Philippe Gomès : « Si on ne sort pas de la logique des blocs, on aura un nouveau 13 mai »

l’État ne serait pas très opportun », estime Philippe Gomès. (© Y.M.)

La Nouvelle-Calédonie se trouve à un moment charnière des plus critiques de son histoire, selon l’ancien député Philippe Gomès. L’élu de Calédonie ensemble, qui milite pour la construction d’un consensus définitif sur l’avenir institutionnel, s’inscrit totalement dans la méthode présentée par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

DNC : Que retenez-vous de la mission des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet ?

Philippe Gomès : C’est une première historique pour un pays qui a l’habitude des premières historiques. Deux présidents de Chambres du Parlement qui viennent en Nouvelle-Calédonie pour tenter de nous sortir de la nasse politique, économique et sociale, c’est une marque d’intérêt majeur du Parlement, de l’État auprès de notre petit pays. Et c’est une attitude courageuse.
Un autre élément que je retiens, c’est leur indépendance. Ils ne reçoivent d’instructions de personne. Cette liberté d’action, de ton, de réflexion, c’est quelque chose de précieux.

Et sur le fond ?

Deux annonces essentielles. La première, c’est le soutien aux trois amendements déposés par le comité inter-institutionnel pour le projet de loi de finances 2025 dans le cadre de la résolution adoptée par le Congrès sur le plan quinquennal. Le premier pose le principe de la convention cadre pluriannuelle de soutien de l’État. Dans le deuxième, la compensation des pertes de recettes fiscales et sociales de la Nouvelle-Calédonie sur l’exercice 2025, la prorogation des régimes de chômage partiel et total, et les aides aux entreprises sont instaurées. C’est un ticket, dans ce second amendement, de 83,5 milliards de francs. Le 3e amendement concerne le financement des infrastructures détruites pour 50 milliards. L’idée, désormais, c’est de faire adopter ces amendements au Sénat.

Quelle est la deuxième annonce ?

Dès lors que la première est engagée, on démarre par une séquence de discussions entre Calédoniens. On ne part pas à blanc, mais avec des documents qui ont déjà été produits. On va cheminer pendant quelques semaines entre les groupes politiques du Congrès. Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet suivront régulièrement le résultat de ces discussions. L’idée est que tous les 15 jours, nous faisions un point d’étape avec eux. Ce n’est pas une visite « one shot » avec la déclaration traditionnelle sur le tarmac, c’est un accompagnement dans la durée.

Faut-il voir la notion de souveraineté partagée comme une proposition ou un terme générique ?

L’accord de Nouméa dit : « Les compétences exercées par l’État seront transférés au fur et à mesure à la Nouvelle-Calédonie selon le calendrier ci-après, ce qui signifiera la souveraineté partagée entre la France et la Nouvelle-Calédonie ». Certains viennent de redécouvrir l’œuf et la poule. Cette notion est déjà en œuvre depuis 25 ans. Calédonie ensemble a toujours porté ce concept. Quand Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet en parlent, ils s’intègrent tous les deux dans le cadre tracé par l’accord de Nouméa, celui de l’émancipation du pays, qui a vocation à être approfondi dans un nouvel accord. C’est une idée centrale.

Une façon de sortir de la logique des blocs…

Si on ne sort pas de la logique des blocs, on aura un nouveau 13 mai à un moment ou à un autre. Toutes les cartes sont dans nos mains. Encore faut-il accepter de tirer les enseignements de l’histoire de part et d’autre. Ces discussions s’engagent dans un contexte très compliqué et une radicalité plus forte. Avec des données politiques nouvelles au plan local et national. Les indépendantistes qui gagnent de 10 000 voix aux dernières législatives avec un taux de participation de 71 %, c’est un fait politique nouveau.
Pour nous, le concept de souveraineté partagée, c’est la clé, l’équilibre à trouver entre ceux qui aspirent à une émancipation plus aboutie intégrant des éléments de souveraineté externe, et ceux qui aspirent à rester protégés par la France avec une souveraineté provinciale interne renforcée. C’est le chemin de crête qu’il nous faut emprunter en maintenant à la fois le lien fort avec la France et l’unité du pays.

