Pacifique Sud : l’armée face au défis du changement climatique

La France et ses partenaires de la région accélèrent la réflexion sur l’impact grandissant du changement climatique sur la sécurité de nos territoires et la meilleure manière dont il faut assurer notre défense contre ce « nouvel ennemi ».

Quelques années après les États-Unis 1, la Défense française s’est intéressée aux risques liés au dérèglement climatique sur la sécurité nationale. Les menaces ont d’abord été identifiées dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2013, puis le pays a organisé en 2015 la première conférence internationale sur les enjeux « défense et climat », classant le réchauffement climatique comme « un enjeu de paix et de sécurité autant qu’une question environnementale ». La France travaille depuis à développer une stratégie pour la nation, mais aussi à insuffler (voire diriger) une dynamique de coopération à l’échelle régionale et internationale notamment via son Observatoire défense et climat 2.

Coopération

En ce qui concerne le Pacifique Sud, la menace, on le sait, est singulière : il est estimé que nos îles sont aux « avant-postes » de la vulnérabilité climatique. La région est touchée par plusieurs phénomènes et la géographie et l’environnement des îles font que les conséquences des phénomènes naturels peuvent prendre une dimension particulièrement catastrophique sur les populations, leurs habitats et leurs ressources. La dispersion des populations et la petitesse de certaines contrées – qui n’ont pas les moyens humains ou matériels pour se « défendre » – imposent par ailleurs une coopération internationale des armées déjà existante notamment par les Accords Franz, signés il y a 27 ans entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la France.

Pour se préparer à ce qui est défini comme une « ère de grandes turbulences », les pays disposant d’une présence militaire dans le Pacifique Sud 3 (SPDMM) ont décidé, en avril 2017, de lancer une étude de prospection sur les impacts sécuritaires des changements climatiques à l’horizon 2030. C’est dans ce cadre que les ministères de la Défense de la région, les militaires, les représentants des territoires du Pacifique et leurs partenaires scientifiques se sont réunis la semaine dernière à Nouméa. Il s’agissait de partager le fruit de deux ans de réflexion pour finaliser les recommandations opérationnelles.

Vulnérabilité

La première chose a été d’identifier les menaces. On se focalise souvent sur la seule montée des eaux dans le Pacifique, mais il est important de considérer désormais tous les phénomènes et leurs impacts dans leur ensemble, car nous ferons face à des « crises cumulées », a fait valoir François Gemenne, spécialiste de géopolitique de l’environnement auprès de l’Observatoire défense et climat.

Le phénomène de la montée des eaux est bien réel : il serait quatre fois plus important qu’ailleurs (12 mm/an contre 3 mm ailleurs en moyenne). Il va générer notamment une multiplication des inondations, la contamination des eaux, l’érosion. Nous subissons également la hausse des températures avec « des variations dans la région » (Tahiti étant en haut de l’échelle et Fidji en bas). Elle est en moyenne de 0,8°C par dizaine d’année et de 1°C tous les 15 ans. Elle aura un impact sur les stocks de poissons, entraînera davantage de maladies vectorielles, générera des crises sanitaires. Les cyclones, enfin, seront plus intenses et leurs destructions plus graves. Le dérèglement climatique entraînera globalement plus de dégâts humains et matériels, plus de compétition pour les ressources dans la mer et les terres, des déplacements de populations. La région comptabiliserait déjà 850 000 réfugiés climatiques. Face à ce constat, les spécialistes ont défini trois axes prioritaires pour la défense.

Infrastructures critiques

 

Le premier volet concerne les impacts sur les infrastructures qui peuvent rendre l’action des armées en faveur des populations moins efficiente. Les spécialistes se penchent sur les constructions militaires (bases navales, aériennes) qui peuvent être exposées aux différents phénomènes et à l’impact sur leur matériel qui pourra être exposé, par exemple, à la surchauffe en raison des fortes températures (ex : hélicoptères).

