L’écho de la suppression de la garantie émeutes par les assurances calédoniennes suscite, au sein de la population, de nombreuses interrogations. Frédéric Jourdain, président du Cosoda – le comité des sociétés d’assurance –, y répond.
DNC : Pour quelles raisons les compagnies d’assurance du territoire font-elles le choix de supprimer la garantie émeutes ?
Frédéric Jourdain : Ce n’est pas vraiment une suppression, je dirais qu’on a décidé de ne plus la délivrer. Il est clair que les émeutes et ce qu’elles ont produit comme dommages interrogent les assureurs et surtout nos réassureurs privés. D’ailleurs, cette décision est plus du fait même de nos réassureurs que des assureurs eux-mêmes, car ils payent les dégâts de ces événements. Ensuite, il faut savoir que l’assurance est basée sur un principe aléatoire de survenance. Sauf que là, on se rend compte que c’est systémique. Nous ne sommes pas là pour payer un risque certain, mais pour assurer un risque aléatoire. Donc, nous ne souhaitons plus avancer en délivrant cette garantie émeutes tant que la sécurité et la stabilité du pays – en règle générale – ne sont pas restaurées.
Est-ce que cet arrêt est immédiat ?
Nous avons entendu beaucoup de fausses rumeurs sur le fait que ce serait immédiat, mais non, cela se fait au renouvellement ‒ ou pas ‒ du contrat. L’assurance envoie un avenant à ses clients, les informant du renouvellement du contrat sans la garantie émeutes. S’ils sont d’accord, ils le signent. Sinon, nous serons obligés de les résilier. En grande majorité, tous les contrats d’assu- rance qui ont été souscrits seront honorés. Là, nous parlons vraiment des sinistres de demain.
Est-ce que cette garantie pourra être réintégrée par la suite ?
Ce n’est pas à notre niveau que cela va se passer. C’est compliqué, car la stabilité ne se fait pas en 15 jours, elle se voit à plus longue échéance.
« Il existe par exemple des fonds de garantie pour l’assurance automobile, les attentats, les catastrophes naturelles… Alors pourquoi pas imaginer un fonds de garantie spécifique à la garantie émeutes et mouvements populaires. »
Y a-t-il des discussions qui s’opèrent avec l’État afin de trouver des solutions ?
Il doit y avoir effectivement une réunion fin août – début septembre entre Bercy et France assureurs pour trouver des solutions, afin que les assureurs puissent à nouveau délivrer cette garantie dans le cadre de la reconstruction.
Quelles pourraient être ces solutions ?
Plusieurs peuvent exister. Je ne sais pas si ce sont celles qu’ils vont retenir, mais aujourd’hui, vous avez par exemple des fonds de garantie. Il y en a pour l’assurance automobile, les attentats et le terrorisme, les catastrophes naturelles… Alors pourquoi pas imaginer un fonds de garantie spécifique à la garantie émeutes et mouvements populaires. Après, ce n’est pas à nous, assureurs, de dire vers où aller : ce sont des discussions qui doivent se mener entre l’État et les représentants des assureurs en Métropole. En tout cas, c’est une réflexion à avoir, car la Nouvelle-Calédonie n’est pas la seule concernée par ce type d’événements. On se rend compte aujourd’hui que les émeutes deviennent courantes. Ça a été le cas avec les gilets jaunes, l’affaire Nahel, il y a eu des incidents également à La Réunion et aux Antilles… Cela devient systémique dans le mode de contestation, ce qui fait que l’aspect aléatoire devient de plus en plus mince.
Est-ce que les tarifs risquent d’évoluer ?
Tout dépend de la solution qui sera trouvée. Certaines compagnies commencent déjà à augmenter leurs tarifs. Lors de la dernière rencontre en visio que nous avons faite, le ministre Bruno Le Maire évoquait la possibilité que les assureurs mettent une prime en conséquence en face de cette garantie, de façon à pouvoir la délivrer. Je ne suis pas certain que les assureurs acceptent de faire cela, mais ça peut faire partie des pistes de réflexion.
Depuis le début de la crise, les assurances sont globalement accusées de mettre du temps à indemniser les entreprises, où en êtes-vous ?
En fait, c’est une question d’interprétation. Tout le monde a retenu le chiffre de notre charge ultime [120 milliards de francs CFP, ndlr]. Sauf que pour arriver à ce chiffre-là, il y a de nombreuses étapes. Tout le monde est focalisé sur les acomptes que l’on verse, qui sont des premières mesures d’urgence versées relativement rapidement et qui permettent par exemple de sécuriser les lieux ou de recommander du stock. On les délivre suite au passage d’un expert, qui informe sur la somme à régler. Le reste des sommes est versée dans le temps. Car par la suite, l’expert continue ses investigations, il va récolter tous les documents de l’entreprise pour réaliser un rapport définitif. Suite à ce rapport, une deuxième partie du versement va s’effectuer, pour payer le bâtiment. La troisième phase correspond à la perte d’exploitation. Celle-ci est versée deux ans après, à partir du moment où le chef d’entre- prise reconstruit. C’est pour cela que faire le ratio aujourd’hui des acomptes par rapport à ce qu’on doit payer au final, ce n’est pas cohérent. D’autant que les prérapports des experts, on ne les a pas tous reçus encore. On en a peut-être reçu 70 %, je dirais. Donc il faut du temps.
Propos recueillis par Nikita Hoffmann