responsabilité sociale et les ressources naturelles (Pacsen) a organisé fin juin un atelier de travail autour de la gestion des ressources naturelles, de la transition énergétique et du secteur minier. Pierre-Yves Le Meur, coordinateur de ce centre, revient sur ces échanges qui ont rassemblés des participants d’Australie, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des Fidji et de Nouvelle-Calédonie.

DNC : Que retenez-vous de vos échanges à l’Institut agroalimentaire néo-calédonien (IAC) de Pouembout, avec les membres du Pacsen ?

Pierre-Yves Le Meur : Plusieurs thèmes en lien avec la gouvernance des ressources naturelles ont été abordés, avec un focus sur le secteur minier. Des collègues de l’université du Queensland ont démarré un programme de recherche innovant sur les liens entre industrie extractive et transition énergétique, du point de vue des enjeux de justice sociale et environnementale. Ils ont recensé les 161 sites miniers du Pacifique en fonctionnement ou prévus et leur ont attribué une série d’indicateurs caractérisant les risques environnementaux, sociaux ou en termes de gouvernance pour obtenir une vision globale de l’activité minière dans la région. Trois cas ont ensuite été approfondis : le cuivre en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le nickel pour la Nouvelle-Calédonie et les nodules polymétalliques sous-marins aux Îles Cook. Le projet suit le produit de son extraction à sa consommation pour situer et évaluer les enjeux énergétiques et d’équité. C’est, par exemple, la problématique à Prony Resources qui produit un nickel acheté par Tesla pour les voitures électriques.

Quel est l’intérêt de comparer à la fois les secteurs miniers et les pays du Pacifique entre eux ?

Les procédés et les techniques de transformation et d’extraction sont différents pour chaque minerai. Mais certaines choses sont comparables. Par exemple, les négociations des accords entre communautés et entreprises ou les modes d’intervention des gouvernements. Des transnationales présentes en Nouvelle- Calédonie, comme Glencore ou Trafigura, opèrent dans d’autres pays. En fonction du contexte, elles ont des comportements différents. Au Congo, le comportement de Glencore a été épinglé par les médias et les ONG pour ses pratiques clientélistes et corruptrices. La même entreprise se comporte correctement dans un autre pays, parce qu’il y a un cadre légal plus contraignant et des moyens de le faire respecter. Les industriels miniers sont là pour faire du profit en extrayant un maximum de minerais tant qu’on ne leur met pas des contraintes. Il faut en quelque sorte qu’on les aide à devenir vertueuses.

Des pays ou des secteurs s’en sortent-ils mieux que d’autres ?

Les conclusions très générales sont toujours risquées en sciences sociales. On peut remarquer que la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un cadre étatique structuré, incluant le niveau territorial et les provinces. Les communautés locales ne sont pas laissées seules face aux transnationales minières et les structures étatiques locales participent au capital minier.
En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le degré de violence sur certains sites miniers est très élevé. Le cas extrême est Bougainville, une île autonome à l’est du pays. Un conflit autour de la mine de Panguna, qui était dans les 1970-1980 la plus grosse mine de cuivre, a dégénéré en 1989 en guerre civile qui a duré 10 ans et coûté la vie à 20 000 personnes. La Nouvelle-Calédonie n’a jamais connu un tel niveau de violence, malgré de nombreux conflits autour de l’enjeu minier.

À quoi peuvent servir ces constats ?

Un des objectifs de Pacsen est de faire circuler l’information relative à l’exploitation et à la gouvernance des ressources au-delà du monde de la recherche, en construisant une plateforme qui mettra en commun ces connaissances. Elle permettrait aux acteurs concernés (communautés locales, gouvernements, autorités coutumières, organisations non gouvernementales…) d’y accéder pour se retrouver moins démunis lorsqu’arrive un projet d’exploitation quel qu’il soit.

Propos recueillis par Brice Bacquet

©B.B.

Pierre-Yves Le Meur est anthropologue et directeur de recherche à l’IRD, membre de l’unité de recherche Savoir, environnement
et société (SENS).


Le Pacsen, c’est quoi ?

Le Pacsen est un acronyme anglais désignant le Centre océanien pour la responsabilité sociale et la gouvernance des ressources naturelles.
Ce réseau, fondé en 2014, rassemble des chercheurs, des organisations non gouvernementales, des associations ou des services publics autour de la gouvernance des ressources naturelles et le secteur minier.

Il fait quoi ?

Depuis 2019, le Pacsen organise un atelier par an pour mettre en relation la recherche, la société civile et les pouvoirs publics.
Leurs deux prochains rendez-vous se dérouleront en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2023 et à la Communauté du Pacifique à Suva (Fidji) en 2024.