Notre système de santé est-il prêt à tenir le coup ?

Le Covid-19 frappe le monde entier, mais chaque pays y apporte ses propres réponses. La Nouvelle-Calédonie fait partie des dernières régions à avoir été touchées, ce qui lui a laissé le temps de se préparer sur le plan médical. Le territoire est-il prêt à faire face au pire ? Les autorités se veulent plutôt rassurantes.

Alors que les rues sont vides, les établissements de santé sont pleins. Pas encore d’une horde de malades, mais de soignants sur le pied de guerre, en attente de la suite qu’ils espèrent la plus apaisée possible. Depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois, l’ensemble du personnel de santé est conscient que la Nouvelle- Calédonie pouvait difficilement échapper à cette pandémie mondiale. Un travail entre les établissements hospitaliers a donc été entrepris afin de coordonner les différents acteurs.

Le Médipôle est au centre du dispositif. Il sera « LA » référence pour le Covid-19. Tous les cas y sont et seront centralisés. La tente de dépistage a d’ailleurs commencé son activité, mardi matin, à 8 h, en recevant les premiers patients adressés par les médecins généralistes. Au sein du Médipôle, un parcours spécifique pour les personnes atteintes du coronavirus a été mis en place afin d’éviter tout contact avec d’autres malades.

Côté personnel, le CHT est en pleine période de recrutement en vue d’une augmentation du nombre de cas. Pour le moment, aucun malade n’a développé de graves symptômes respiratoires nécessitant un placement en réanimation. Sur ce plan, le Médipôle estime disposer des moyens nécessaires. Le service de réanimation s’est complètement réorganisé et possède d’ores et déjà une dizaine de lits. La capacité pourra être portée très rapidement à près d’une cinquantaine de lits avec, au total, la possibilité d’accueillir une centaine de patients atteints du coronavirus.

Comme le rappellent les médecins du CHT, le nombre de places en réanimation en Nouvelle-Calédonie est nettement supérieur à celui de la Métropole proportionnellement à la population. La capacité du territoire représenterait, à l’échelle de la Métropole, près de 12 500 lits, alors que la presse parle d’environ 7 000 lits pour l’ensemble de l’Hexagone. Aux moyens du Médipôle, il faut ajouter une dizaine de lits qui pourront être mobilisés à la clinique Kuindo-Magnin ainsi que dans les autres établissements de santé, notamment au centre hospitalier du Nord, à Koné. Les médecins insistent également sur le fait que seuls les patients présentant des symptômes graves seront hospitalisés.

Une première ligne fragile

L’idée est bien de centraliser tous les cas à Koutio afin de pouvoir concentrer l’ensemble des forces sanitaires et éviter l’éparpillement des moyens. Cette centralisation permet également de ne pas mélanger les malades du Covid-19 avec des patients atteints d’autres pathologies et donc de limiter le risque de contagion. Tout l’enjeu est de pouvoir maintenir le fonctionnement du système de santé et d’assurer la prise en charge des autres malades. La clinique Kuindo-Magnin a mis en place un dispositif de filtrage à l’entrée afin de pouvoir rediriger, si besoin, les malades du coronavirus au Médipôle et se concentrer sur les autres pathologies.

C’est l’une des principales raisons du confinement décidé par les autorités. Avec les gestes barrières, il permet de limiter la propagation du virus au sein de la population et d’éviter la saturation des établissements hospitaliers. C’est essentiellement cette saturation qui impose aux professionnels de santé de faire des choix en définissant des priorités pour la prise en charge des patients, comme on peut le voir en Italie, mais également en Métropole.

Si les établissements sont prêts à faire face à une épidémie, c’est nettement moins le cas des professionnels de santé libéraux, qui sont pourtant en première ligne. Les interventions du docteur Joël Kamblock, cardiologue au Mont-Dore, et leur retentissement dans la population en sont une parfaite illustration. La vidéo, dans laquelle il appelle les autorités à mettre en place des mesures plus strictes avec des consignes plus claires pour les libéraux, a été vue plus de 100 000 fois. Les médecins libéraux se sentent démunis face au risque épidémique. Pas de consignes claires ou alors parfois contradictoires, pas ou peu de matériel de protection pour eux et leurs patients sont les principaux points de revendication. Ces professionnels, qui ont la charge de renvoyer les cas suspects vers le centre de dépistage, sont inquiets et naviguent à vue.

Les praticiens, qui ont rejoint le collectif initié par le docteur Kamblock, sont par ailleurs plutôt remontés contre la Direction des affaires sanitaires du gouvernement, même s’ils comprennent que la Dass se situe entre eux et les responsables politiques. Au-delà des messages des élus, qui assurent avoir parfaitement anticipé la situation, de nombreux médecins généralistes, kinés ou encore aides à domicile estiment être les grands oubliés du dispositif. Entre collègues, la solidarité se met en place afin d’échanger les informations et ils peuvent également compter sur certains patients qui leur procurent des masques et du gel hydroalcoolique.

