« Nous avons 25 ans pour anticiper le vieillissement de la population »

La population calédonienne vieillit, mais comment notre société peut-elle s’y préparer ? Le docteur Valérie Albert- Dunais, coauteure de l’enquête du rapport « Bien vieillir en Nouvelle-Calédonie », présentée notamment cette semaine en province Nord, explique les enjeux auxquels nous allons être confrontés. Le chantier est colossal et concerne de multiples secteurs comme l’habitat, le transport et même la justice.

DNC : La population vieillit en Nouvelle- Calédonie. Cette évolution est-elle prise en compte ?
Valérie Albert-Dunais : Le travail d’anticipation est en train de se faire. La population calédonienne vieillit, certes, mais il faut tenir compte des données en les comparant au nombre de jeunes. C’est pour cette raison que dans le dernier bilan démographique de l’Isee (Institut de la statistique et des études économiques, NDLR) sur la période 2015-2019, on parle de l’indice de vieillissement. Il se mesure de 1 à 100 et plus il est bas, plus il y a de jeunes. En Nouvelle-Calédonie, il est de 27, c’est assez bas comparé à la Métropole où il est de 78. Ce chiffre permet de relativiser la situation. Nous avons 25 ans pour nous préparer.

Quelle est la situation en matière de soins aux personnes âgées ?
L’enquête* que nous avons menée a permis de montrer qu’en province Sud, il y a une très bonne offre de soins, les acteurs communaux sont très actifs dans le Grand Nouméa. Il y a aussi des associations très présentes. Dans le dernier bilan démographique de l’Isee, comme dans les rapports de la Dass (Direction des affaires sanitaires et sociales, NDLR), on peut lire que le taux d’équipement est quasiment superposable à celui de la Métropole dans le Grand Nouméa. C’est loin d’être le cas dans les autres provinces.

Quels sont, d’après vous, les points à améliorer ?
D’abord, il faut rééquilibrer l’offre de soins et les actions préventives entre les provinces. Dans certaines communes, il n’y a aucune action engagée. Ensuite, le parcours administratif est difficile, les renseignements concernant les soins, les maisons de retraite, l’accueil de jour, les aides, les droits et devoirs sont compliqués à obtenir. L’anticipation du vieillissement doit également se faire dans l’habitat. Que l’on soit dans un logement urbain ou en tribu, à partir du moment où il y a un fauteuil roulant ou un déambulateur, ça devient compliqué. La problématique du bien vieillir touche même les transports ou la justice… C’est très compliqué, car cela concerne de multiples secteurs.

Les personnes âgées ont-elles les mêmes aspirations où qu’elles habitent ?
Ce qui est important à retenir, c’est que les gens souhaitent rester chez eux et mourir chez eux, ils ne veulent pas être déracinés, quelle que soit leur communauté. Ce message est revenu à de nombreuses reprises, de manière unanime pendant notre enquête. Mais dans le rapport, on voit bien que l’on a tous une représentation différente de la vieillesse. Il ne s’agit pas de copier coller ce qui se fait en province Sud, il y a un modèle à construire qui puisse s’adapter au mode de vie de chacun. Cela signifie aussi que les soignants et travailleurs sociaux soient davantage sensibilisés à ces différentes cultures, à la barrière de la langue ou à encore à l’accès aux médecines traditionnelles.

« Les gens souhaitent rester chez eux et mourir chez eux »

Plusieurs maisons de retraite viennent d’ouvrir, d’autres sont programmées. Est-ce en réponse à votre enquête ? Effectivement, plusieurs maisons voient le jour. C’est normal, car cela devient un véritable lieu de vie dans lequel les gens restent et vivent bien. Mais ces projets avaient été prévus de longue date, bien avant les résultats que l’on connaît aujourd’hui.

Quelles actions vont maintenant être mises en place pour préparer le vieillissement de la population ?
Pascale de Greslan, avec qui j’ai travaillé sur l’enquête, a reçu un financement pour lancer un plan d’action. Quatre ou cinq groupes de travail vont être créés pour organiser le financement, réfléchir sur le réseau, le maintien à domicile, la formation des aidants… On a la chance, en Nouvelle-Calédonie, d’avoir traditionnellement beaucoup d’aidants, mais ils ont besoin de soutien. Il va ensuite falloir élaborer un document cadre de façon à donner une certaine visibilité et mettre en place des actions.

Avec quels types de financement ? Les actions à mettre en place ne sont pas forcément coûteuses, mais il faudra, c’est certain, sanctuariser un financement lié aux seniors en général et pas uniquement à la dépendance. Nous sommes confrontés à un vrai choix politique. Nous vivons dans un pays riche avec des problématiques de riches. Est-ce qu’on a les moyens de continuer à accompagner cette évolution ? Dans tous les cas, on ne peut rien faire sans portage politique. Aujourd’hui, c’est avec les deux membres du nouveau gouvernement, Thierry Santa et Yannick Slamet, que nous allons poursuivre les discussions.

* Valérie Albert-Dunais et Pascale de Greslan ont rédigé l’enquête dont les conclusions figurent dans le rapport « Bien vivre en Nouvelle Calédonie », paru en décembre 2020. Cette étude quantitative et qualitative a été diligentée par les centres hospitaliers territoriaux, le centre hospitalier spécialisé Albert-Bousquet et le centre hospitalier du Nord en 2018. Une partie des résultats figure également dans le dernier bilan de l’Isee, présenté le 22 juillet, et en ligne sur www.isee.nc


Les caisses retraite seront bientôt vides

Le vieillissement de la population induit une augmentation des retraites à verser. Le problème, c’est que si aucune réforme n’est engagée, les caisses de retraite de la Cafat seront vides dans moins de cinq ans. Quant à la Caisse locale de retraites, CLR, qui gère les pensions des fonctionnaires territoriaux, le problème va se poser dès l’année prochaine. Plusieurs pistes sont actuellement étudiées et discutées pour résoudre ce problème : repousser l’âge de la retraite, augmenter les cotisations obligatoires, imposer les cotisations à un taux unique… Le gouvernement, qui poursuit les discussions avec la Cafat, la CLR, les caisses de retraite complémentaire et les partenaires sociaux, va très rapidement devoir trancher. Si la société a 25 ans pour anticiper le vieillissement, le problème des retraites, lui, est imminent.

V.G.