L’arrivée d’une industrie plus respectueuse de l’environnement et vertueuse ne peut être que saluée, non sans être questionnée. Pierre-Yves Le Meur, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), décrypte cet enjeu.
DNC : Qu’entendons-nous par « nickel vert » ?
Pierre-Yves Le Meur : Il y a plusieurs façons de le définir. Un premier aspect concerne les conditions de production. À quel point sont-elles respectueuses de l’environnement ? Prennent-elles en compte les questions de changement climatique et de décarbonation ? D’autre part, à quoi sert ce nickel ? Va-t-il être utilisé dans le cadre de la transition énergétique ? Ce sont deux aspects totalement différents. Les conditions de production, c’est-à-dire faire attention à ce que la source d’énergie soit plutôt du solaire par exemple que du fioul lourd, est un enjeu central quelle que soit la production finale. Une entreprise comme Prony Resources, qui veut valoriser un nickel très clairement utilisé pour la transition, doit être d’autant plus être irréprochable. Pour eux, il y a un enjeu global pour que tout soit aux normes environnementales, soit le plus “vert” possible. Si jamais le nickel peut être “verdi”. Les entreprises font des calculs coûts-bénéfices. Dans ces calculs, ils acceptent de vendre un produit plus cher ou de le produire dans des conditions plus onéreuses, parce qu’ils espèrent le vendre mieux ou bien sur une niche de marché.
Pourquoi cette expression devient à la mode ?
La Nouvelle-Calédonie a du mal à être compétitive en termes de coût de production, pour de très bonnes raisons. Les salaires sont plus élevés, les gens sont mieux traités grâce à un droit du travail et un code minier fonctionnels. Les provinces, le gouvernement, l’État français sont relativement présents et efficaces pour ce qui est de la mise en place et du respect des régulations. Cela veut dire que le nickel ne peut pas être produit aux mêmes tarifs qu’en Indonésie ou aux Philippines. Par conséquent, l’enjeu pour les producteurs est de mettre en avant une traçabilité environnementale et sociale pour le vendre plus cher parce que d’une qualité irréprochable de ce point de vue. Il y a un enjeu économique indéniable derrière.
La mine n’est pas durable, elle creuse et détruit pour produire autre chose.
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Peut-on comparer cela à un commerce équitable ou à une consommation responsable ?
Il faut faire attention. Le commerce équitable renvoie au fait de travailler avec des petits producteurs qui n’ont pas forcément de grosses exploitations et de nombreux salariés. Ils ne sont pas toujours compétitifs face à l’agro-business, mais il s’agit de les soutenir pour des raisons de justice sociale et en plus, mais ce n’est pas l’idée initiale, de respecter des critères les plus écologiques possibles. Pour le nickel, on est face à des monstres industriels et des transnationales. Derrière KNS, c’est Glencore ; derrière Prony Resources, c’est Trafigura. Ce sont les deux plus grands négociants de matières premières à l’échelle de la planète. C’est important de noter que ces mêmes entreprises ne se comportent pas forcément selon les mêmes standards dans des situations ou des contextes nationaux où les régulations sont beaucoup moins appliquées avec des États plus faibles ou plus corrompus. Je pense en particulier à tous les scandales dans lesquels sont impliqués Trafigura et Glencore en République démocratique du Congo, en Afrique centrale.
Une industrie minière peut-elle être plus vertueuse et respectueuse de l’environnement ?
La mine est une activité destructrice par nature. Il ne faut pas oublier cela. Lorsqu’on parle de « mine durable », c’est un oxymore, une contradiction dans les termes. La mine n’est pas durable, elle creuse et détruit pour produire autre chose. Pour être plus précis, la durabilité peut être vue de deux façons. La mine détruit, mais elle va produire des batteries, créer des emplois, financer des aires marines protégées, etc. Il y a une substitution de capitaux : on détruit un capital pour en produire d’autres. Les tenants d’une autre version de la durabilité (ou plutôt de la soutenabilité) disent qu’il y a des effets de seuil et des choses qui ne sont pas substituables. Une fois qu’on a détruit la biodiversité endémique d’une région, on ne peut pas la remplacer par autre chose. Les entreprises minières se basent sur la notion de compensation. Elles creusent à un endroit en respectant les réglementations nationales plus ou moins sévères, en compensant par le développement et le financement d’activités locales. Il est toujours mieux qu’une entreprise minière ait des pratiques environnementales moins destructrices. Aujourd’hui, beaucoup de choses sont mises en place : il y a un code minier à l’échelon du pays, des codes environnementaux provinciaux. Il y a tout un dispositif juridique, administratif et réglementaire qui fait que les entreprises ne peuvent pas faire n’importe quoi.
Passer au solaire sera-t-il suffisant pour faire un nickel moins polluant ?
Cette question renvoie au périmètre de responsabilité de la mine, au-delà du seul site extractif. C’est un objet de discussion et de controverse, un élément central dans les négociations entre population, pouvoirs publics et entreprises minières, comme on le voit régulièrement à Thio ou Kouaoua, malheureusement à l’occasion de conflits, ceux-ci constituant souvent une sorte de mode de gouvernance pour les entreprises. L’autre élément essentiel est le suivi en temps réel. Il faut organiser des modalités de suivi des processus en cours, et pas uniquement à l’intérieur de la mine. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes régulations : il faut pouvoir évaluer ce qu’il se passe, en période de routine comme en cas d’accident. Il faudrait aussi concevoir des indicateurs qui fassent sens auprès de la population locale. Par exemple, on peut instaurer des indicateurs bioculturels qui prennent en compte la façon dont les riverains se représentent l’environnement pour les impliquer dans ce suivi. Il y a aussi l’enjeu des observatoires. Scal’Air le fait pour la qualité de l’air. L’OEIL fait déjà beaucoup de choses. Il pourrait y avoir des observatoires à différents endroits du territoire. Il y aurait certainement aussi des progrès à faire sur les pratiques métallurgiques. L’élément technologique est absolument central.
Propos recueillis par Brice Bacquet
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