Bloqués depuis huit semaines, les habitants du Mont-Dore Sud sont contraints de se déplacer par la mer. Avec l’usure et la fatigue, le moral vacille parfois.
Il est 14 h 45, mardi 2 juillet. À Moselle, devant le restaurant Le Bout du Monde,
la file devant l’embarcadère pour les navettes à destination du sud du Mont-Dore s’allonge. Olivier espère monter dans l’une d’elles vers 16 h 30. Depuis environ trois semaines, c’est la même galère quotidienne. Le Montdorien de La Coulée se lève avant les aurores afin d’être au wharf à 4 h 30. « Il y avait déjà 50 personnes ce matin, j’ai pris une navette à 6 h 45. » L’attente devient insupportable. « On est debout, on a mal au dos, il n’y a pas assez de bateaux. »
Au début, Olivier a bien essayé de passer par la route. Peine perdue. « On a tenté de me piquer ma voiture trois fois, j’ai reçu un gros coup de poing, avec un œil au beurre noir, donc j’ai arrêté. » Une situation « pénible » et « fatigante ». « On a l’impression d’être oublié là-bas et on se demande combien de temps ça va durer. Ça traîne. » Olivier s’attache à ne pas trop y penser. Une façon de se préserver. « Que voulez-vous faire ? On n’a pas le choix, on subit. »
DE LA SOUFFRANCE
Diana habite route de la Corniche. Toute jeune résidente en Nouvelle-Calédonie, la Polynésienne a fait le voyage de son île natale avec sa famille il y a trois mois. D’abord à Païta Nord, puis au Mont-Dore Sud. « C’est dur. On a ramassé. » Sa petite-fille surtout, âgée de 8 ans. Il y a deux semaines environ, elle a reçu de la fumée de bombes lacrymogènes du côté de la station Mobil de Plum, lui piquant les yeux et la gorge. « Cela lui a fait mal. Pour se protéger, on s’est caché dans la station. Depuis, elle est traumatisée, elle ne parvient plus à dormir. Elle se cache dans la maison et ne veut pas sortir. »
Avec pudeur, Diana témoigne. De la fatigue, qui s’accumule. « On dort peu, on ferme les yeux vers 3 heures du matin, on a peur. » De son ressenti. « Je souffre en silence. » Pour ne pas le montrer aux siens. Son sac de courses sur l’épaule, que l’auxiliaire de vie à domicile est venue remplir à Nouméa avec notamment du riz, Diana escompte des jours meilleurs. « Des fois, on se dit qu’on regrette, mais on tient le coup, on aime bien ici, c’était notre choix de venir pour le travail et on s’est adapté. »
Des histoires, il y en a autant que de passagers, 1 800 chaque jour selon la province Sud, qui a mis en place ce service de transport. Pour combien de temps encore ? Marie, qui habite la Corniche, est venu avec sa fille et son petit-fils pour « prendre l’air ». Un besoin pour ces Montdoriens coincés de l’autre côté. « C’est horrible ce qu’il se passe, il n’y a pas d’autre mot. Mais bon, c’est comme ça. »
Keitr, de Plum, en a pris son parti. « On fait la queue tout le temps, aux courses, pour la navette, etc. Au début, c’est dur, puis on s’habitue. Je suis arrivée au stade de l’acceptation. » Le côté positif, ce sont les rencontres, estime cette employée communale. « L’essentiel, c’est l’aspect humain. On parle, on échange. Le vivre ensemble, on le vit déjà. »
LA CROIX-ROUGE MAINTIENT LE LIEN
Habituellement destiné à sillonner les routes de la Nouvelle-Calédonie pour apporter une aide au plus près de la population en termes de prévention, d’accès au droit, de lutte contre les violences ou de promotion de la santé, le dispositif Aller vers, financé par le gouvernement et piloté par la Croix-Rouge, parcourt celles du Grand Nouméa depuis un mois, faute de pouvoir circuler au-delà de l’agglomération, assurant une mission de « maintien du lien, explique Laurent Garnier-Regãl, coordinateur. On est dans l’écoute, le conseil, l’orientation ».
Chaque mardi après-midi depuis le 25 juin, Aller vers pose son tivoli et ses nattes à Moselle, à côté du départ des navettes pour le Mont-Dore. « L’idée est de faciliter la gestion des émotions. Nous voyons bien que les gens sont épuisés, lassés de ne pouvoir circuler librement, d’être contrôlés, de ne pas avoir accès aux bureaux de poste ou aux distributeurs automatiques, constate Laurent Garnier-Regãl. Il y a les besoins élémentaires, se nourrir, avoir un toit, etc., et puis reprendre vie et confiance. Nous sommes présents pour le lien social et psychologique. »
D’autant que le contexte est favorable à l’augmentation de la violence, notamment intrafamiliale. « C’est possible que dans les semaines à venir, davantage de faits de ce genre soient portés devant la justice », remarque Laurence Grangeon, intervenante sociale au commissariat. Et aux tendances dépressives, note l’hypnothérapeute Emy Pirrone, qui propose des thérapies brèves. « On traite des personnes qui n’arrivent plus à dormir, à aller ou travail ou même à sortir de chez elles, qui font des crises d’anxiété au moindre bruit. Pour celles dont la santé mentale était déjà fragile, cela ajoute des facteurs supplémentaires au stress et peut déclencher une dépression, un burn-out… »
Richard vit dans un squat au Vallon-Dore. Il est venu se renseigner sur les aides dont il pouvait bénéficier. « Avant, j’avais des bons alimentaires et là, je n’ai plus rien. Ma fille me donne un peu de sous avec lesquels j’achète l’essentiel, huile, riz, sucre, sardines et puis j’ai un petit jardin. On fait avec, mais c’est compliqué. On m’a dit d’aller voir une assistante sociale à Boulari. »
Depuis le 4 juillet, de nouvelles règles sont instaurées pour les navettes maritimes de la province Sud. L’ambition est « d’augmenter l’offre, fluidifier le trafic et réduire le temps d’attente ». Les créneaux avant 7 h 30 ou à partir de 16 heures sont désormais réservés aux personnes prioritaires qui doivent présenter une attestation professionnelle, médicale ou de scolarité. Un modèle est disponible sur le site internet de la collectivité, province-sud.nc.
Les autres créneaux sont accessibles à tous les passagers mais rendus payants 500 francs le trajet. Les billets doivent être achetés à Sud Tourisme aux zones de départ des bateaux à Nouméa et au Vallon-Dore, par carte ou espèces uniquement.
Anne-Claire Pophillat