Un calendrier est-il établi ?

Le seul calendrier effectif qu’on ait, c’est la deadline de mars 2025, car au-delà, il sera impossible de mettre en œuvre constitutionnellement un accord avant les provinciales de novembre. Entre maintenant et mars, comment les choses s’articulent ? On va apprendre en marchant.
Quelles sont les chances que l’on arrive à un accord global ? Nous sommes depuis l’origine totalement partisan de ce qu’on va appeler un grand accord. Parce qu’il n’y a pas d’autre voie de sortie pour le pays. Il n’y a pas de petit accord, il n’y a pas une modification unilatérale du corps électoral parce qu’on a vu où ça nous emmenait, au 13 mai.
Selon nous, c’est un accord ou une guerre civile larvée qui s’installera dans la durée, rendant exsangue notre économie et favorisant le départ des forces vives. Certains auront atteint leur but.

« Si chacun recommence à cultiver
son pré-carré électoral en pensant
à ces élections, au bout du compte, il n’y aura pas d’accord. »

Quatre mois, c’est peu…

On est peut-être dans une situation où les éléments objectifs peuvent nous conduire à trouver un accord. Il y a deux éléments objectifs. Il y a le 13 mai. Je pense que cela a conscientisé beaucoup de gens qui, jusqu’alors, considéraient que des Événements nouveaux étaient impossibles. Deuxième élément, tous les documents sont sur la table : le rapport Mélin-Soucramanien-Courtial de 2013, la mission Valls sur l’avenir institutionnel, les deux bilans de l’accord de Nouméa, le projet bâti par Calédonie ensemble, celui des Loyalistes avec les indépendantistes, et celui des indépendantistes. La question n’est pas : quels sont les nouveaux éléments ? La question est : comment les agrège-t-on pour permettre l’émergence d’un consensus ?

Qui inclure dans le périmètre des interlocuteurs indépendantistes pour les discussions ?

Le congrès annuel de l’UC va être une étape décisive. C’est le centre de gravité des indépendantistes. Entre l’UC canal historique et l’UC canal révolutionnaire, qui va prendre la main ? Sur quel projet ? La radicalité des lignes politiques qui s’est exprimée ces derniers mois va-t-elle être confortée ? Ou au contraire le sens des responsabilités va-t-il reprendre le dessus ? Ce congrès de l’UC va donc être un moment essentiel sur la perspective de trouver un accord.

Les provinciales peuvent-elles handicaper la recherche d’un accord global ?

Si chacun recommence à cultiver son pré-carré électoral en pensant à ces élections, au bout du compte, il n’y aura pas d’accord. Pour qu’il y ait un accord, il faut qu’on s’engage collectivement à favoriser l’émergence d’un consensus. Un consensus ça ne se décrète pas, ça se construit. Engager ces discussions en ayant en perspective les prochaines élections, c’est les condamner à être mortes-nées.

Avec quel corps électoral ?

À défaut de grand accord, ces provinciales se feront avec le corps électoral actuel, ce qui ne manquera pas de susciter des recours. Pour que le corps électoral actuel ne soit plus d’actualité, il faudrait qu’il soit modifié. Pour le modifier, il faut modifier la Constitution. Qui va trouver une majorité des 3/5e pour modifier le corps électoral ? Qui va prendre le risque d’un nouveau 13 mai ?

Une négociation autour du corps électoral peut être intégrée dans un accord global à conclure avant mars…

L’accord global, parce qu’il est global, doit tout embrasser, y compris la question de l’évolution de l’acquisition de la citoyenneté, notamment pour ceux qui se sont investis durablement dans notre pays et les conjoints de citoyens calédoniens.

Quel regard portez-vous sur les événements de mai ?

