« On veut éviter les deuils pathologiques »

Depuis une semaine, des psychologues répondent au téléphone à des personnes qui vivent un deuil, à travers le Dase, dispositif d’accompagnement et de soutien aux endeuillés, qu’ils soient liés au Covid-19 ou non. Carole Keravec en est la référente. Psychologue au centre médico-psychologique de la Vallée-du-Tir, elle présente ce service qui concerne tous les Calédoniens.

DNC : Comment est né le Dase, dispositif d’accompagnement et de soutien aux endeuillés ?

Carole Keravec : Au moment du confinement, on a évoqué la question du soutien à l’accompagnement des familles endeuillées, on a vu que nos voisins polynésiens ont du gérer un afflux de deuils sans précédent. On a donc proposé ce dispositif qui a été activé mercredi dernier.

À quoi sert ce dispositif ?

Il a pour objectif de soutenir les familles. Le protocole funéraire mis en place impose des règles strictes, la mise en bière et l’organisation des funérailles sont très rapides, tout se fait en 48 heures, ce qui ajoute à la douleur. On a aussi été sollicités par les psychologues scolaires qui se demandent comment accueillir les enfants endeuillés à l’école après le confinement.

Comment fonctionne-t-il ?

Trois psychologues se relaient au téléphone pour répondre aux appels toute la semaine et le matin pendant le week-end. On fait appel à un pédopsychiatre ou psychiatre pour les situations d’urgence, menaces suicidaires, décompensations et grosses crises d’angoisse pour un soutien psychologique si besoin. On a reçu l’appui de nos collègues du libéral qui nous aident bénévolement. Sans elles, cela aurait été très compliqué. Une assistante sociale intervient également.

Il est plus difficile d’accepter le deuil quand on ne peut ni voir ni veiller le défunt. Le rite funéraire a une valeur thérapeutique.

Il s’agit de prévenir afin d’éviter des prises en charge problématiques plus tard ?

Oui, on fait de la prévention. On aide les gens à gérer les premières étapes du deuil le mieux possible afin d’éviter des deuils compliqués voire pathologiques qui devront être pris en charge plus tard. Les centres médico- psychologiques sont engorgés avec un délai d’attente de trois à six mois. Si on ne prend pas en charge suffisamment tôt, cela risque d’être plus compliqué, plus coûteux et plus difficile à traiter après. Il faut donc être réactif.

Quelles conséquences a le nouveau protocole funéraire ?

Il faut du temps pour faire son deuil. Or, là, une étape primordiale est évincée, la personne est mise en bière parfois sans que des membres de la famille puissent y assister, ce qui complique beaucoup le deuil. J’ai le cas d’un petit garçon qui n’a pas pu voir ni dire au revoir à son père et qui du coup ne croyait pas qu’il était décédé. Il est plus difficile d’accepter le deuil quand on ne peut ni voir ni veiller le défunt. Le rite funéraire a une valeur thérapeutique car il permet de transmettre des messages d’amour et d’adieu et de témoigner du soutien et de la solidarité à la famille et aux proches. Il y a en plus la culpabilité de ne pas avoir pu l’accompagner jusqu’au bout. Tout cela ne permet pas d’engager le travail de deuil et intensifie la douleur des familles. Et puis seules quelques personnes peuvent assister à la mise en bière, au recueillement et aux funérailles, alors qui choisir ? Cela met les familles dans des situations délicates.

Comment cela se passe-t-il une fois que vous répondez au téléphone ?

On évalue la situation et on accompagne. On identifie aussi chaque situation avec un code couleur (vert, orange et rouge) en fonction du risque psychosocial. Certaines personnes sont en grande souffrance. Le rouge veut dire qu’un suivi psychothérapeutique sera nécessaire après le confinement, alors on travaille sur un relais. J’ai par exemple eu cette dame d’une quarantaine d’années qui a perdu son compagnon. Elle est très affectée et se retrouve un peu seule, je ne la sentais pas bien donc je l’ai orientée vers son médecin traitant, je lui ai conseillé de prendre du repos, son employeur lui a octroyé un congé exceptionnel jusqu’à la fin du confinement, et sa sœur l’a récupérée chez elle. Je l’appelle deux fois par jour pour prendre de ses nouvelles. Elle n’a pas pu assister aux funérailles, alors on réfléchit aussi à la façon dont elle pourrait se rendre au cimetière pour faire ses adieux après le confinement.

Vous proposez des alternatives pour traverser au mieux cette étape, comme de filmer la cérémonie…

On a édité un flyer avec des conseils pour trouver des alternatives comme enregistrer des messages d’amour et d’au revoir qu’un soignant ou une personne pourrait diffuser au chevet du malade, filmer la cérémonie pour que les personnes puissent malgré tout assister aux funérailles, recueillir des messages des familles pour les mettre dans le caveau ou les scotcher sur le cercueil, ou faire prendre une photo du défunt par les soignants qui pourrait être jointe au dossier médical pour favoriser la reconnaissance de la perte et engager le travail de deuil. Il est possible aussi de se rendre au cimetière et d’attendre sur le parking pour chanter devant le corbillard par exemple, sans forcément suivre l’inhumation de près. Il faut penser les choses autrement.

Quel est le rôle de l’assistante sociale ?

Elle aide les familles démunies qui n’ont pas le budget pour prendre en charge et organiser les funérailles. L’assistance sociale essaye de trouver des solutions pour que les aspects financiers ne viennent pas se rajouter à une situation déjà très difficile. Elle peut contacter les pompes funèbres pour essayer de négocier un paiement en plusieurs fois ou inviter les familles à se renseigner pour savoir si le défunt avait souscrit une assurance, car elles ne sont pas forcément au courant, donc l’assistante sociale les guide sur les démarches administratives à effectuer. On a eu plusieurs appels sur le thème de l’aspect financier. Des funérailles, ça peut coûter 700 000 francs, ce qui représente une somme importante pour de nombreuses familles.

Comme alternative, on peut enregistrer des messages d’amour et d’au revoir qu’un soignant ou une personne pourra diffuser au chevet du malade.

Vous êtes en lien avec le CHT ?

Oui, on est en lien, on leur transmet ce que les familles peuvent nous dire et ils partagent avec nous leur ressenti. Il faut savoir qu’ils font de leur mieux.

Le Dase va-t-il continuer à exister après le confinement ?

On ne sait pas encore, peut-être que le dispositif sera poursuivi un temps pour une période de transition. On a identifié des collègues exerçant en libéral qui pourraient prendre le relais.

Est-ce que vous avez un temps vous aussi pour décompresser ?

On a plusieurs temps d’échange de façon à ne pas rester seuls parce que c’est parfois très lourd.

Le dispositif se poursuit le soir pour les soignants…

Depuis lundi soir, les professionnels de santé, qu’ils soient du privé ou du public, médecins, infirmiers, kinés, aides-soignants, etc., peuvent appeler de 16 heures à 19 heures au même numéro. Tout ce qui se passe est loin d’être anodin pour eux. On leur dédie cette cellule d’écoute pour répondre aux angoisses qu’ils peuvent avoir.

 

Dase : 05 01 11, mail : dase@chs.nc. Du lundi au vendredi de 9 heures à 16 heures et le samedi et dimanche de 8 heures à midi.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)