Sur le plan matériel, la situation devrait évoluer avec la réception d’une commande par le gouvernement de deux millions de masques et de 15 000 tests de dépistage. Elle devrait couvrir les besoins de tous les professionnels de santé, particulièrement exposés. Sur la question du dépistage, les choses ont également évolué. Si peu de tests étaient disponibles et donc utilisés avec parcimonie au départ, le rythme s’intensifie. De deux tests par jour la semaine dernière, les autorités en réalisent désormais près d’une centaine par jour, en deux fois, une série le matin et une autre l’après-midi. Sur ce point, les médecins du CHT se veulent également rassurant en précisant que le territoire dispose d’un stock environ huit fois supérieur à celui de la Métropole, rapporté au nombre d’habitants.

Une stratégie dictée par la question des moyens

La stratégie du gouvernement est toutefois encore peu lisible si l’on regarde ce qu’il se passe dans les autres pays. Certains ont adopté un principe de dépistage massif afin d’écarter le plus rapidement possible les porteurs du virus alors que d’autres se concentrent sur les soignants et les personnes présentant des symptômes. Des stratégies différentes qui reposent essentiellement sur les stocks disponibles de tests de dépistage et des moyens. C’est ce qu’a annoncé, le 22 mars, le Conseil d’État pour la Métropole.

C’est également le cas de la Nouvelle-Calédonie, qui fait en fonction de ses moyens et réfléchit à élargir le dépistage. Depuis mardi, 8 h, la tente de dépistage devant le Médipôle est entrée en service et d’autres tentes similaires ont été ouvertes à Koumac, Koné et Poindimié.

Dans le domaine de la santé publique, il est souvent difficile de définir ce qui pourrait être le plus efficace et la question divise très largement. En Métropole, le professeur Didier Raoult, infectiologue et directeur de l’Institut hospitalo- universitaire de Marseille, qui s’est fait connaître pour ses prises de position sur la chloroquine (lire par ailleurs) a qualifié la stratégie adoptée par l’Etat de « moyenâgeuse ». En dépit des consignes des autorités de santé, le professeur a pratiqué des tests massifs et prescrit de la chloroquine aux patients. Il a finalement été entendu puisque le gouvernement a autorisé jeudi, dans le cadre de l’urgence sanitaire, la prescription de chloroquine pour le Covid-19.

Chez nous, la province Sud avait déjà passé une commande afin de pouvoir commencer le traitement le plus rapidement possible (lire plus bas).

D’autres équipes de chercheurs travaillent sur un possible vaccin qui permettrait de protéger les populations à une large échelle. Une trentaine de vaccins potentiels sont à l’étude, selon l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, mais il faudra encore probablement attendre plusieurs mois avant de pouvoir effectuer les premières grandes campagnes.

Pour plus d’informations sur le virus, vous pouvez consulter le site internet de l’OMS : www.who.int/fr 

Le site www.covid19.nc, mis en place par le gouvernement, apporte également des réponses aux questions que les Calédoniens pourraient se poser et donne les dernières évolutions de la situation.


La chloroquine, porteuse d’espoir

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La chloroquine ou hydroxychloroquine pour sa forme médicamenteuse est connue depuis des années et utilisée comme antipaludéen, mais aussi dans le traitement du lupus, une maladie auto-immune non contagieuse. Son utilisation est largement répandue, mais il ne faut pas oublier que ce médicament peut provoquer des effets secondaires.

Si les effets de la chloroquine sur la famille des coronavirus ont été vérifiés en laboratoire et sont plutôt reconnus par la communauté scientifique, l’utilisation sur les êtres humains et des malades plus ou moins gravement atteints est sujette à caution. Le professeur Didier Raoult a décidé de passer outre les procédures classiques d’autorisation de mise sur le marché en prescrivant la chloroquine aux patients de son institut, à Marseille. D’autres médecins ont soutenu cette initiative, encore assez controversée dans le monde scientifique. En parallèle, en Métropole, le gouvernement a décidé de lancer une étude clinique sur la question. Puis a autorisé sa prescription dans le cadre de l’urgence sanitaire.

Ici, Martine Cornaille, la vice-présidente d’Ensemble pour la planète, avait adressé un courrier au président du gouvernement afin d’alerter les pouvoirs publics sur cette opportunité. « Les tergiversations du ministère de la Santé sont incompréhensible puisqu’à ce jour, aucun autre traitement n’est disponible, souligne le courrier. Ne pas le mettre en œuvre constitue donc une perte de chance pour les malades dont certains risquent la mort, ne l’oublions pas ».

La province Sud a fait savoir qu’une commande d’hydroxychloroquine et d’azithromycine (un antibiotique associé à la chloroquine dans le protocole du professeur Raoult) avait été passée afin de pouvoir commencer le traitement le plus rapidement possible. Reste que la compétence en matière de santé revient au gouvernement, qui assume seul ce type de décision. Une situation qui soulève des questions en termes de coordination entre les différentes collectivités, pourtant réunies au sein d’une même cellule de crise. Le fait que ce soit la province Sud qui ait effectué cette démarche entraîne aussi des questionnements sur les modalités d’administration du traitement au cas où celui-ci devrait être prescrit aux patients. Concernerait-il, par exemple, seulement les ressortissants de la province Sud ? Si cela paraît peu probable, cette situation laisse apparaître des divergences de points de vue sur la manière de gérer la crise.

À noter que des stocks de ce médicament existent, mais certains médecins et patients sous traitement à la chloroquine alertent toutefois sur le risque de manque pour eux en cas de prescription massive pour le reste de la population.

M.D.