C’est la chronique d’un désastre annoncé. Il fallait quand même ne pas vouloir voir ce qui allait advenir. Quelles sont les sources de ce désastre ? Nous sommes rentrés avec la séquence référendaire dans un rapport de force. Nous aurions pu l’éviter. Si le premier référendum était obligatoire, les deux autres étaient optionnels. Puis il y a eu pendant la séquence 2021 jusqu’à aujourd’hui, la loi sur le dégel et les déclarations extrémistes de part et d’autre. Tout cela a créé une tension extrêmement forte dans notre société sur une durée quand même assez longue. L’explosion de cette tension accumulée a conduit à un cataclysme intégral.
Le soubassement est aussi sociétal. On a toute une jeunesse kanak en perdition. Pourquoi ? Elle a poussé sur le goudron de la ville sans l’encadrement traditionnel. Elle se sent à la fois marginalisée dans la ville dans laquelle elle est née, qui lui reste pour une part étrangère et, en même temps, elle se sent à l’écart de la vie tribale, à laquelle elle ne participe que de manière occasionnelle.
C’est une jeunesse pour partie acculturée, pour partie exclue, qui traverse une grave crise existentielle sur laquelle la CCAT a capitalisé. Le 13 mai a permis à cette jeunesse d’affirmer son identité de manière légitime contre le dégel du corps électoral, puisque le mot d’ordre politique a été donné.

Qu’en est-il des responsabilités ?

L’incurie de l’État au plan politique et sécuritaire est quand même invraisemblable. Il y a une responsabilité majeure du gouvernement dans l’échec du dialogue politique. Mais aussi dans l’impréparation pour assurer l’ordre public, ce qui en dit long sur l’absence de discernement des responsables politiques nationaux sur les risques qu’ils faisaient prendre à la France et à notre pays en engageant un rapport de force sur le 3e référendum et, ensuite, sur le dégel du corps électoral.
Après, il y a les boycotts et les atermoiements indépendantistes. On paie la schizophrénie de l’UC, entre une branche dure qui organise la guerre et une autre qui essaye de trouver le chemin pour un accord. Enfin, il y a la stratégie d’une partie des non-indépendantistes engagé depuis 2019 dans un bras de fer perdu avec les indépendantistes.
Et puis, cerise sur le gâteau, il y a eu les égarements élyséens. Sept déclarations sur le corps électoral en un mois… La machine étatique a complètement perdu pied. Si les bonnes paroles avaient été dites au bon moment, on serait sorti plus rapidement du 13 mai.

Place à la reconstruction. Le plan PS2R et le plan quinquennal sont-ils vraiment complémentaires ?

Ils le sont dans la mesure où ils ne s’adressent pas à la même personne. Les porteurs du PS2R vont voir l’État pour le présenter, mais c’est le Congrès qui va décider des réformes à mettre en œuvre. Personne d’autre. Quant à la résolution sur le plan quinquennal, elle s’adresse exclusivement à l’État sur la base d’un principe simple : la solidarité nationale doit s’exercer à l’égard de la Nouvelle- Calédonie. Nous pourrons engager un cycle de réformes dès lors que l’activité économique aura repris et sera créatrice d’emplois. La temporalité exigée par Bercy et acceptée par le gouvernement de la Nouvelle- Calédonie n’est pas adaptée à la situation économique et sociale du pays actuellement.

Était-ce judicieux de rejeter le pacte nickel ?

Nous avons initié ce rejet. Que prévoyait le pacte ? Deux points de TGC pour récupérer 8 milliards de francs pour financer la facture électrique des industriels qui soit sont partis, comme Trafigura ou Glencore, soit ne veulent plus mettre la main à la poche comme Eramet.
Heureusement que l’on a fait sauter ce pacte. Si on ne signait pas au 31 mars, Bruno Le Maire [alors ministre de l’Économie] disait : « Attention, je ne donne pas l’argent ». Il a payé les 18 milliards à l’usine du Sud et les 20 milliards pour la SLN rubis sur l’ongle. Leur petit chantage n’a pas fonctionné.

Propos recueillis par Fabien Dubedout et Yann Mainguet