Père Rock Apikaoua : « Je souhaite qu’il y ait vraiment un après-Covid »

Les Calédoniens ont été touchés dans leur chair par la crise sanitaire et beaucoup n’ont pas pu honorer leurs morts comme d’ordinaire à la Toussaint. À ceux empêchés de se rendre dans les cimetières, le père Apikaoua propose d’aller « à l’intime de soi ». Il invite les Calédoniens à ne plus faire « comme avant » et à tirer des leçons de cette période. Interview du vicaire général de Nouvelle-Calédonie et membre du comité des Sages.

 

DNC : Comment ressentez-vous cette période si particulière ?

Père Rock Apikaoua : J’espère qu’on finira par apprendre quelque chose après ce troisième confinement. Je souhaiterais très fort qu’il y ait vraiment un après-Covid.

 

Quel serait cet après-Covid ?

Ce serait de ne pas avoir le sentiment de faire comme avant. La situation dans laquelle on se trouve n’est pas banale, elle nous invite à d’autres postures vis-à-vis de soi et des autres, vis-à-vis de ceux qui nous entourent et du monde dans lequel on vit, qu’il y ait de l’attention et de rompre avec cette attitude de : chacun fonce droit devant lui sans trop savoir pourquoi. Et retrouver la véritable paix, pas une tranquillité individuelle, mais notre capacité de nous soucier des uns des autres.

 

Comment passer ce moment si délicat de la Toussaint ?

La Toussaint cette d’année est un peu paradigmatique de la vie. La vie et la mort se côtoient, mais ces mois de septembre et d’octobre nous ont mis devant une réalité où la mort prend le devant. Cela décrit l’état de santé physique d’une population et mon souci à moi, c’est l’état de santé moral. Comment faire pour la retrouver, comment faire en sorte que nous vivions une vie bonne, non seulement pour soi, mais pour nous tous ? La solidarité pendant cette période, et dernièrement le don de squashs par les agriculteurs, me fait dire que les Calédoniens peuvent s’en sortir, il faut qu’ils réinscrivent des mots comme partage, et qu’ils deviennent comme la terre calédonienne qui a toujours été généreuse.

 

Relever la tête et nous dire, ‘il reste de la vie’. C’est ça, le sens de la Toussaint, c’est la fête de la vie.

 

Comment faire son deuil et se recueillir quand on ne peut pas aller au cimetière et veiller ses morts ?

C’est comme l’ordre de la nature, le jour se lève et le jour se couche. La Toussaint, c’est l’occasion de relever la tête, ne pas seulement avoir nos orteils au bord de nos tombes comme seul horizon. Relever la tête et nous dire, ‘il reste de la vie’. C’est ça, le sens de la Toussaint, c’est la fête de la vie. À nous de nous dire,‘où est-ce que je vais à partir de maintenant ?’ On n’a pas pu aller dans nos cimetières nous recueillir auprès de nos morts, mais est-ce cela qui importe ?

Il n’y a peut-être pas besoin d’y aller mais plutôt d’aller à l’intime de soi retrouver cette double dimension que chacun de nous porte, ce qui nous mène inexorablement à la mort, mais aussi les puissances de vie. Il y a un élément commun, c’est la mémoire, qui est le propre des vivants. C’est quand on est vivant qu’on se souvient. Alors cimetière ou pas cimetière, le plus important, c’est de garder mémoire de nos défunts, ce n’est pas célébrer la mort, mais la vie.

 

Que retirez-vous de ce temps de confinement ?

Cette pandémie est telle, que si on n’a pas une réflexion d’une manière ou d’une autre, c’est qu’on est déjà mort, et je suis heureux de constater que je suis vivant et que je continue de me poser des questions. Avec la crise, la notion du temps change, on fait les choses dans un temps court, et en faisant cela, on est obligé de mettre en évidence l’essentiel. Cela nous permet de ne pas perdre du temps avec le futile. D’où ma peur que cela redevienne comme avant, car il était habité de beaucoup de futilités.

 

Est-ce que cette crise abîme la société ?

Elle abîme et elle met en évidence nos fragilités et tous ces aspects du quant-à-soi, qui se décrit par notre souci du droit, « mon droit de », et ne met pas assez en évidence le fait qu’on n’a pas que des droits, mais aussi des devoirs. C’est la gestion de cette double réalité qui va redonner du sens à nos vies personnelles et à nos vies en collectivité.

 

C’est un point que vous avez abordé lors de la messe ?

Assez souvent, oui, je fais état de cela, parce que je pensais que l’épidémie allait créer un sursaut en nous. Ce dont j’ai peur, c’est que nous n’ayons qu’un seul désir, que tout redevienne comme avant, et nous n’aurons pas avancé. Ce que je souhaite, c’est que notre réaction ne soit pas une espèce de sauve-qui- peut, mais que ce soit l’occasion pour nous de nous dire, où est-ce qu’on va ? J’espère qu’on aura pris en compte ce grand nombre de décès et qu’il soit l’occasion pour nous de nous poser de vraies questions. Est-ce que nous aurions pu éviter cela ?

 

Je pensais que l’épidémie allait créer un sursaut en nous. Ce dont j’ai peur, c’est que nous n’ayons qu’un seul désir, que tout redevienne comme avant,
et nous n’aurons pas avancé.

 

Est-ce que l’homme d’Église a un rôle à jouer dans ce contexte?

L’homme d’Église que je suis, non seulement entend et écoute, mais propose aussi une autre posture. Avec cette crise que l’on traverse, on va devoir régler nos pendules à l’heure de l’autre et non pas seulement à l’heure de soi.

 

Cela ne va pas être évident avec l’avenir politique…

Quelles que soient les situations dans lesquelles on est, il y aura toujours un avenir vers lequel on va. Le tout, c’est de savoir pourquoi on y va et de se dire aussi que le fait d’aller vers l’avenir, c’est comme un voyage. Soit on voyage seul, soit on choisit de faire ce cheminement les uns avec les autres. La tendance qui a été la nôtre jusqu’à présent, c’est ’l’avenir j’y vais vite parce que je veux y aller seul’. Mais la pandémie nous a appris d’autres choses. Et au lieu d’être seulement habité par le sentiment d’aller vite, peut-être faut-il aussi apprendre à aller loin les uns avec les autres. C’est cette direction qu’il nous faut mettre en évidence, et nous ne le ferons pas si nos efforts sont simplement pour faire comme avant. Il faut qu’il y ait un temps post-Covid.

 

Le Vatican s’est prononcé en faveur du vaccin et localement, l’archevêché a relayé le message. Certains estiment que l’Église n’a pas à prendre position. Êtes-vous d’accord ?

L’homme d’Église n’est pas à côté du monde mais dans le monde, et à un moment donné, il faut être en mesure de dire les choses. Il n’est pas en dehors de son rôle mais dans son rôle et il n’est pas chargé de dire des choses qui plaisent. Comme toute personne de bon sens, il dit des choses de bon sens et le bon sens ne va pas obligatoirement de pair avec toute réflexion quant à soi.

 

On pourrait reprocher au bon sens de ne pas remettre les choses en question. C’est quoi le bon sens ?

Les chiffres sont là. On n’a jamais vu plus de 260 morts, cela doit bien vouloir dire quelque chose. Mais faire comme si les choses étaient comme avant, cela va nous conduire non seulement dans le mur, mais dans tous les autres murs qui sont devant. Il faut poser la question, comment est-ce qu’on peut faire non seulement pour survivre, mais pour vivre ?

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)