Plus largement, les infrastructures liées aux communications, aux transports et à l’énergie sont des points essentiels. On a vu récemment encore des coupures d’électricité importantes en Australie en raison de températures extrêmes, des communications et des routes coupées à chaque cyclone qui compliquent le déploiement des secours. Dans nos îles, les infrastructures les plus importantes (aéroports, structures de santé, écoles, hôtels) sont généralement en bord de mer et leur destruction peut laisser les populations sans soins, sans refuge, etc. Les dirigeants vont réclamer une typologie des infrastructures dites « critiques » dans toutes les îles de la région et donner des recommandations aux gouvernements pour réduire leur vulnérabilité.

Sécurité maritime

Autre source d’inquiétude, les ressources halieutiques. Il s’agit en particulier de savoir si le changement climatique a un impact sur les stocks de thon, sachant que le poisson est la principale source de protéines pour les habitants du Pacifique et que la région a un vivier exceptionnel attisant les convoitises. Des recherches sur ce sujet sont menées à la CPS par Valérie Allain. La chargée de recherche explique que le changement climatique va pousser les thons à chercher une eau plus fraîche, plus poissonneuse, notamment en haute mer. Les derniers modèles – « imparfaits en raison du manque de données » – montrent que les stocks se seront déplacés d’ouest en est à la fin du siècle. Les ressources devraient être de moins en moins importantes aux Salomon, en Papouasie et en Micronésie. Ces populations pourraient donc lutter pour leurs ressources, voire se déplacer. Des conflits qui pourraient impliquer l’armée.

Mais celle-ci devra surtout faire face à la pêche illégale qui devrait s’intensifier à mesure que les ressources vont se tarir dans le monde. Elle devra vraisemblablement patrouiller davantage en haute mer et s’équiper en conséquence. Il faudra réfléchir également à faire évoluer les lois et la responsabilité des agences de pêche.

Secours humanitaires

Les cyclones et autres tempêtes, de plus en plus intenses, mettront l’armée toujours plus à contribution. Les périodes de reconstruction seront plus courtes et les organisations de défense devront agir dans des environnements de plus en plus difficiles et chauds. Il faudra là encore mettre des moyens plus adaptés pour venir en aide aux populations et peut-être conduire des déplacements et des migrations. Les pays affectés récemment par d’importants phénomènes comme Fidji (Winston) et le Vanuatu (PAM) et les organisations de défense ont fait état de problèmes rencontrés lors des dernières opérations dans la chaîne de commandement. Ils ajoutent que l’aide internationale des ONG, qui arrive souvent en masse parfois sans être sollicitée, « peut faire pire que mieux ». Ils racontent aussi avoir reçu des containers entiers de peluches ou de médicaments périmés. Ils réclament l’établissement de protocoles bien précis qui bénéficieraient également aux forces armées qui peuvent aussi être gênées et retardées par ces inconvénients. Pour elles, l’objectif final est bien de remettre les populations dans des conditions normales le plus rapidement possible pour éviter les victimes et empêcher que les situations dégénèrent. Réflexions et recommandations seront compilées rapidement dans un document qui sera présenté au mois de mai à Suva.

C.M.

©C.M. M.D., Royal Australian Navy

1. Les forces armées américaines ont été les premières en 2003 à travailler sur les impacts du dérèglement climatique sur la sécurité nationale. Le Pentagone a publié un rapport déterminant sur le sujet en 2007. Plus récemment, et malgré la position climato- sceptique de son nouveau président, l’armée a redit devant le Sénat, que le changement climatique était une « menace mondiale » qui allait générer davantage de désastres écologiques et humains et transformer de par le monde les missions de maintien de la paix et de prévention des conflits.

2. L’Observatoire défense et climat a été crée en 2016. Il est hébergé pour une durée de quatre ans par l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) pour le compte de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense.

3. Le South Pacific Defense Ministers’Meeting réunit l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie Nouvelle Guinée, Tonga, la France, le Chili.