« On se dirige vers un système de santé à l’américaine ! »

La Fédération des fonctionnaires a déposé un préavis de grève générale pour mercredi prochain. Le syndicat veut pousser les autorités à prendre des dispositions pour combler le déficit du Ruamm et contrer la dégradation « catastrophique » de l’offre de soins. Des solutions sont proposées.

Après deux ans de signalements, de remises en cause des budgets des hôpitaux sans mesures compensatoires, les alertes se multiplient et se font plus insistantes à propos du danger qui menace notre système de santé en raison du déficit du Ruamm, évalué à 13 milliards d’ici décembre 2021. La subvention de cinq milliards de francs, déboursée en urgence par le gouvernement pour les dépenses courantes des hôpitaux, n’offre aucune perspective. Fin août, le personnel ne pourra plus être payé. Et la dégradation des soins continue de s’aggraver. Face à cette impasse et devant « l’immobilisme général », la Fédération des fonctionnaires appelle à une grève générale le 30 juin, dans le secteur public comme privé sur l’ensemble du territoire.

Les soignants en souffrance, les soins dégradés

De fait, la situation est déjà grave, a souligné la Fédération des fonctionnaires. Dans les établissements, au CHT Gaston-Bourret, au centre hospitalier du Nord, au CHS Albert- Bousquet, dans les dispensaires en Brousse, elle alerte, elle aussi, sur le manque de médecins (cardiologues, psychiatres, spécialistes en addictologie, etc.), et les postes qui ne sont pas remplacés.

L’impact sur les agents hospitaliers qui compensent ces manques est important. « On constate une augmentation des arrêts, des inaptitudes, des accidents du travail, des burnout, des chocs émotionnels. Les gens tenaient, mais ils n’y arrivent plus », nous confie Nicolas Labenski, secrétaire général du secteur santé-social à la Fédération des fonctionnaires et infirmier au CHS Albert-Bousquet. Sans compter que les soignants sont aussi soumis à une incertitude mensuelle de paiement des salaires : « ils sont invités à se rapprocher de leurs organismes bancaires afin de décaler leurs éventuelles échéances financières ».

« Si demain on doit fermer les dispensaires de Koumac ou de Poindimié, il n’y aura plus de services de proximité ! Pareil pour les CMS dans les communes qui sauvent des vies sur les accidents en permanence ».

L’offre de soins est en péril avec la suppression de soins externes, la possible fermeture de services ou de lits. Il y a également un manque de médicaments et le matériel vétuste n’est plus remplacé. La fédération cite l’exemple de l’hôpital de Poindimié, confronté à la bactérie Escherichia coli depuis deux ans dans ses circuits d’eau, obligeant la mise en place de douchettes avec des apports d’eau en cuve externe…

En guise de réponse, pour l’instant, chacun est invité à revoir ses ambitions à la baisse, explique Nicolas Labenski. « On dit qu’on a été des enfants gâtés et qu’il faut faire avec. Qu’on pourrait fermer un hôpital. Sauf qu’on est dans un système de rééquilibrage. Le fait qu’on ait ouvert un hôpital à Koné, c’était pour la population du Nord qui était obligée de descendre à Nouméa. Si demain on doit fermer les dispensaires de Koumac ou de Poindimié, il n’y aura plus ces services de proximité ! Pareil pour les centres médico-sociaux dans les communes, qui sauvent des vies sur les accidents en permanence. Ce qui nous fait peur, c’est qu’on arrive à un système à l’américaine où les riches pourront payer et auront un système convenable et les autres non. »

L’alliance syndicale alerte, enfin, sur les conséquences de cette situation sur toutes les entreprises qui gravitent autour des hôpitaux, pour les médicaments, le gaz, les travaux… et qui, pour certaines, n’ont pas été payées par «les CH »depuis « au moins un an ».

Une démonstration de justice sociale

Dans ce contexte, et en l’absence d’un gouvernement de plein exercice, la Fédération des fonctionnaires, se tourne vers les élus du Congrès. C’est là-bas d’ailleurs que sera organisée la manifestation mercredi à partir de 7 h 30. Le syndicat réclame la fin des « pansements sur une jambe de bois » et entend proposer aux élus des solutions pérennes. Il demande le déplafonnement des cotisations du Ruamm, c’est-à-dire que les revenus supérieurs à 510 500 francs soient soumis au même pourcentage de cotisations que les salaires inférieurs. La part du salaire au-dessus de 510 500 francs est, en effet, ponctionnée à 5 % et en dessous, à 15 %. «Une inégalité sociale qui perdure depuis plus de dix ans, mais jamais revue par manque de courage politique des gouvernements successifs », souligne Steeves Teriitehau, secrétaire général adjoint de la fédération.

Ce changement fiscal apporterait sept, voire huit milliards de francs supplémentaires par an pour financer le système de santé et pourrait, selon la Fédération des fonctionnaires, « éviter une fiscalité nouvelle ».

Elle se dit néanmoins prête à travailler sur l’augmentation modérée de la CCS, contribution calédonienne de solidarité, mais sous réserve d’en exclure les revenus provenant des aides, des bourses et des minima sociaux et éventuellement de fixer un seuil. Il existe également la taxe sur les produits gras et salés, dont l’affectation n’a toujours pas été décidée.

« Il faut avoir le courage, y compris pour les entreprises, de mettre la main à la poche ».

Au final, « les inégalités sont pointées du doigt par tous les économistes, c’est un cancer » et « il faut avoir le courage, y compris pour les entreprises, de mettre la main à la poche », conclut Joao D’Almeida, membre du bureau. La problématique des inégalités a même été placée au cœur des discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Reste à voir comment se positionnent pour l’instant les partis au pouvoir. Parmi les représentants de salariés en tout cas, deux syndicats, plutôt de cadres, s’opposeraient à cette proposition de déplafonnement.


Pas question de revenir sur les avancées sociales

Joao D’Almeida, membre du bureau de la Fédération des fonctionnaires, rappelle que le Ruamm est arrivé à ce déficit en raison de l’affectation de la taxe de solidarité sur les services (TSS depuis intégrée à la TGC), sa recette originelle, aux « nouveaux régimes » comme le minimum vieillesse, le complément retraite de solidarité ou les aides au logement social, qui « auraient dû faire l’objet de recettes propres ». « On a créé des prestations sans avoir les ressources », commente-t-il. Pour autant, il n’est pas question, dit-il, de revenir sur toutes ces avancées sociales qui avaient été obtenues par les syndicats, notamment l’intersyndicale « vie chère ».

C.M.

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